La Gruérienne à toute vitesse
Karen Gaillard emmène son père à Daytona ce week-end

C'était le rêve de son père Eric: participer aux mythiques 24h de Daytona. Ce week-end, Karen Gaillard va l'exaucer au volant d'une Porsche 911 GT3 RSR, devenant la première Fribourgeoise à prendre le départ de cette course légendaire depuis... Jo Siffert en 1968!
Publié: 25.01.2025 à 09:22 heures
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Dernière mise à jour: 25.01.2025 à 10:34 heures
Karen Gaillard est impatiente de prendre le départ ce week-end sur le mythique circuit de Daytona.
Photo: D.DELIEN
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Un homme sera particulièrement fier ce week-end sur le mythique circuit de Daytona, en Floride, et risque de ne pas beaucoup dormir durant les vingt-quatre heures que dure l'une des courses les plus célèbres du monde. Son nom: Eric Gaillard. Sa fonction durant la durée de la course: premier supporter de sa fille Karen, très énergique jeune femme née en 2001 à Pont-la-Ville, en Gruyère. «Il ne me dit jamais qu'il est fier, parce qu'il ne veut pas que je m'endorme et que je m'arrête là, mais je peux le rassurer: il n'y a aucun risque», sourit sa fille, qui sera la première Fribourgeoise à participer aux 24 heures de Daytona depuis... Jo Siffert, vainqueur en 1968! Un sacré honneur et une belle étape dans le début d'une prometteuse carrière.

«Je ne me sens pas spécialement stressée»

57 ans plus tard, la sucesseure du grand champion Jo Siffert a donc pour nom Karen Gaillard, intrépide pilote, qui s'apprête à prendre le volant ce week-end à Daytona en tant que quatrième pilote de l'équipe Iron Dames. Elle partagera le volant d’une Porsche 911 GT3 RSR avec Rahel Frey, Michelle Gatting et Sarah Bovy. «Elles sont toutes trois très expérimentées et j'ai beaucoup à apprendre d'elles. Mais je ne me sens pas spécialement stressée, bizarrement! J'ai surtout envie de bien faire et de bien tenir ma place. Je serai bien entourée, ça c'est sûr», explique la Gruérienne, très déterminée.

Un écran géant chez DIMAB à Rossens!

DIMAB propose à tout un chacun de vivre la course de Daytona en direct sur grand écran, le samedi 25 janvier et le dimanche 26 janvier, dans la concession DIMAB à Rossens.

DIMAB accueillera tout le monde dès samedi à 18h30 jusqu’à dimanche 19h, sans interruption! Un moment historique, à vivre en groupe.

DIMAB propose à tout un chacun de vivre la course de Daytona en direct sur grand écran, le samedi 25 janvier et le dimanche 26 janvier, dans la concession DIMAB à Rossens.

DIMAB accueillera tout le monde dès samedi à 18h30 jusqu’à dimanche 19h, sans interruption! Un moment historique, à vivre en groupe.

Si cette course est aussi spéciale pour elle, c'est également parce qu'il s'agit de la course préférée de son père, lequel, ancien pilote amateur, n'a jamais pu y courir, mais s'y est déjà rendu une fois en tant que spectateur. «Pour lui, c'est encore plus mythique que Le Mans. Il était encore plus heureux que moi quand il a su que j'allais rouler là-bas! Me dire que c'est grâce à moi qu'il y retourne aujourd'hui, c'est un sentiment spécial», avoue Karen Gaillard, qui n'a plus fait de courses d'endurance de vingt-quatre heures depuis 2021. «Je ne suis vraiment pas une habituée de ce format et il faudra bien l'apprivoiser», explique celle qui passe actuellement une semaine entière à Daytona avant la course, afin de bien prendre ses marques. Arriver à dormir et à se reposer malgré l'excitation sera un enjeu, mais elle explique avoir un avantage: «Je peux m'endormir à tout moment et n'importe où! Mais c'est vrai que ce sera nouveau, je ne sais pas comment ça se passe avec le bruit, par exemple, si l'on peut vraiment s'assoupir ou pas, mais je pense que oui!»

Forte quand il fait nuit

Autre avantage que la jeune femme a sur bon nombre de concurrents: elle aime conduire en pleine nuit, ce qui n'est pas le cas de tout le monde, et est un vrai atout dans une course de vingt-quatre heures. «Et j'apprécie aussi quand il y a le coucher de soleil. Beaucoup de pilotes se plaignent de la visibilité avec le soleil rasant, mais pas moi. Je suis à l'aise dans ces conditions», explique-t-elle sans forfanterie.

La mythique course sera relevée cette année encore avec la présence de plusieurs grands noms du sport automobile comme, par exemple, Romain Grosjean et Daniil Kvyat, pour ne citer que ces deux-là. Pour rajouter encore un peu de prestige à sa première participation à cette épreuve, Karen Gaillard a d'ailleurs gagné le droit de dire qu'elle a obtenu son ticket par la seule force de son mérite.

Photo: Alexis Goure

«En fin d'année dernière, après la dernière manche en GT3 à Portimao, des tests étaient organisés. Porsche m'a proposé de faire ce que l'on appelle des rookies test dans la 911 GT3. Je venais de faire la saison sur la Lamborghini Huracan Evo II, mais je les ai surpris sur cet essai un peu improvisé, ils ne pensaient pas que je ferai ce que j'ai fait. Ils m'ont proposé un test à Daytona, sur le circuit même, et après ils m'ont annoncé que c'était bon», explique-t-elle en toute humilité, très fière d'avoir été choisie, mais sans en faire une fin en soi.

Première face à 1500 concurrents en kart

Il faut dire que les étapes viennent les unes après les autres très rapidement pour la pilote gruérienne, qui a commencé le sport automobile relativement tard. «Ma première compétition en X30, c'était à 17 ans. J'ai fait un an de kart et après j'ai gagné l'AutoScout24 Young Driver Challenge en 2019 face à 1500 concurrents en Suisse. Je ne m'attendais pas à gagner, honnêtement, je me suis inscrite au challenge parce que c'était gratuit et que je voulais prendre de l'expérience, mais ça m'a vraiment lancée. Ensuite, je suis passée dans la voiture.»

«Je me suis dit: 'Il y a des filles, c'est cool!'»

Tout a commencé par le kart, donc, grâce à Eric Gaillard, le papa. «La première fois que je suis allée le voir, j'avais 10 ans et j'ai tout de suite su que c'était ce que je voulais faire. Il y avait deux filles qui avaient à peu près 14 ans et qui roulaient dans la même équipe que lui. Je me suis dit: 'il y a des filles, c'est cool!' et j'ai voulu faire comme elles. Depuis que j'ai vu cette course, j'ai su que je voulais faire ça et je le voulais vraiment. Quand je fais quelque chose, je ne le fais jamais à moitié. Quand je dis: je veux faire ça, c'est que je le veux vraiment. Et je veux que ce soit mon métier.»

Photo: Iron Dames

Si l'ascension de la Gruérienne est fulgurante et que six ans après les débuts en kart, Daytona frappe déjà à la porte, c'est bien parce que la pilote a un sacré coup de volant et pas mal de caractère, avec une agressivité remarquable sur la piste, une qualité doublée d'une ténacité indéniable et d'une appréciable volonté de jamais rien lâcher. Et elle possède une autre qualité essentielle: le travail ne lui fait pas peur.

«Je suis comme ça dans chaque aspect de ma vie. Je veux tout le temps être devant. Quand on fait la file, que ce soit n'importe où, je veux être en première place. A l'école, que ce soit au sport ou dans tout, je voulais partout être la meilleure.» Tout l'enjeu est de faire cohabiter ce tempérament avec une prise de risque calculée pour bien savoir quand attaquer et quand patienter sur la piste. «Tout ça, ça s'apprend», acquiesce-t-elle.

Une formation à l'hôpital

Si aujourd'hui elle se définit comme «semi-professionnelle», Karen Gaillard veut se donner les moyens de faire le grand saut et de vivre de sa passion. «Je vis chez mes parents, ils me soutiennent et m'aident beaucoup. Ils ont voulu que j'aie une formation, c'était la condition pour que je puisse faire du sport auto. Ensuite, je pouvais faire ce que je voulais. Donc j'ai fait assistante en soins et santé communautaire à l'école de Grangeneuve, avec la maturité professionnelle intégrée. J'ai commencé à travailler quelques mois à l'hôpital de Fribourg, mais ça s'est vite avéré compliqué. Je n'étais pas souvent là, puisque je dois passer beaucoup de temps à trouver des partenaires et à me préparer physiquement, sans même parler des courses. Donc je me suis dit que j'avais mon papier, ma sécurité, et que je pouvais m'arrêter là pour me consacrer à l'automobile. Cela fait plusieurs années que je n'ai pas remis la blouse.»

Photo: Davy Delien

L'hôpital est donc mis de côté, la vie privée aussi («aujourd'hui, ce n'est pas une priorité du tout»): seul compte le circuit. Estime-t-elle avoir tout sacrifié pour sa réussite? «Je ne le vois pas comme ça, parce que c'est ce que je veux et que je fais ce qu'il faut pour atteindre mes objectifs.» Au niveau de l'hygiène de vie, elle explique ne «presque jamais boire d'alcool» et faire attention à l'alimentation. «C'est juste, mais en même temps, j'ai toujours mangé de tout. Et j'ai de la chance, apparemment je dois même reprendre du gras en ce moment, donc je peux me faire un peu plaisir (rires)!»

La voilà donc sur la route de son premier grand objectif, celui de devenir pilote professionnelle. Le deuxième, qui n'est plus un rêve, mais est bien dans le viseur: courir au Mans. «J'ai déjà pu rouler sur le circuit, en ouverture. Mais participer à la course, c'est autre chose. J'ai vraiment envie de le faire.» Ensuite, le WEC, le DTM, l'hypercar... La course automobile a ceci de fascinant que le champ des possibles est large.

Plus en sécurité sur le circuit que sur la route

Conduire sur un circuit est une chose, le faire sur la route en est une autre. «Le garage DIMAB, mon partenaire principal, me met une BMW M2 à disposition pour la vie de tous les jours. Comment faire pour ne pas dépasser les 120 km/h sur l'autoroute lorsqu'on est habituée à aller taper le double sur les circuits? «C'est très facile, je suis très respectueuse des limitations. Et je dois même avouer une chose, c'est que je me sens moins en sécurité sur les routes que sur un circuit!» Pourquoi? «C'est très différent. Déjà, je n'ai pas un arceau autour de moi, je n'ai pas de casque et... je ne fais pas forcément confiance aux autres! En plus, il n'y a pas de dégagement», sourit-elle.

Jean-Bernard Menoud, directeur général du groupe DIMAB, soutient activement la carrière de Karen Gaillard.
Photo: DR

Si elle est très prudente sur la route, la Fribourgeoise prend évidemment beaucoup de risques sur les circuits, ce qui fait partie du job. «Tout comme les accidents. Il ne faut pas en avoir peur. De toute façon, si on a peur dans le sport automobile, on n'avance pas. Il n'y a aucun pilote qui n'a jamais cassé une voiture. Je l'ai déjà fait, et je pense que ce ne sera malheureusement pas la dernière fois. Si on ne sort jamais, c'est qu'on n'est pas à la limite et on ne va pas assez vite. Après, bien sûr que quand la voiture est ébriquée, on se sent un peu mal envers les mécaniciens et envers toute l'équipe, voire envers ses coéquipiers si c'est une course de relais, mais tout le monde sait que ça fait partie du job. Et quand c'est un coéquipier qui sort la voiture, je ne lui en veux pas non plus», assure-t-elle.

Pas une grande fan des jeux vidéo

Les risques du métier, Karen Gaillard les connaît, bien sûr, elle qui vient de terminer la série Netflix consacrée à Ayrton Senna. «Je suis les courses de Formule 1 et j'en profite pour faire du vélo d'appartement pendant ce temps pour travailler mon physique. Par contre, je n'ai jamais été une grande fan de jeux vidéo. Je n'ai jamais été douée derrière un écran, mais je dois m'y mettre, parce que le simulateur, c'est important dans notre métier. C'est un point d'amélioration que j'ai.»

Photo: Davy Delien

Les autres? «Je dirais, logiquement, qu'il faut encore que je prenne de l'expérience. Souvent, on oublie un peu que cela ne fait pas très longtemps, au fond, que j'ai commencé, parce que j'évolue assez vite et je me retrouve déjà à Daytona! Je me retrouve plongée dans la cour des grand, mais si on regarde, je n'ai pas beaucoup d'années d'expérience, donc j'ai encore plein de choses à apprendre comme, par exemple, gérer la pression des pneus. J'ai dû l'apprendre en GT3, parce qu'avant, en prototypes, je n'avais pas ce problème, parce que les voitures sont plus légères et qu'il y a moins de dégradation, c'est plus stable. J'attaquais trop en début de relais en GT3 et après je surchauffais et j'étais un peu en galère sur la fin. »

Après ce week-end fou à Daytona, il sera temps pour Karen Gaillard de se remettre de ses émotions et de continuer une carrière dont les débuts sont prometteurs, en brillant en Carrera Cup, le championnat interne de Porsche.

La route vers le baquet Porsche est connue, mais elle est très sélective

«Il existe douze championnats différents de Carrera Cup et pour en intégrer un, c'est déjà compliqué», explique-t-elle. Elle a postulé pour le championnat français, et son CV s'est retrouvé au milieu de 40 autres. Porsche en a sélectionné huit, tous invités à une sélection drastique au circuit Paul-Ricard. Au programme des deux jours: test physique, test mental, entretien, analyse poussée des réseaux sociaux de chaque candidats et candidat et, bien sûr, roulage. Sur les huit prétendants, un seul nom a fait l'unanimité: celui de Karen Gaillard. «C'est la première fois qu'une femme remporte une sélection Porsche», se réjouit la Gruérienne, qui espère désormais suffisamment marquer les esprits en France pour avoir sa chance dans la sélection «monde».

Photo: DR

«Les douze sections vont envoyer leur meilleur candidat pour ce que l'on appelle le shoot-out. Celui ou celle qui est sélectionnée retrouve les onze autres et, au final, le seul élu devient junior général. Si elle ou il fait une bonne saison, il peut recevoir un contrat de pilote officiel Porsche.» Le Graal. «Je suis rentrée dans ce schéma. C'est dur, c'est très sélectif. Mais c'est une belle opportunité. J'y crois.» Elle a le temps d'y penser encore, même si tout va très vite. Ca tombe bien: appuyer sur les gaz ne lui a jamais fait peur. Ni en Suisse, ni en France, ni ce week-end à Daytona.

«Je suis une autre personne dans ma voiture»

Reste une question: comment cette jeune femme peut-elle se transformer en une bête de compétition une fois le drapeau abaissé? Y a-t-il un travail mental à effectuer? La question la fait sourire. «Je souris, parce qu'un mécanicien m'a dit il n'y a pas si longtemps que mon regard se transformait à chaque fois que je baissais la visière et que je mettais mon casque. Il dit que je donne l'impression de vouloir tuer quelqu'un! Donc oui, je suis une autre personne quand je suis dans ma voiture et quand je suis là devant vous.» Et c'est précisément ce qui fait sa force.

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