Dans la réception de l'hôtel Kerawi de Hawassa Sarah Atcho-Jaquier est posée sur une chaise. Le débriefing entre Blick et la sprinteuse vaudoise sur nos quatre jours en Ethiopie vient de s'achever. Place au sport désormais. Une semaine auparavant, celle qui a déjà participé à trois Jeux olympiques nous avait sous-entendu que sa carrière allait s'achever en 2028, après, idéalement, les JO de Los Angeles. Interview.
Sarah, c'est vrai que tu vas prendre ta retraite en 2028?
Évidemment. J'ai donné (rires).
Quand est-ce que tu as pris ta décision?
J'ai d'abord longtemps hésité à arrêter cette année, après Paris. En 2021, je m'étais dit: «Je fais encore trois ans et après, basta.» Mais j'ai l'impression de ne pas avoir montré ce dont je suis capable. Je sens que ce n'est pas fini.
Du coup, quand ta décision de continuer après 2024 a été prise?
En mars-avril de cette année, quand on a recommencé la préparation pour l'été.
À Paris, tu savais donc que ce ne serait pas tes derniers Jeux…
Alors, mes derniers, peut-être. Je ne sais pas si je vais me qualifier pour Los Angeles. Mais l'intention est en tout cas d'y aller.
Tu auras 33 ans à ce moment-là. Repartir pour quatre ans, tu ne voudrais pas?
Refaire quatre ans de plus?! Non, non (rires)! Plus sérieusement, c'est beau de voir que ça entre dans les mœurs pour les femmes de prolonger autant leur carrière. Mais pas pour moi. Ce n'est pas une question de volonté, mais je pense qu'à un moment, mon corps ne va plus suivre – déjà que je pense tirer sur la corde pour ces quatre dernières années. Je ne vais en aucun cas essayer huit… Sauf si je fais les Jeux d'hiver (rires).
Peut-être en bobsleigh, qui sait…
Tout le monde me dit que je n'ai pas le physique pour en faire – il faut être beaucoup plus lourd.
C'est donc ton dernier cycle olympique qui débute. Comment l'abordes-tu?
Je ne vais pas être nostalgique. Si quelqu'un a été proche de la mort, il vit la vie avec plus de passion. Comme ma carrière a failli s'arrêter 1000 fois, je suis reconnaissante de pouvoir faire une année de plus, une compétition de plus. À partir de 2025, chaque année sera du bonus.
Avec quelles ambitions?
J'aimerais trouver une stabilité en termes de santé et de performances. J'aimerais pouvoir pérenniser tout cela et déjà paver le chemin pour mon après-carrière.
Et d'un point de vue sportif?
Je n'ai pas envie d'arriver à Los Angeles comme lors de tous les autres Jeux: avec la boule au ventre, sans savoir si ma place allait être assurée dans le relais. Chaque année, je dois pouvoir m'imposer au niveau mondial et décrocher suffisamment de points pour ne pas trop stresser en juin 2028. La clé sera d'être ultra-performante en 2027.
Quel serait ton but ultime pour les JO 2028?
Me qualifier sur 200 m et le relais 4x100 m. Ajouter une discipline pourrait être une option, mais je ne sais pas. Je dois voir avec mon équipe et si mon corps en est capable. Il faut que je me teste en 2025 et 2026. Pourquoi pas sur le 400 m.
Tu as déjà couru dans cette discipline?
Oui, en 2018. Et j'ai détesté. Mais maintenant, je pense avoir la maturité suffisante afin d'accepter de souffrir – enfin, souffrir autrement qu'une sprinteuse.
Tu n'as pas encore raccroché les pointes mais est-ce que tu peux déjà faire un bilan de ta carrière?
Ce n'est pas positif en termes de performances. Je ne suis pas satisfaite. Mais c'est positif au niveau des valeurs. Ce que l'athlétisme m'a apporté, via mes coéquipières ou mes amis. Ça m'a permis d'évoluer.
Est-ce qu'il y a des choses que tu aurais faites différemment?
Je ne peux pas regretter ce que j'ai fait. Mais une étape qui m'a toujours pesée, c'est de ne pas avoir suivi Laurent (ndlr: Meuwly) aux Pays-Bas. Oui, c'était un challenge avec lui mais ça se passait super bien en termes de performances. Potentiellement, j'aurais pu aller beaucoup plus vite dans ma carrière. C'est le seul qui a vraiment compris mon corps.
Tu y repenses souvent?
Chaque année, au moment de recommencer la préparation. Mais maintenant, j'essaie de faire au mieux avec les armes que je possède.
Ne parlons peut-être pas que du négatif. Quel est ton plus beau souvenir?
Il y en a eu plein. Mais ce dont je suis le plus fière, c'est de mon année 2024. Ça a été ma meilleure année en termes de relations humaines et psychologiquement. Il peut y avoir des tensions entre les athlètes mais j'ai appris à mettre cela de côté. J'ai tenté de garder mes valeurs de base. À Londres, je n'ai pas couru lors de la Diamond League – ça a été dur pour moi, mais j'ai aidé l'équipe en ayant l'air heureuse et en encourageant.
Tu nous as dit avant que tu voulais «paver le chemin pour ton après-carrière». Tu sais déjà vers quoi elle va tendre?
Je n'y ai pas pensé dans les détails. Mais mon but, c'est d’aider les plus jeunes à affronter les problèmes que j'ai pu traverser durant ma carrière. J'aimerais travailler dans le sport, mais pas en tant que coach – enfin, sauf du relais, là j'en ai déjà parlé à Swiss Athletics (rires). Il faudrait créer une structure plus saine, où l'athlète est au centre. Je vais aussi tenter d'approcher les politiques sur les quatre prochaines années.
On a vu sur ces quatre jours en Ethiopie ton excellente relation avec les enfants. Est-ce que devenir maman est aussi un souhait?
Oui, bien sûr. Mais quel est le bon moment? En faisant du sport, tu ne peux pas tout faire. Je pense que si je n'étais pas athlète, j'aurais déjà eu des enfants. Si ça ne tenait qu'à Arnaud (ndlr: son mari), on aurait déjà 15 gosses (rires). Mais je n'ai pas envie de faire des enfants, juste pour faire des enfants. Je veux leur offrir une stabilité. Logiquement, ça devrait donc être après 2028.
Justement, finissions avec une question sur 2028. Quel est le pourcentage de chances qu'on te voit sur la piste?
Je dirais 65% en relais, grâce à mes compétences techniques. Je suis plutôt une bonne relayeuse.
Et en individuel?
Mmh. 22%. Comme les 22 secondes que je vais courir à Los Angeles.