Alain Geiger, comment vit-on en tant que doyen de la Super League?
Je constate que peu de Suisses sont encore entraîneurs professionnels à 62 ans. Les anciens footballeurs se font oublier en peu de temps.
Cela n’a pas été différent pour vous. Il y a quatre ans, vous avez dû vous-même postuler auprès de Servette...
Quand on est tombé dans l’oubli, il faut être créatif. J’ai répondu positivement à la question de savoir s’il y avait encore suffisamment d’énergie en moi. C’est là que je me suis convaincu que je devais être l’un des candidats.
Êtes-vous tombé dans l’oubli parce que vous étiez en Afrique? Ou parce que votre succès a toujours été limité?
Les résultats n’ont peut-être pas toujours été excellents. Mais j’ai toujours été entraîneur d’un club lorsque celui-ci était en crise. C’était le cas à Grasshopper, où nous avons perdu la finale de la Coupe. Il en a été de même à Aarau et à Neuchâtel. Puis, lorsque je n’ai plus trouvé de travail en Suisse et qu’aucune offre n’est venue de Bundesliga ou de Ligue 1, je suis parti en Afrique. Ce fut une aventure extraordinaire. Même si je n’ai pas gagné des millions…
On vous a également ignoré pour la Nati. Lorsqu’il a été question de la succession de Vladimir Petkovic, le nom de l’homme qui a disputé le deuxième plus grand nombre de matches sous le maillot suisse et qui est entraîneur à succès de l’une des meilleures équipes du pays aurait dû être obligatoirement évoqué...
Apparemment, mais ce n’était pas le cas.
Cela vous a-t-il déçu?
Je suis satisfait de ce que j’ai. Peut-être que ma période en tant qu’entraîneur en Suisse alémanique n’a pas duré assez longtemps. Je serai toujours celui à qui on pense quand on ne trouve personne d’autre.
Cela n’a pourtant pas été très différent dans le cas de Murat Yakin.
D’accord, il était en place à Schaffhouse. Mais il a entraîné à Moscou, dans de grands clubs suisses comme le FC Bâle. Ensuite, il a dix ans de moins et parle beaucoup mieux l’allemand que moi. L’allemand est indispensable pour être entraîneur de l’équipe nationale.
Maintenant, on voit sous Yakin la meilleure équipe nationale de tous les temps. Cela aurait-il été possible sans vous, les pionniers de 1994?
Nous avons déjà réalisé quelque chose d’extraordinaire en nous qualifiant pour un grand tournoi pour la première fois en 28 ans. Il fallait remonter à 1966 pour retrouver la Suisse en phase finale d’une compétition internationale. Depuis, la Nati se qualifie régulièrement. Nous pouvons être très fiers d’avoir replacé la Suisse sur la carte. Sous la direction de Petkovic, une nouvelle étape a été franchie. Et Yakin a même fait oublier Petkovic en un temps record. Petko est parti parce qu’il pensait avoir atteint le maximum. Murat Yakin atteint ce maximum. C’est fantastique!
Qu’est-ce qui vous saute aux yeux quand on compare l’équipe de 1994 à celle d’aujourd’hui?
À l’époque, il y avait deux fois plus de joueurs dans le championnat local qu’à l’étranger. Aujourd’hui, tout le monde évolue dans un grand championnat depuis quelques années déjà. Mais Stéphane Chapuisat jouait à Dortmund, l’une des meilleures équipes du monde à l’époque. Cela inspirait un respect incroyable à tout le monde. Aujourd’hui, nous en avons plusieurs qui jouent dans de grands clubs. Depuis des années, la Suisse fait partie des douze meilleures nations du monde.
Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, qui viennent d’atteindre les 100 matches avec la Nati, vont vous faire tomber du podium des joueurs les plus capés en équipe nationale...
Bien sûr que oui! Ils me rattraperont bientôt. Et ils feront aussi tomber le record de Heinz Hermann qui, avec 118 sélections, a joué six matches de plus que moi.
Quels sont vos souvenirs de la Coupe du monde 1994?
Nous étions en colère contre l’entraîneur, Roy Hodgson, parce qu’il allait toujours jouer au golf alors que nous devions rester dans nos chambres climatisées à cause de la chaleur – il faisait alors 42 degrés à Detroit. Mais c’est le droit de l’entraîneur. Si le golf ou les jeux de cartes lui font du bien – allez-y, je vous en prie.
Quelles libertés vous accordez-vous en tant qu’entraîneur?
Aucune, en fait. Je vis toute la journée pour le football. Je regarde souvent cinq à six matches par jour.
Qu’en pense votre épouse?
J’ai la chance que ma femme soit extrêmement compréhensive. Nous, les footballeurs, n’avons pas de week-ends. Et les enfants n’ont pas non plus la chance de passer des vacances d’été avec nous. Mais nous sommes mieux payés que les autres. Le salaire moyen en Super League est de 13’600 francs. Nous n’avons pas beaucoup évolué depuis les années 1980. En revanche, ce qui se passe à l’étranger est excessif.
Mais à l’époque, c’était aussi excessif à Genève. Comment Servette est-il devenu un modèle, après deux faillites?
La Suisse est un modèle de stabilité. Servette ne l’était pas. Depuis quatre ans, ce sont les mêmes personnes qui sont aux commandes, beaucoup de Genevois, ce qui conduit à la stabilité. Nous avons aussi toujours été vigilants, car dans un championnat à dix équipes, il faut toujours bien marquer ses points, sinon on se retrouve vite en deuxième partie de tableau.
Servette a été la risée de Genève pendant des décennies...
Absolument! Mais aujourd’hui, nous inspirons confiance. Servette est perçu de manière totalement différente.