Au Qatar, la Nati voulait viser haut et au moins atteindre les quarts de finale. De nombreux fans ont même rêvé — en secret — de la finale. Cette équipe nationale est la meilleure de tous les temps. C'est logique, puisque tout le monde le dit. Les experts, les joueurs, le sélectionneur. Même le prudent, mais charismatique, directeur des équipes nationales Pierluigi Tami fait des quarts de finale son objectif et déclare: «Nous voulons écrire l'histoire.»
Mais personne ne le dit de manière aussi précise que Granit Xhaka en mars dernier. «Mes objectifs sont toujours les mêmes lorsque je me rends à un tournoi: j'y vais pour le gagner. Alors je le dis, je veux devenir champion du monde.» Le portrait de notre capitaine ornant un immeuble de Doha est aussi grand que les objectifs de la Nati. Il devient en quelque sorte le symbole des exigences au Qatar.
Mais depuis mardi soir, on sait que la Suisse ne sera pas championne du monde. Tout comme en 2006 contre l'Ukraine, en 2014 contre l'Argentine et en 2018 contre la Suède, elle a été éliminée au stade des huitièmes de finale. Contrairement aux défaites du passé, c'est cette fois une véritable humiliation. Une gifle 1-6 contre des Portugais déchaînés. Aïe!
Une grande analyse de cette Coupe du monde
Ce jeudi, la troupe de Murat Yakin est rentrée au pays. Plus tard que des équipes comme l'Allemagne et la Belgique, mais plus tôt qu'espéré. Et avec une fessée qui restera dans les mémoires. «La dernière impression reste, souffle le sélectionneur Murat Yakin. Je vais devoir vivre avec cela ces prochains mois.»
Les responsables se reverront bientôt. Pour une grande analyse, comme il est d'usage à l'ASF après les grands tournois. On devrait alors constater que beaucoup de choses ont été améliorées par rapport à la Coupe du monde 2018 en Russie. Et pourtant, il y a encore de la marge.
Blick tire le bilan
De son côté, Blick a établi son propre bilan sur les 25 jours passés dans le désert du Qatar. La mission débute le 14 novembre dernier à l'aéroport de Kloten. Avec beaucoup de questions. La cheville de Sommer tiendra-t-elle le coup? Rodriguez se remettra-t-il à temps de son coup? Shaqiri est-il suffisamment en forme après une longue période sans jouer? Mais tout le monde est de bonne humeur. Sauf Haris Seferovic, qui s'éloigne en colère parce que les journalistes présents ne lui posent quasiment que des questions sur son rôle de remplaçant à Galatasaray.
Le portier de Salzbourg Philipp Köhn, nommé quatrième gardien, n'est reconnu par les fans qu'après avoir revêtu sa tenue de l'ASF. Le voyage, l'hôtel de l'équipe et le terrain d'entraînement au Qatar sont parfaits.
Le fiasco du voyage à Abu Dhabi
Le voyage du 16 novembre pour le match amical contre le Ghana à Abu Dhabi est, lui, tout sauf parfait. A l'aller, les stars de la Nati sont réparties en classe économique entre les spectateurs de la Coupe du monde et les travailleurs immigrés. Alors que Sommer, Elvedi & Cie font bonne figure et posent pour des selfies, d'autres s'insurgent bruyamment.
Granit Xhaka, notamment, s'agace de l'amateurisme qui règne juste avant le coup d'envoi d'une Coupe du monde. Il aurait mieux valu que les joueurs réservent eux-mêmes un vol charter, s'exclame-t-il. Il n'y a qu'un mot qui parcourt l'avion: Covid. Mais à l'exception du président de l'ASF Dominique Blanc, personne ne porte de masque.
Granit Xhaka exprime ce que tout le monde pense. Car les patrons de l'ASF sont eux aussi en colère contre l'organisateur du match amical. «FSS Gulf Sports», compagnie d'Abu Dhabi, a apparemment oublié d'enregistrer la Nati en tant que groupe. Mais ce n'est pas le seul problème: le contrôle des passeports ne fonctionne pas bien. Et dans le bus de la Nati, il fait une chaleur étouffante, car il n'y a pas de climatisation.
Finalement, le stade est changé à deux reprises à la dernière minute — certains supporters auraient même fini dans le mauvais. Pierluigi Tami adresse quelques mots à l'équipe: il veut que le groupe reste concentré. On a tiré les leçons de la Coupe du monde russe et on veut se concentrer exclusivement sur le sport lors de cette phase finale.
Mais sur le plan sportif aussi, l'excursion est à oublier. Une défaite 2-0 contre le Ghana qui ne rassure pas, bien au contraire. Mais ce n'est qu'un match amical, juste avant la Coupe du monde. Finalement, un échauffement de qualité dans des conditions de compétition a lieu. Et la Nati peut tout de même en tirer quelques conclusions: la défense à trois ne fonctionne pas du tout, il fait définitivement chaud dans le Golfe et la cheville de Yann Sommer tient bon. Mais le positif de ce voyage raté à Abu Dhabi, c'est qu'aucun joueur ne s'est blessé ou a contracté le Covid.
Autour du brassard de capitaine
Retour à Doha. La FIFA fait les gros titres avec l'interdiction de la bière autour des stades introduite juste avant le coup d'envoi et le discours de son président Gianni Infantino («Aujourd'hui, je me sens gay. Aujourd'hui, je me sens handicapé. Aujourd'hui, je me sens comme un travailleur migrant»). Le groupe de la Nati n'en est pas affecté et reste imperturbable.
Il en va autrement de la querelle autour du brassard de capitaine. Un jour avant le match d'ouverture, la FIFA annonce que celui qui portera l'inscription «One Love», avec lequel Granit Xhaka et d'autres capitaines voulaient se présenter, sera sanctionné. La FIFA menace. Du côté de la Nati, on est déçus et prêts à assumer des conséquences financières. Mais si les sanctions étaient de nature sportive, on céderait, déclare le responsable presse Adrian Arnold.
Et c'est ce qui arrive. La FIFA menace de mettre des cartons jaunes aux capitaines. Alors que les Allemands continuent d'impliquer leurs joueurs dans cette «querelle du brassard» (tous se couvrent la bouche lors de la photo de groupe avant le match contre le Japon), les Suisses laissent tomber et se concentrent sur le football.
«Je ferais mieux de ne rien dire»
Et cela fonctionne plutôt bien. Le 24 novembre, la Nati remporte son premier match dans cette Coupe du monde contre le Cameroun (1-0). L'homme du jour est l'attaquant Breel Embolo. Lui qui, justement, est né au Cameroun, où la majeure partie de sa famille vit encore. Par respect, il renonce à exulter. Le match d'ouverture est certes difficile, mais les trois points valent de l'or.
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Quatre jours plus tard, lors du deuxième match contre le Brésil, le plan de Yakin fonctionne parfaitement. Ou presque. Car ce lundi soir, Casemiro met des bâtons dans les roues de la Nati avec un tir sorti de nulle part.
Mais à la fin du match, tout le monde est à peu près satisfait. Ou presque. Le Genevois Denis Zakaria n'a, pour la deuxième fois, pas foulé la pelouse. Alors que le rookie de Young Boys Fabian Rieder était titulaire et que le vétéran bâlois Fabian Frei collectionnent assidûment les minutes. Le joueur de Chelsea est moyennement heureux. «Je ferais mieux de ne rien dire», souffle-t-il en traversant quasiment la zone mixte.
Comme on le craignait depuis le tirage au sort, tout va se jouer contre la Serbie. Ce duel plein d'émotions qui, il y a quatre ans, après la célébration de l'aigle bicéphale et le débat sur la double nationalité, avait ébranlé les fondements de l'Association suisse de football.
Cette fois, tout le monde est prêt. Les binationaux Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri — qui sont déjà assaillis de questions par les journalistes serbes avant le match contre le Cameroun — sont mis à l'écart avant la rencontre. Tous les autres soulignent que seul l'aspect sportif sera au centre de l'attention.
Un virus qui ne se dissipe pas
Mais la Nati a soudain un autre problème. Pour le troisième match de groupe, le gardien Yann Sommer et le défenseur Nico Elvedi doivent déclarer forfait. Alors même que Murat Yakin avait souligné lors de la conférence de presse que tous ses joueurs étaient en forme. Un rhume les met au repos, tout comme le gardien remplaçant Köhn. Et ils ne devraient pas être les seuls.
Fabian Schär est également touché. Et avant le huitième de finale contre le Portugal, c'est aussi le cas du latéral droit Silvan Widmer. Et il y a une information qui n'est pas rendue publique: Manuel Akanji, Ricardo Rodriguez et Granit Xhaka sont eux aussi enrhumés, ils présentent des symptômes grippaux et doivent prendre des médicaments. Avant le match contre la Serbie, la rumeur du Covid circule même. Mais ce n'est pas ce virus — tous les tests reviennent négatifs.
Malgré la vague de grippe, la Suisse remporte le 2 décembre son duel contre la Serbie (3-2) et se qualifie pour la phase à élimination directe pour la troisième Coupe du monde consécutive. Et ce, même sans les gestes de l'aigle bicéphale. Des provocations par-ci, une main sur l'entrejambe par-là, des échauffourées un peu partout. Contrairement à 2018, la commission de discipline de la FIFA n'inflige pas d'amende. Du point de vue suisse, c'est surtout Granit Xhaka, qui malgré les meilleures intentions, se laisse aller à des provocations dans le feu de l'action — et s'en tire avec un simple jaune durant le match.
Le maillot d'Ardon Jashari
A la fin du match, il décide d'enfiler le t-shirt de son coéquipier Ardon Jashari, flocage vers l'avant, pour exulter. Les Serbes se sentent provoqués, car Jashari est aussi le nom d'un ancien combattant de l'indépendance qui a lutté dans les années 90 pour la séparation du Kosovo de la Serbie. La communauté kosovare le célèbre. «Ce n'était pas un message politique, a déclaré Xhaka à la fin du match. Ardon est un garçon que j'apprécie beaucoup. Nous nous voyons tous les jours, nous passons beaucoup de temps ensemble…»
Qu'est-ce qui ressort encore de ce match? Denis Zakaria entre en jeu. Le troisième but suisse est juste magnifique. Et la Nati est qualifiée pour les huitièmes de finale. Mais, le lendemain, tout n'est pas rose, et on le remarque justement chez le buteur. Car la joie de Remo Freuler n'est que modérée. Interrogé sur les provocations de Granit Xhaka, il réagit avec colère. «Je veux parler de football. Si vous voulez parler d'autre chose, la porte est là.» Est-il agacé par les journalistes ou par les gestes de son coéquipier?
Les supporters y croyaient
Ce qui est bien, c'est que contrairement à certains prétendants au titre comme la Belgique ou l'Allemagne, qui rentrent chez eux après le premier tour, nous pouvons continuer à parler de football. En face, en huitièmes de finale, il y a le Portugal. C'est difficile, mais faisable, souffle tout le monde. Les experts, les joueurs, le sélectionneur. Et les supporters de la Nati y croient.
Puis arrive la claque: 1-6! A la fin du match, les joueurs sont frustrés. En quête d'explications, certains se tournent vers le système avec lequel Murat Yakin a lancé son équipe. «Nous avons changé de plan, explique Xherdan Shaqiri. Et cela n'a malheureusement pas fonctionné.» Il est rejoint par son coéquipier Haris Seferovic: «C'est le sélectionneur qui fait la tactique. Qu'est-ce que je peux dire? 1-6… Ça veut tout dire.»
Le capitaine Granit Xhaka, qui ne veut pas entendre de mauvaises questions de la part des journalistes, attribue plutôt les problèmes aux joueurs. «Nous n'avons pas perdu à cause du système. Ne pas courir défensivement et ne vouloir qu'aller vers l'avant, ce n'est pas possible à ce niveau.»
Murat Yakin doit faire le bilan
Même Murat Yakin, qui a presque tout fait correctement durant ses 16 premiers mois à la tête de la Nati, reçoit pour la première fois des critiques. On lui reproche de n'avoir emmené que deux défenseurs latéraux, Widmer et Rodriguez.
Et maintenant, que va-t-il se passer après cette Coupe du monde? Les qualifications pour l'Euro commencent déjà en mars. Avec Shaqiri? Avec Seferovic? Avec Sommer comme gardien titulaire? Avec Xhaka comme capitaine? Murat Yakin aura le temps, dans les prochaines semaines, de tirer les conclusions de l'expédition qatarie.
Le poster de Granit Xhaka orne encore aujourd'hui la skyline de Doha — mais la meilleure Nati de tous les temps est déjà en vacances. Elle a échoué pour la troisième fois consécutive en huitièmes de finale. Il s'agit certainement d'une performance dont on peut se réjouir. Mais pourquoi ne pas être allé plus loin encore cette fois? Notre pays est-il tout simplement trop petit? Les Croates ont prouvé le contraire. Et eux peuvent toujours rêver d'une étoile sur leur maillot…