Des jambes rapides, des mains agiles, de beaux corps, et de la politique... beaucoup de politique. Pour l'émirat du Golfe persique, la Coupe du monde de football au Qatar est bien plus qu'un événement sportif. Le méga-événement fait partie d'une stratégie qui doit montrer plusieurs choses: Nous sommes ici, nous sommes puissants, nous défions nos ennemis, nous sommes venus pour conquérir le marché mondial!
Pour sauver sa prospérité à l'ère de l'après-énergie fossile, le pays conservateur de la Coupe du monde investit des milliards de ses pétrodollars dans le monde entier. Qu'il s'agisse d'hôtels, de clubs de football, d'entreprises technologiques ou de constructeurs automobiles, les Qataris diversifient leur portefeuille à une vitesse vertigineuse. Et ils se complaisent dans leur nouveau rôle de partenaire indispensable.
Cela rappelle la Coupe du monde en Argentine
La Coupe du monde de football s'est ouverte ce dimanche à 17 heures avec le match Qatar-Equateur. La famille monarchique al-Thani est au bout de ses rêves: le monde entier a les yeux rivés sur le Qatar. Le football et les joueurs aux millions de followers sur Instagram et Tiktok servent de vecteur à l'émirat pour démontrer son pouvoir et son influence croissante.
Pour l'historien Christian Koller, directeur des archives sociales à Zurich, certaines choses rappellent la Coupe du monde en Argentine en 1978. Alors que l'équipe locale soulevait ainsi le trophée, selon le scénario du président fasciste, le général Jorge Rafael Videla, des opposants étaient torturés à mort. Au total, 30'000 personnes ont été victimes de la dictature militaire, y compris pendant la Coupe du monde.
Le Qatar 2022 n'est pas l'Argentine 1978, mais «comme les Qataris, la junte militaire argentine a tenté de s'attirer les faveurs de la communauté internationale en lançant une vaste offensive de relations publiques en amont», explique Christian Koller. Des auxiliaires amicaux, jeunes et beaux devaient donner au pays une image positive et ouverte. Dans tout le pays, les généraux moustachus ont investi plus de 700 millions de dollars dans la modernisation des infrastructures.
La FIFA en tant qu'organisation appartient à l'histoire
«Une manœuvre de relations publiques ciblée du régime a en outre consisté à maintenir en fonction l'entraîneur national de gauche César Luis Menotti, à condition qu'il gagne la Coupe du monde», explique l'historien. Les violations des droits humains, la torture et l'intimidation des dissidents ne devaient pas avoir de place dans le récit de la junte militaire.
«Les Qataris font de même», martèle Christian Koller. «A savoir, en essayant de balayer sous le tapis la persécution des homosexuels, la discrimination des femmes et le soutien à la terreur islamiste.»
L'historien estime que le fait que la Coupe du monde se déroule désormais au Qatar, pays au régime autoritaire, est une évolution logique dans le football mondial. Sous Gianni Infantino, la FIFA est passée d'une organisation à une entreprise dont le seul objectif est de conquérir de nouveaux marchés. Car, plus de marché apporte plus de pouvoir et donc plus de participation. «La commercialisation du football prend des traits de plus en plus grotesques», affirme Christian Koller.
Pourtant, tout ne tourne pas toujours autour du ballon. Que ce soit la Coupe du monde ou les Jeux olympiques, que ce soit un régime autoritaire ou une démocratie, le rayonnement politique des grands événements est intact. «L'éclat des sportifs à succès recèle un énorme capital économique et politique», explique l'historien. Celui-ci est exploité, sans exception.
Politique et sport sont indissociables
Christian Koller qualifie la tentative de séparer le sport de la politique du «plus grand mensonge de la vie». D'Adolf Hitler à Leonid Brejnev en passant par Xi Jinping et Vladimir Poutine, ils ont tous profité des Jeux olympiques pour montrer au monde de quelles grandes actions leur nation était capable. Et quoi de mieux pour cela que des corps beaux, forts et sportifs qui se mesurent dans une compétition loyale.
La politique n'est toutefois pas la seule à instrumentaliser le sport. Les acteurs du stade utilisent eux aussi habilement la publicité médiatique pour défendre leurs intérêts. Il y a plus d'un demi-siècle, aux Jeux olympiques de Mexico en 1968, les deux sprinters américains Tommie Smith et John Carlos levaient le poing vers le ciel dans un gant noir pour protester contre la discrimination raciale dans leur pays.
On n'oubliera pas non plus qu'en 1995, l'équipe nationale suisse a déployé pendant l'hymne une banderole sur laquelle on pouvait lire «Stop it, Chirac». L'équipe d'Alain Sutter manifestait ainsi contre les essais nucléaires du président français de l'époque, Jacques Chirac, dans les mers du Sud. Le message a fait le tour du monde. Des exemples qui montrent que le sport et la politique sont indissociables.
Avec sa politique d'image, le Qatar a encore placé la barre plus haut. Mais les premières fissures sont déjà bien visibles, et ce, depuis un moment. Des officiels se montrent publiquement homophobes et des journalistes sont empêchés de faire leur travail. Au Qatar, le monde n'est finalement que l'invité d'un régime autoritaire - comme c'est souvent le cas.
(Adaptation par Mathilde Jaccard)