En ce lundi de février, les combattants du White Tiger MMA Club poussent un à un la porte d’une salle étroite, nichée dans le quartier lausannois de Sébeillon. Ils viennent là chaque soir, ils sont pour la plupart écoliers ou étudiants et se saluent tour à tour, y compris le photographe et le journaliste inconnus. Ici on est poli, respectueux, focalisé sur la performance.
Le coach est à cette image. Champion d’Europe de lutte, arrivé de Russie il y a quinze ans, Isa Usupov a dû arrêter son sport après une non-participation aux Jeux de Tokyo. De la lutte, il a gardé la physiologie trapue et puissante, jusqu’aux oreilles chiffonnées par les prises et les frottements. Franc et direct, désormais coach national suisse, il fixe droit dans les yeux, avec l’envie de faire connaître le redoutable MMA, qui envahit les téléphones et les réseaux sociaux à coups de vidéos souvent sanglantes mais reste largement méconnu en Suisse.
C’est ce coach entreprenant qui a contacté notre rédaction, c’est lui qui veut faire savoir qu’un événement d’importance et peut-être fondateur se prépare. Mi-février, ces huit combattants, tous lausannois, qui viennent d’entrer dans cette salle de faubourg du chef-lieu vaudois vont en effet s’envoler pour Belgrade et les Championnats d’Europe. Avec leurs proches, ils seront une quarantaine dans l’avion, de l’ambition plein les bagages. Ils n’y vont pas pour rien, ils parlent de médailles. Quelques-uns d’entre eux visent même les Mondiaux, en fin d’année.
Habits sombres, phrases brèves, sourires vifs, ils s’échauffent. Quatre couples se forment, selon les âges et les caractéristiques techniques. Peu à peu résonne le bruit sec et rapide des coups et des prises, dans un univers de cuir et de plastique et l’odeur poivrée de la sueur et de l’effort. Les regardant, Isa dit: «Notre préparation consiste surtout à amener l’adversaire par terre, à le soumettre et à provoquer le moins de dégâts possible.» Il explique que les combattants en MMA sont en majorité issus du monde de la lutte: «Les lutteurs s’adaptent plus facilement que les boxeurs, les strikers. Ce n’est pas la meilleure idée de se taper dans le visage si l’on veut durer. En termes d’efficacité, rien de mieux que la lutte.»
Il ne faut pas se tromper d’adresse. Quand le coach voit de jeunes excités débarquer «pour la bagarre», comme ils disent, il assure qu’il commence par leur donner du matériel pour qu’ils ne se blessent pas. «Souvent, ils ne reviennent pas. Une personne dans l’émotion et l’agressivité ne va pas loin dans un tel sport de combat.» Surgit l’exemple du fameux champion fribourgeois Volkan Oezdemir, parfaitement discret à la ville et qui se transforme en volcan, justement, dès qu’il pénètre dans la fameuse cage octogonale où le combat fait rage.
Confession de combattant
Pendant ce temps, l’entraînement s’est arrêté. Pause d’une heure. Le combattant Dylan Bamatter, 23 ans, récupère. Il représente une des chances de médaille les plus solides et parle d’une voix assurée, tandis que ses camarades l’écoutent: «Avant que je commence le MMA, j’étais quelqu’un qui se sentait faible, autant physiquement que moralement. Du harcèlement à l’école avait détruit une partie de mon estime de moi. J’ai aujourd’hui réappris à me respecter et à m’aimer. J’ai découvert que j’étais capable d’être fort devant un défi difficile et douloureux.»
Son histoire, il la raconte d’une traite. Il y a quelques années, il suivait l’école du Cirque du Soleil, au Canada, quand une grave blessure aux vertèbres l’a privé de son rêve de devenir acrobate, alors qu’il avait accompli le plus dur du chemin. Devant ce crève-cœur, il s’est rappelé combien, plus jeune, il appréciait les sports de combat, les cascades dans les films. Il a choisi le MMA pour le côté radical, le risque absolu. «Nous sommes les gladiateurs des temps modernes et ce n’est pas forcément une partie négative du sport. C’est ce que les gens veulent voir et ce qui rend ce sport pas accessible à tous. C’est dur, et le fait d’être capable de rentrer dans la cage malgré la peur et d’en ressortir, vainqueur ou gagnant, est quelque chose de très valorisant.»
Un violent sport de combat qui gagne en notoriété. Le MMA, pour mixed martial arts, associe plusieurs disciplines, judo, boxe thaïlandaise, boxe anglaise, jiu-jitsu brésilien, sambo, lutte. Pratiqué dans une cage fermée en forme d’octogone, il autorise les coups de pied, de poing, de genou et de coude, mais aussi les coups au sol. Avec certaines interdictions: coups de tête, coups derrière la tête et dans les parties intimes. Le vainqueur est désigné par KO, immobilisation ou décision des juges. Légalisé en France seulement en 2020, il connaît le même engouement en Suisse et a envahi les réseaux sociaux à travers sa compétition phare, l’UFC, qui regroupe quelques centaines de combattants, dont la star irlandaise Conor McGregor, et organise des combats aux cachets à six chiffres. Le MMA a pris d’autant plus d’ampleur que le président de l’UFC, Dana White, est un proche de Donald Trump et vient d’être nommé au conseil d’administration de Meta (Facebook, Instagram, etc.) par Mark Zuckerberg, autre adepte de MMA. En 2023, Elon Musk a même proposé d’affronter ce dernier dans une cage…
Un violent sport de combat qui gagne en notoriété. Le MMA, pour mixed martial arts, associe plusieurs disciplines, judo, boxe thaïlandaise, boxe anglaise, jiu-jitsu brésilien, sambo, lutte. Pratiqué dans une cage fermée en forme d’octogone, il autorise les coups de pied, de poing, de genou et de coude, mais aussi les coups au sol. Avec certaines interdictions: coups de tête, coups derrière la tête et dans les parties intimes. Le vainqueur est désigné par KO, immobilisation ou décision des juges. Légalisé en France seulement en 2020, il connaît le même engouement en Suisse et a envahi les réseaux sociaux à travers sa compétition phare, l’UFC, qui regroupe quelques centaines de combattants, dont la star irlandaise Conor McGregor, et organise des combats aux cachets à six chiffres. Le MMA a pris d’autant plus d’ampleur que le président de l’UFC, Dana White, est un proche de Donald Trump et vient d’être nommé au conseil d’administration de Meta (Facebook, Instagram, etc.) par Mark Zuckerberg, autre adepte de MMA. En 2023, Elon Musk a même proposé d’affronter ce dernier dans une cage…
Oui, mais donner et encaisser des coups, quand on vient de l’innocente gymnastique? «J’ai dû énormément travailler là-dessus avec mes coachs. Or, quand on réfléchit bien, recevoir des coups n’est pas aussi douloureux que ce qu’on peut imaginer. Souvent, on souffre plus dans notre imagination. Et je ne combats pas pour blesser ou faire mal. J’essaie de marquer des points.» Il ne s’avoue pas violent à la base. Son style est basé sur ce qu’on appelle le grappling: «Au lieu de frapper, j’ai tendance à essayer d’amener mes adversaires au sol et à les soumettre, un style qui correspond à ma personnalité.» Il nourrit ses réseaux sociaux, une obligation dans ce sport. Accepte les blessures presque inévitables, des élongations, des entorses. Aime que son club compose une famille solidaire.
A cause de Netflix
Le MMA, Dylan Bamatter le sait, c’est aussi les images de ses adeptes milliardaires Trump, Musk ou Zuckerberg, le masculinisme triomphant. «Je préférerais que le sport ne soit pas politisé, cela le dénature un peu. Cela dit, on ne peut pas l’éviter tant que des gens mettent de l’argent dedans, qu’ils donnent de la visibilité. Je sais que beaucoup détestent ce sport. Je peux le comprendre, mais pas qu’ils ne se soient pas renseignés au préalable.»
Sur le même sujet, le coach Usupov rejoint son combattant: «Il est très intéressant pour nous de voir le soutien de gens comme Trump, Musk ou Zuckerberg, qu’on n’imaginait pas aimer ce sport. Que des personnes connues soient ainsi captivées nous booste et nous valorise. Mais ce qu’ils pensent ne nous concerne pas du tout.» La réputation du MMA enfle: ils ne sont pas rares, les jeunes qui veulent s’inscrire parce qu’ils ont regardé la célèbre série Netflix La cage. Il a ainsi vu arriver un garçon de 13 ans qui voulait absolument ressembler au héros de ce film.
Isa Usupov est d’abord un sportif, bourré de projets. «A l’avenir, j’aimerais qu’à Lausanne, comme à Paris, il y ait des gros clubs, pourquoi pas des combattants de l’UFC. Nous en serions capables.» La preuve, il prévoit de déménager dans trois mois dans une salle six fois plus grande, au centre de la ville. Avec de la formation, des débutants et même des enfants à qui on apprendra à surmonter leurs peurs. Une folie dans un sport aussi brutal? «Honnêtement, on fait très attention, déjà durant les entraînements, avec beaucoup de récupération. Cela dit, les blessures peuvent arriver. Si elles sont bénignes, on essaie de ne pas en faire un drame, de calmer.»
L’entraînement se termine et le groupe, fourbu, s’assied sous le dessin de tigre blanc qui envahit une des parois. Cela débriefe avec sérieux, cela cause sans hausser le ton. Ce sport colle peut-être à notre époque sans pardon.
Cet article a été publié initialement dans le n°08 de L'illustré, paru en kiosque le 20 février 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°08 de L'illustré, paru en kiosque le 20 février 2025.