«Désolée, on vous ramène le temps de Suisse.» Lorsque notre avion se pose sur la piste de l'aéroport de Hawassa, la météo n'est pas bonne: il pleut – fait assez rare dans cette région d'Éthiopie en cette période. Normalement, les températures atteignent les 30 degrés mais en ce lundi, une veste est plutôt de mise et le parapluie aurait été d'une grande utilité.
Si Blick est en Éthiopie, c'est pour accompagner Sarah Atcho-Jaquier. La sprinteuse vaudoise, ambassadrice de SOS Villages d'Enfants, a souhaité se rendre ici pour découvrir les projets de l'association. Durant trois jours, elle va parcourir Hawassa et sa région pour découvrir comment travaille la section suisse. «Lorsqu'on m'a proposé de devenir ambassadrice, je me suis beaucoup renseignée, nous expliquait avant notre départ pour l'Afrique celle que nous appellerons Sarah pour le reste du récit. C'était important pour moi d'en choisir une qui travaillait main dans la main avec les personnes sur place. Pas juste des Blancs qui viennent expliquer aux Noirs comment ils doivent faire.»
À l'aéroport de Hawassa, ville située à une heure de vol au sud de la capitale Addis-Abeba, nous sommes accueillis par Erika, Suissesse et membre de SOS Villages d'Enfants et par Teklut, local qui sera notre principal guide pour les prochains jours. Dans le mini-bus qui nous emmène à notre hôtel au centre de Hawassa, Sarah (et votre humble serviteur) sont impressionnés par les paysages qui nous entourent. Alors que nous nous attendions à atterrir au milieu d'un paysage désertique, c'est énormément de vert qui défile sous nos yeux. Une fois arrivé à l'hôtel dans le dédale de Hawassa, l'heure est au repos après des vols de nuit agités. Le programme officiel ne commencera que le matin suivant.
Un bouquet pour Sarah, une rose pour les autres
Le mardi matin, nous nous rendons directement au village. Ce conglomérat de maisons permet de recueillir de nombreux enfants orphelins ou abandonnés et de les placer sous l'égide d'une «mère» – à l'image de Likitu. À notre arrivée, une poignée d'enfants habillés avec des vêtements traditionnels nous attendent, bouquet en main pour Sarah, rose unique pour les autres. «Il faudrait dire à Arnaud (ndlr: son mari) de prendre des notes, rigole Sarah. Plus sérieusement, ça se voyait qu'ils étaient stressés et qu'ils voulaient bien faire.» Plus tard et à froid, l'athlète vaudoise nous confiera être assez mitigée à propos de cette scène: «D'un côté, c'était ultra chou, ils ont vraiment fait un effort. Mais j'étais gênée d'être mise sur un piédestal – je reste une personne normale.»
Après une brève introduction sur l'impact de SOS sur ce village, les membres locaux nous emmènent à l'école. Et si Sarah n'aimait pas être mise sur un piédestal, elle va être servie. Dans la première classe – où 38 enfants de 4-5 ans sont réunis –, la Vaudoise est mise en avant par le principal concernant ses talents de sprinteuse et son CV. Les enfants, en son hommage, lui chantent la fable du lièvre et de la tortue dans leur langue. «C'est pour ce genre de moments que l'humanité doit exister», sourit Sarah, impressionnée par la discipline dans cette classe.
À la fin de la chanson et quelques mètres plus loin, ce sont des enfants plus âgés que nous allons déranger en plein cours. Pire, en plein examen. «J'étais trop gênée», lâche Sarah, qui n'oublie pas, malgré son rôle d'ambassadrice, d'être critique. «Je n'aime pas trop la façon dont on a forcé les gens à nous voir, explique-t-elle. Durant un test, ils s'en foutent de nous – et à raison.» Sous l'impulsion du directeur, Sarah prend quand même la parole auprès des jeunes qui, eux, parlent anglais. Elle partage son expérience, ses hauts et ses bas dans sa carrière et la façon dont elle a trouvé des solutions. N'est-ce pas un peu futile en comparaison à la vie qu'ont vécue certains de ces enfants? «Malheureusement, je ne peux pas changer ce qu'il s'est passé pour eux avant, admet Sarah. Mes problèmes ne sont rien par rapport aux leurs. J'aurais plutôt voulu être enrichie par leur histoire.»
Du basket à 22 contre 22
Après ce passage dans les classes, une autre activité est prévue: partager un moment de sport avec les enfants. Et dans son domaine de prédilection, Sarah laisse totalement sa gêne de côté. Au loin, elle voit des enfants danser au rythme de «Pump Up The Jam». «Je peux les rejoindre?», demande-t-elle directement. Ni une ni deux, la voilà au milieu de tous, elle qui se fond parfaitement dans la masse, sourire aux lèvres et déhanché qui tient la route.
Après la danse, place au basket-ball. Pas du 5 contre 5, mais plutôt du 22 contre 22. L'engagement et les rires sont au rendez-vous, même si l'application des règles feraient s'étrangler n'importe quel arbitre de la balle orange. «À ce moment, la barrière de la langue est tombée, résume Sarah. C'est la beauté du sport.» Durant ce match, elle a également vécu l'un des moments les plus forts en émotions de son séjour: «Une de mes coéquipières est venue vers moi et m'a dit: "Tu nous ressembles." J'ai failli chialer. Je n'étais plus la Suissesse qui débarquait sur ses grands chevaux, mais j'étais acceptée.»
Après cette partie intense (score final: 4-4, puisque vous vous le demandiez), l'athlète vaudoise est revenue à ses bases: le sprint. De nombreux garçons pensaient pouvoir la battre mais tous ont dû ravaler leur égo, Sarah remportant ses trois courses aisément.
Pas de «rue Sarah Atcho» en Suisse
Ce premier après-midi a été consacré à la cuisine – puisque Sarah a préparé un shiro, un plat typique éthiopien, et du café dans la demeure de Likitu. Malgré la pluie violente qui s'abattait à ce moment sur Hawassa et l'électricité coupée, la Vaudoise a reçu les compliments de ses coaches du jour. Surtout qu'elle a dû cuisiner au charbon, une première… «sauf pour les grillades». Avant la fin de notre première journée, une dernière activité attend Sarah: la plantation d'un arbre à avocat. Et pas n'importe où. Dans le «Sarah's parc», un endroit nommé en son nom au milieu du village. «Y aura jamais de rue Sarah Atcho en Suisse, promet-elle. C'est dingue… Je me suis promis de revenir dans 7 ans pour voir mes avocats.»
Le bilan de cette première journée est forcément positif pour elle. Mais elle n'hésite pas à dire ce qu'elle aurait fait différemment: «J'ai vu plein d'enfants jouer au loin. J'aurais voulu rester avec eux, oublier SOS Villages d'Enfants et juste profiter.» Chose qui n'était, malheureusement pour elle, pas possible.
Son meilleur temps à pied nu
Au lendemain de la visite au village, il était temps d'aller voir d'autres projets mis en place par l'association à Hawassa. À commencer par une école, en dehors du village cette fois. En arrivant, une haie d'honneur attendait Sarah – les enfants ayant en plus revêtu des habits des corps de métier qu'ils aimeraient faire. «J'étais à nouveau si gênée, avoue-t-elle. J'avais l'impression qu'ils s'étaient déguisés pour moi. J'aurais voulu que les gens ne sachent pas qui je suis. Je ne venais pas en tant que Sarah Atcho, mais en tant que membre de SOS. Ça aurait peut-être changé certaines choses.»
Tout comme la veille, la sprinteuse est mise au défi par certaines adolescentes. Problème: elle n'a comme chaussures au pied que des sandales. Mais compétitrice dans l'âme, Sarah les ôte et se tient prête sur la ligne de départ. Un aller-retour sur un terrain de foot très accidenté, le défi est de taille. Elle l'emporte quand même. «Ça doit être mon meilleur temps sur 100 m à pied nu et sur un terrain pas stable, en rigole-t-elle après. Par contre, mes tendons ont pris cher… J'aurais dû dire que j'étais professionnelle de fléchettes.» Elle nous avouera même plus tard que le soir, dans sa chambre, elle a dû faire des étirements pour avoir moins mal aux ischios et aux quadriceps.
Après la course et avec une démarche un poil différente, Sarah s'est rendue à ce que l'association appelle «Conversation over Coffee». Chaque deux semaines, les mères d'une communauté se réunissent et discutent de leurs problèmes… autour d'un café (l'indice était dans le nom). Un moment touchant pour l'ambassadrice, qui se dit «très inspirée». «Je trouve qu'en Europe, il nous manque cette sororité, lâche-t-elle. Ici, elles se tirent vers le haut.» Un nouveau chant plus tard, nous voilà au SACCO, un autre projet de SOS Villages d'Enfants. Le côté finance est mis en avant, avec des prêts facilités par exemple. Un aspect qui passionne Sarah, les yeux rivés sur la personne donnant les explications.
Des visites chez l'habitant
L'après-midi de ce deuxième jour est consacré à une visite chez Abebech, mère de sept enfants. Celle-ci a été organisée en vue d'une interview menée par Sarah, devant des caméras. La Vaudoise est mitigée. «M'imposer chez les gens, ça ne fait pas partie de mon éducation», souligne-t-elle. Heureusement pour tout le monde, la femme de 42 ans est extrêmement accueillante et a mis Sarah à l'aise. Les moments de silence au début, alors que les caméras étaient en train d'être installées, se sont vite envolés et l'interview a pu être rondement menée par Sarah qui, peut-être, possède un avenir dans le journalisme.
Le lendemain, matin du dernier jour, nous nous sommes rendus chez Meskele, membre d'un quintette qui a lancé un élevage de volaille. Un simple carnet a remplacé les deux caméras de la veille, la conversation est beaucoup plus fluide, les questions ne sont pas préparées. «C'étaient celles qui m'intéressaient, souligne Sarah. Et j'avais moins l'impression de m'imposer chez ces gens.»
En Ethiopie, Sarah s'était rendue pour comprendre exactement ce que faisait l'association dont elle est ambassadrice sur place. Mission accomplie? «Oui, répond-elle. J'ai en plus l'impression de m'être énormément enrichie. Toutes les femmes qu'on a rencontrées ont pris des risques énormes dans leur vie et je peux apprendre d'elles.» Elle juge le travail des gens sur place «formidable» de manière globale et est vraiment impressionnée par tout ce qui a été effectué par SOS Villages d'Enfants.
Bien sûr, elle ne reste pas dupe et sait que ce qui lui a été montré, c'est ce que l'association a choisi de lui montrer. La Vaudoise souligne aussi un détail qui a son importance: à SOS Hawassa, les postes à responsabilité sont occupés uniquement par des hommes. On lui promet qu'un projet est en place pour permettre à des femmes de reprendre un jour ces rôles clés. Sarah veut venir le vérifier de ses propres yeux. Dans sept ans. Quand ses avocats auront poussé.