Vaud présente 36 mesures
Christelle Luisier: «Le sport touche tous les domaines de la société»

L'année 2025 sera charnière pour le sport dans le canton de Vaud, dont le Conseil d'Etat présente 36 mesures phares et 150 millions de francs de subvention. L'idée directrice: améliorer les infrastructures sportives cantonales, mais aussi penser le sport différemment.
Publié: 08:35 heures
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Dernière mise à jour: il y a 50 minutes
Photo: keystone-sda.ch
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Le Conseil d'Etat vaudois présente au Grand Conseil un plan d'action comprenant 36 mesures pour améliorer et solidifier la place du sport dans le paysage cantonal. Ces mesures font partie du contre-projet à l'initiative populaire nommée «Pour une politique sportive vaudoise ambitieuse!». Ce plan d'action a été élaboré en fonction des retours de la consultation publique et comporte un financement annuel de près de 72 millions de francs au bénéfice du sport vaudois. L'occasion rêvée pour Blick de s'entretenir avec Christelle Luisier, présidente du Conseil d'Etat et cheffe du Département des institutions, du territoire et du sport.

Christelle Luisier, l'Euro 2025 qui arrive va, tout le monde l'espère, faire grandir le nombre de footballeuses dans le canton. Or, aujourd'hui, une petite fille qui habite Gingins, Roche, Corcelles-près-Payerne ou même Lausanne, trouvera un club dans son village ou sa ville, des entraîneures et entraîneurs passionnés, mais pas forcément un terrain ou des vestiaires. Comment y remédier?
La question des infrastructures est en effet centrale et c'est l'une des priorités qui ressort de notre grande consultation. Des sondages ont été effectués auprès des clubs qui révèlent ce que l'on pressentait déjà: des jeunes se retrouvent sur des listes d'attente, que ce soit pour le football ou d'autres sports. Vous parlez des jeunes footballeuses et vous avez particulièrement raison, mais c'est le cas pour le hockey aussi par exemple. Ce sujet est au coeur de nos préoccupations et du contre-projet du Conseil d’Etat puisqu’il fait l’objet de deux crédits-cadres pour un total, sur 6 ans, de 150 millions de subventions pour la construction d’infrastructures à vocation régionale.

Justement, ce contre-projet définitif vient d'être lancé. Pourquoi précisément aujourd'hui?
Il y a plusieurs facteurs. C'est vrai qu'il y a cette initiative dite des «1% pour le sport» dans le canton de Vaud. Et puis, avec le début de la législature, on s'est demandés comment repenser cette politique du sport dans le Canton, à l'aune de cette initiative, mais pas seulement. On ne voulait pas partir d'un montant et s'y tenir, on voulait penser plus large.

L'initiative demandait 100 millions, pourtant.
Avant de dépenser un franc, il faut déjà pouvoir le gagner. Et puis, il y a un point fondamental: la politique sportive relève d'abord du secteur privé, des fédérations, des clubs, des individus, des entreprises pour le sponsoring. Mais nous, le secteur public, avons un rôle prépondérant à jouer en ce qui concerne les infrastructures. Je vais le formuler ainsi: la Commune, le Canton et un peu la Confédération, nous avons un rôle subsidiaire. Par contre, nous pouvons jouer un rôle d'unification.

Comment, précisément?
Ce que je trouve particulièrement important est de construire cette «maison du sport» de manière transversale. C'est pour cela que la première chose que l'on a voulu mettre sur pied, c'est un concept cantonal de l'activité physique et du sport. Pour une raison toute simple: le sport, c'est un concept plus large que le sport au sens du club et de l'association. Le sport, c'est le mouvement, et il a pris beaucoup d'importance dans la société. Avant, on parlait beaucoup de formation des jeunes...

Ce n'est plus le cas?
Si, c'est une priorité. Mais aujourd'hui, on peut inclure le sport dans les domaines du tourisme, de l'économie, mais aussi de la santé et de l'inclusion. Il y a une nécessité, quand on parle de sport, de travailler de manière transversale. Alors, pour poser les bases de ce concept cantonal, on a réuni tout le monde: les communes, les enseignants, les fédérations, toutes les personnes qui sont en lien avec le sport. Il faut casser les silos. Le sport fait partie de la société.

Dans le canton de Vaud, il fait partie de la politique aussi, avec toutes les institutions qui y ont leur siège. Dont le CIO et l'UEFA, deux des plus puissantes du monde.
Le canton de Vaud est un canton où le sport a de multiples facettes, vous avez raison. Aujourd'hui, nous avons 180'000 personnes qui sont membres d'un de nos 1200 clubs sportifs. 58 fédérations internationales se trouvent sur notre territoire, ce qui représente 800 millions de francs de retombées économiques par année. Cela fait partie de notre éco-système et nous l'avons pleinement pris en compte dans cette «vision 2035» qui regroupe les axes transversaux que sont la santé, l'environnement, l'inclusion et l'intégrité.

Et pour le sport, à proprement parler, quels sont les axes?
Il y en a cinq. Le sport populaire et l'activité physique, l'éducation physique, le sport scolaire et parascolaire, le sport international qui est vraiment une spécificité vaudoise, le sport d'élite et la promotion de la relève, et puis les infrastructures, un thème central comme nous en avons parlé en début de conversation. Notre volonté claire est de subventionner de manière importante les communes ou les clubs qui souhaitent construire des infrastructures d'importance régionale, avec des critères à respecter bien sûr.

Concrètement, comment votre contre-projet va-t-il aider les communes? Prenons un exemple: Suchy n'a pas de vestiaires pour son équipe de foot. Comment le club peut-il profiter de l'aide cantonale?
La première chose, c'est qu'il faut que le Grand Conseil valide ce décret, bien évidemment. C'est la première étape du processus démocratique. Ensuite, chaque commune ou chaque club pourra déposer un projet et s'il est éligible par rapport aux critères du décret, alors on avancera. Notre objectif est vraiment d'avoir un maximum de projets qui se lancent dans les prochaines années. Les subventions seront largement plus importantes qu'aujourd'hui. Et ensuite, les clubs peuvent évidemment compléter avec le Fonds du sport, des fonds privés, et l'aide de la Confédération pour les infrastructures d'ordre national.

Parmi les 36 mesures figure l'importance d'avoir plus de championnats nationaux. Est-ce à dire que le canton de Vaud renonce aux événements internationaux?
Pas du tout, non. Pourquoi serait-ce le cas?

J'ai assisté à une conférence de presse de l'UEFA voilà quelques jours et j'ai demandé pourquoi Lausanne n'était pas l'une des dix villes hôtes de l'Euro 2025. Sion et Thoune y sont, par exemple. La réponse qui m'a été donnée était que Lausanne ne pouvait pas assumer deux grands événements l'un après l'autre. J'avoue que j'ai trouvé la justification un peu étrange.
C'est vrai que des décisions ont été prises voilà quelques années déjà. Et c'est vrai qu'avoir la Fête fédérale de gym la même année, c'est tellement énorme que c'était un peu compliqué d'enchaîner, d’autant plus que, toujours l’an prochain, se tiendra dans notre canton la Coupe du monde de basket M19. En revanche, Lausanne et nous, le Canton, avons tout un programme d'activités pendant l'Euro pour mettre le football féminin en valeur. Nous pouvons également subventionner des communes qui mettraient en place des activités physique en lien avec le football sur des sites de fanzone, par exemple, et soutenir des projets bien précis en lien avec l'héritage du football féminin, comme nous le faisons déjà pour Honeyball.

Comment allez-vous faire pour convaincre les décideurs d'organiser leurs grands événements dans le canton de Vaud, qu'ils soient nationaux ou internationaux? Vous avez une cellule de lobbying? Ou c'est votre travail, personnellement?
C'est un tout, il n'y a pas de recette toute faite. Certaines fédérations peuvent s'approcher de nous, sinon nous pouvons les contacter de manière proactive. Ensuite, il faut une bonne collaboration avec les villes-hôtes, en premier lieu Lausanne bien sûr, qui accueille beaucoup de manifestations. Nous avons toujours travaillé de cette manière et ça fonctionne.

Pourquoi ces manifestations sont-elles aussi importantes?
Pour plusieurs raisons, mais si je devais en mettre une en avant, ce serait toutes les activations que l'on peut faire autour et l'héritage qu'elles laissent. On peut ainsi avoir une sorte de relais entre le sport d'élite et le sport populaire et ces manifestations le permettent. On en revient à votre toute première question. Oui, l'Euro, c'est bien. Mais derrière, comment on enchaîne? C'est aussi le but de ces 36 mesures, mettre en place un plan d'action qui aille de l'élite jusqu'à la base, y compris en dehors des clubs. Toucher la population dans son entier.

Si le canton de Genève organise quelque chose, c'est à Genève. A Bâle la même chose. Le canton de Vaud, c'est un peu plus que Lausanne. Aimeriez-vous que Vevey, Nyon et Yverdon puissent renforcer leur attractivité, même si des manifestations y sont déjà organisées bien sûr?
Bien sûr. Vous oubliez d'ailleurs dans votre question les sports d'hiver, où nous avons aussi une carte à jouer. Après, bien sûr, il y a une question de moyens financiers et d'infrastructures, mais aussi d'envie.

Ce contre-projet, il est parfait pour vous? Ou vous avez eu des contraintes qui vous ont obligé à le modifier contre votre gré?
Bon, la première contrainte, elle est financière, déjà. Et puis, comme je vous l'ai dit, le rôle de l'Etat n'est pas d'organiser, de gérer et de financer tout ce qui touche au sport, qui est un milieu associatif qui fonctionne très bien. Par contre, un point important, c'est qu'on va pouvoir financer SportVaud, l'association faîtière des fédérations de sport au niveau cantonal.

Comment? En salariant les bénévoles?
Non. Nous proposons de créer un centre d'appui aux clubs et aux associations cantonales dans le domaine administratif, pour tout ce qui touche aux lois, aux finances, à la TVA, au bénévolat... Cette mesure-là, elle est venue du terrain, comme toutes les autres. Il y a le souci des infrastructures, bien réel, mais une problématique qui est aussi remontée, c'est celle de la complexification de l'administration. En créant ce centre d'appui, financé par l'Etat, on va aider grandement les clubs.

Est-ce que vous aimez le système français? L'entraîneur des jeunes footballeurs ou rugbymen à Pontarlier est un employé communal comme celui de la voirie ou celui qui fait la circulation...
Je pense que vous l'avez compris dans mes réponses précédentes, je suis favorable au domaine privé. Et je pense que les clubs aussi ont envie de garder leur indépendance. Par contre, on doit prendre conscience qu'aujourd'hui, ça devient extrêmement difficile avec le bénévolat pour les clubs et donc qu'on doit les aider afin qu'ils puissent garder le dynamisme qui fait leur force. Et même le développer.

Il y a quand même une sacrée évolution... Je me rappelle qu'il y a quelques années, votre ex-collègue Pascal Broulis voulait venir taxer les clubs de sport qui rémunéraient les entraîneurs ou les joueurs. Il a fait machine arrière, mais aujourd'hui, je sens dans votre discours qu'il y a une réelle volonté de les accompagner.
Il y a en tout cas une volonté de se dire que le monde sportif au sens large est nécessaire à la vie en société et qu'il touche énormément de domaines. La santé, la santé physique, la santé mentale, l'économie du tourisme... On doit poser des conditions-cadre qui soient favorables à ce développement. Le sport populaire, le sport d'élite, le sport à l'école, le sport international. On veut avoir cette transversalité-là.

Le modèle de petit club de village, quel que soit le sport, il a vécu pour vous? Il faut fusionner tout le monde, comme les communes?
Non, pas nécessairement fusionner les clubs. Par contre, il y a une nécessité de coordination par rapport aux infrastructures existantes et à venir. On doit optimiser. On ne pourra pas le faire partout. Donc, pour répondre concrètement, oui, le petit club de village peut continuer à exister, mais il devra se coordonner avec ceux de sa région. On n'aura pas une immense infrastructure dans chaque village, ça n'aurait aucun sens.

Mais même un petit club a besoin d'infrastructures... Excusez-moi, j'insiste un peu, mais la spécificité du FC Corcelles-près-Payerne, c'est justement qu'il joue à Corcelles-près-Payerne. S'il doit jouer sur les terrains de Payerne, autant acter sa disparition et le fusionner avec le Stade Payerne, ce sera moins hypocrite.
Il y aura toujours des terrains locaux, je vous rassure, mais il y a une nécessité de coordination régionale et de planification régionale. Sans quoi, on risque de devoir refuser des jeunes encore dans le futur, ce qui est justement ce qu'on veut éviter. C'est vous-même qui l'avez dit au début!

Qui dit planification, dit Loi sur l'aménagement du territoire. Là aussi, il y a de grandes contraintes, non? Construire une nouvelle grande salle, c'est potentiellement impossible dans certains villages...
Oui, c'est un enjeu majeur. C'est pour cela que je vous parle de l'importance de la régionalisation pour trouver des terrains sur lesquels on puisse construire! Il y a une nécessité que les clubs se parlent, que les communes se parlent et que l'on puisse avoir une planification, une sorte d'inventaire cantonal, que l'on n'a toujours pas d'ailleurs. On ne pourra pas faire une grande infrastructure dans chaque commune, pour des raisons financières comme d'aménagement du territoire et de zones disponibles.

Parlez-moi un peu du sport populaire si vous le voulez bien... Ca veut dire quoi, concrètement? Des installations sportives en pleine rue? On pourra faire des tractions sur une barre en attendant son train?
Effectivement, ça s'appelle le sport en libre service! L'idée, c'est de favoriser le mouvement au sens large et c'est clairement quelque chose que l'on veut accompagner. C'était un peu moins présent il y a quelques années, mais il y a des changements de société qui sont bénéfiques, comme soutenir la politique sportive pour les personnes handicapées ou nos aînés. On est plus en forme si on fait du sport tout au long de sa vie. Mais comme je vous l'ai dit, ce contre-projet, ce n'est pas que le sport populaire ou que le sport d'élite, c'est le sport dans son ensemble, de manière transversale.

Venons-en donc aux fédérations internationales. Comment les convaincre de rester? Ou même de venir?
On souhaite donner au Canton la possibilité d'être plus concurrentiel dans l'installation et la pérennité des nouvelles fédérations et organisations sportives internationales. Cela passe par des moyens financiers, mais sans aller trop loin. On ne va jamais régater avec d'autres pays à ce niveau-là. Par contre, elles participent au rayonnement du canton. Avoir des fédérations installées chez nous, ça fait partie de la diplomatie dans le sport, c'est un plus indéniable.

Justement, si la Fédération internationale de gymnastique ou de volleyball vient vers vous et vous dit que, d'accord, le Léman c'est joli et les filets de perches sont les meilleurs du monde, mais que l'Arabie saoudite c'est sympa aussi pour y avoir son siège international, vous lui répondez quoi?
Nous avons des arguments en termes d'accompagnement et d'installation, notamment en termes de fiscalité, autant de données qui sont connues. On ne va pas aller au-delà de ce que l'on fait aujourd'hui. Mais on va renforcer les moyens.

Quelle ligne rouge ne franchirez-vous jamais?
On sait que, par exemple, des pays voisins souhaitent défiscaliser les collaborateurs des fédérations. C'est quelque chose que l'on ne fera jamais. Mais on peut accompagner avec des aides au moment de l'installation dans les bâtiments, pour les loyers ou des choses comme ça, on peut aider afin de trouver des logements pour les collaborateurs. Nous misons sur nos compétences et sur l'écosystème du canton de Vaud. Nous avons le CIO, c'est un élément phare pour les fédérations, et puis les hautes écoles, l'université, l'EPFL... En termes d'innovation et de recherche, ce sont des éléments très intéressants. Nous avons aussi des compétences en termes de durabilité, nous avons l'Observatoire mondial pour les femmes et le sport, autant d'éléments qui prennent de plus en plus d'importance dans le sport international et qui jouent en notre faveur. La neutralité de la Suisse, son accueil et ses conditions de vie sont un atout que l'on peut mettre en avant. En revanche, si la question est purement d'ordre financier, c'est sûr qu'on ne va pas pouvoir régater et qu'on n'entrera pas compétition avec d'autres pays si ce critère est le seul absolument déterminant. Nous n'allons jamais entrer dans le jeu de la surenchète.

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