Jacques Cornu, légende de la moto
«C'est un miracle que je sois encore en vie»

Jacques Cornu, légende romande de la moto, a eu sept vies. Blick l'a rencontré et il nous parle de tout, de la mort de sa mère à son cache-cache dans une morgue.
Publié: 12.06.2022 à 22:33 heures
Son souhait pour l'avenir: «Aller en enfer».
Photo: BENJAMIN SOLAND
Daniel Leu

À 69 ans, Jacques Cornu est encore en forme. L’ancienne légende de la moto se confie dans un long entretien réalisé dans le canton de Neuchâtel. Celui qui a obtenu plusieurs titres de champion suisse en 250 cm3 (1978), 350 cm3 (1978) et 500 cm3 (1977, 1978) parle de toute sa vie, en long et en travers. Inteview.

Blick: Jacques Cornu, est-il vrai que vous n’auriez jamais dû naître?
Jacques Cornu: Oui, c’est vrai. Après deux accouchements avec complications, le médecin de ma mère lui a prononcé une interdiction d’avoir des enfants. Il lui a dit: «Ce sera vous ou l’enfant. L’un des d’eux ne survivra pas à l’accouchement!» Manifestement je suis venu au monde sous une bonne étoile, car nous avons tous les deux survécu.

Tout au long de votre vie, vous avez lutté contre la mort. Quand l’avez-vous évitée pour la première fois?
J’avais six ans. J’avais une envie pressante d’aller aux toilettes. Je suis donc monté sur une passerelle qui enjambait les voies ferrées et j’ai fait pipi sur une ligne électrique de 15’000 volts. Je n’ai vu que de la lumière, cela a fait beaucoup de bruit et je suis tombé en arrière. Je me suis ensuite enfui, le «petit sifflet» toujours dehors. Mais heureusement, je n’ai pas eu de séquelles, car j’ai eu trois filles par la suite.

Cette action était-elle typique de Jacques Cornu?
Oui, j’ai toujours aimé faire des bêtises. Une fois, je suis allé chez mes grands-parents en moto avec mes parents. Mon père était assis devant, ma mère derrière et moi entre les deux. Comme je ne voyais presque rien, je m’ennuyais. C’est pour ça que je mettais le talon de ma chaussure légèrement dans les rayons de la roue arrière, cela faisait une belle sensation.

Que s’est-il passé ensuite?
Apparemment, j’ai été un peu trop loin. D’un seul coup, ma chaussure s’est enfoncée. Ça m’a fait très mal.

Le Vaudois a vécu de nombreux accidents dans sa vie.
Photo: Keystone

Comment ont réagi vos parents?
Ils étaient surtout en colère parce que la nuit suivante, ils n’ont pas pu dormir à cause de mes cris de douleur.

Que se passait-il quand vos parents étaient en colère?
Ils utilisaient le tape-tapis ou la ceinture. Bien sûr, toujours dans la cave, pour que les voisins ne puissent pas entendre à quel point je criais fort. Mais c’était une autre époque. Je dois quand même beaucoup à mes parents. Ils avaient peu d’argent. Cette volonté de réussir malgré tout, je l’ai héritée d’eux.

Lorsque vous aviez 14 ans, votre mère Selma est décédée.
Nous faisions une randonnée en montagne dans le Valais. Ma mère marchait juste derrière moi lorsqu’elle a fait une chute d’environ 200 mètres à cause d’un faux pas. Je vois encore aujourd’hui l’image d’elle volant au-dessus des pierres. Elle s’est alors fracturé la colonne vertébrale et s’est retrouvée paralysée. Elle est décédée un mois plus tard à l’hôpital.

Quand avez-vous découvert votre fascination pour la course?
Enfant déjà, mon père me laissait occasionnellement prendre le volant de sa Volvo sur l’autoroute. Je fonçais alors à 200 km/h. Plus tard, j’ai fait un apprentissage de mécanicien automobile. J’y ai réparé une vieille Coccinelle VW qui était bonne pour la casse.

Aviez-vous déjà un permis à l’époque?
Bien sûr que non, mais c’était une autre époque. J’avais 17 ans et la voiture n’était pas immatriculée. Je roulais quand même avec. Une fois, nous sommes allés danser et nous n’avons pas bu que de l’eau. Sur le chemin du retour, j’ai conduit la Coccinelle dans le fossé. Heureusement, il n’y a pas eu de conséquences, car l’un de mes passagers était le fils d’un policier…

Mais votre voiture était foutue.
En plus de mon apprentissage, j’ai donc travaillé dans un camping à Colombier. Tous les soirs, je m’y rendais à vélo et je faisais la vaisselle jusqu’à une heure du matin. Mon objectif était d’acheter une nouvelle voiture avec cet argent. Je gagnais 900 francs supplémentaires, mais cela ne suffisait pas pour acheter une nouvelle voiture. J’ai donc acheté une moto.

Jacques Cornu n'a pas perdu son humour.
Photo: BENJAMIN SOLAND

Le pilote de moto qui était en vous est donc né un peu par hasard?
Oui, j’ai fait mes premières courses avec des motos vieilles de dix ans. Dans les virages, j’arrivais toujours à dépasser mes adversaires, mais dans les lignes droites, ils me dépassaient parce qu’ils avaient plus de puissance. À un moment donné, je me suis dit soit j’arrête, soit je dois trouver un moyen de me procurer une moto compétitive. J’ai donc travaillé le soir chez un copain pour gagner plus d’argent. Plus tard, lorsque j’ai enfin pu m’offrir une vraie moto, j’ai tout de suite été au top.

Comment faut-il s’imaginer vos premières années en tant que pilote de course?
Je me rendais aux courses avec une Renault 4L. J’enlevais le siège passager. Ensuite, on mettait tout dedans: la moto, les outils, l’essence et le mécanicien. Et on passait la nuit sous une tente.

Vous n’aviez pas de sponsors?
J’étais un homme simple et je n’étais pas bien habillé. Lorsque j’ai été champion de Suisse, j’étais sur le podium, pieds nus, avec un chapeau et une pipe à la bouche. Un sponsor potentiel m’a alors dit: «Nous ne pouvons pas nous identifier à un tel épouvantail.» En fait, c’est assez étonnant de voir ce que j’ai pu accomplir par la suite dans ma carrière. Un Tom Lüthi est devenu champion du monde à 17 ans et, de mon côté, je ne savais même pas avant 20 ans que je deviendrais un jour pilote de moto.

Vous avez également côtoyé la mort durant votre carrière de pilote. La première fois au Mans en 1983.
J’ai alors obtenu le meilleur résultat de ma carrière avec une deuxième place. Mais une heure plus tard, dans une autre catégorie, mon pote Michel Frutschi est mort. Il avait appris une semaine auparavant qu’il allait être père.

Comment avez-vous réagi?
C’était un drame. Mais en tant que pilote de course, tu dois être un égoïste, un guerrier. Les problèmes des autres ne devaient pas t’intéresser outre mesure.

Un an plus tard, vous avez vous-même failli mourir.
J’étais en route pour l’Italie en voiture. À 200 km/h. J’ai eu un accident de voiture près de Novara. Alors que j’allais allumer mes feux de détresse, j’ai été percuté par une voiture qui me suivait. Le choc a été si violent que j’ai explosé le pare-brise avec ma tête. À partir de là, je ne sais plus. J’ai appris plus tard qu’ils avaient dû m’ouvrir la tête à cause d’une fracture du crâne et d’une hémorragie cérébrale. Ils ont dû chercher longtemps avant de trouver le cerveau… (rires).

À l’époque, ce n’était pas drôle. Combien de temps avez-vous dû lutter contre les séquelles?
Mon oreille interne a été fortement endommagée dans l’accident, ce qui a perturbé mon sens de l’équilibre. Lorsque j’ai participé à la première course de la saison en 1985 en Afrique du Sud, j’ai eu de gros problèmes. Dès que je levais la tête pour freiner, tout devenait trouble et, à travers mes yeux, les virages paraissaient soudain larges d’un mètre et demi. Les médecins pensaient alors que je ne pourrais plus jamais lutter pour la victoire. Pourtant, à la fin de l’année, j’étais dans le top 10 du championnat du monde malgré une moto moins bonne.

Vous avez également une anecdote amusante sur le Castellet.
Lors d’un entraînement, je me suis cassé la clavicule en tombant. Je suis allé à l’hôpital militaire, où ils m’ont laissé allongé pendant des heures. Ils m’avaient tout simplement oublié et ne voulaient m’opérer que le lendemain. En plus, les autres patients dans ma chambre râlaient et certains avaient l’air d’être morts. J’ai donc remis ma combinaison pendant la nuit et j’ai voulu partir.

Et alors?
J’ai voulu éteindre la lumière pour ne pas attirer l’attention, mais j’ai appuyé sur le bouton d’alarme. Je me suis donc caché dans la morgue avant de sortir en courant. Les gardes me cherchaient depuis longtemps. J’ai alors escaladé un mur avec une clavicule cassée et j’ai été rapatrié en Suisse le lendemain par la Rega.

Vous avez mis fin à votre carrière en 1990. Malgré cela, la mort a encore frappé à votre porte.
J’avais 59 ans et c’était juste avant Noël. Lors d’un contrôle, on m’a découvert un cancer de la thyroïde à un stade avancé. Lorsque le médecin me l’a annoncé, il a lui-même fondu en larmes. À ce moment-là, j’ai compris que c’était fini. Mais une fois de plus, j’ai eu beaucoup de chance. Quand je raconte tout cela, je me dis que c’est un miracle que je sois encore en vie.

Une fois, vous avez fait rire un médecin. Que s’est-il passé avec vos os?
J’ai fait le calcul et j’ai déjà eu 28 fractures dans ma vie. Quand on m’a posé une prothèse de la hanche, j’ai demandé au médecin si je pouvais avoir l’os, car j’avais un chien à la maison. Je l’ai reçu et je l’ai gardé jusqu’à aujourd’hui.

Célébré par son équipe à Jerez (ESP), en 1989.
Photo: Keystone

Il y a cinq ans, vous n’arriviez plus à rire. Que s’est-il passé?
Alors que j’allais jouer au squash avec ma fille, j’ai soudain ressenti des douleurs dans la poitrine et j’avais du mal à respirer. Mais le médecin n’a détecté qu’un peu d’eau sur les poumons. J’ai donc tout de même pris l’avion pour me rendre à un événement en Namibie. J’avais déjà très mal pendant le vol, et en Namibie, je tombais toujours lorsque je faisais de la moto. Lorsque j’ai eu du sang dans les urines, je me suis rendu à l’hôpital d’un petit village. Il s’est avéré que j’avais sept côtes cassées. Mais le meilleur reste à venir.

Ah oui?
Dans l’avion qui me ramenait en Suisse, je me suis effondré et je suis allé directement à l’hôpital. Là, le médecin a constaté que j’avais déjà fait une embolie pulmonaire avant mon voyage et que, lors de l’accident, une côte m’avait perforé la rate. Le fait que j’ai survécu au vol avec une embolie pulmonaire a été une fois de plus une énorme chance.

Lors de votre mariage avec votre femme Chantal, pour une fois, ce n'est pas vous qui avez eu un problème.
Tout était organisé pour la cérémonie religieuse. Mais la veille, elle est tombée malade alors qu’elle était enceinte et a dû passer les semaines suivantes allongée sur un lit d’hôpital. Nous avons donc dû annuler notre mariage. Quand j’ai appelé chaque invité, tous ont dit: «Haha, c’est drôle, tu nous fais encore une blague.»

Comment Chantal a-t-elle géré tous vos accidents?
Ce n’était pas facile pour elle. Je me retrouvais régulièrement en fauteuil roulant. Et partout où j’allais, on me demandait comment j’allais, et ma femme était invisible. Une fois, elle a fait une fausse couche. J’étais triste, mais pas autant qu’elle. Pour moi, il n’y avait que la moto à cette époque. Une femme veut autre chose qu’un homme qui ne pense qu’à sa moto. Je peux donc comprendre qu’elle m’ait quitté plus tard. Malgré ça, dans ma vie, je n’ai jamais regardé en arrière, toujours en avant.

Que voyez-vous quand vous regardez vers l’avant aujourd’hui?
Je me réjouis de faire un voyage en Mongolie en juillet. Malheureusement, pas en moto, mais en jeep, avec mon amie au volant.

Pourquoi?
Je ne peux pas conduire pendant au moins les six prochains mois, car j’ai fait une crise d’épilepsie pendant un cours de moto. C’était il y a un mois, je me suis évanoui. C’est pour cela que je me déplace maintenant à vélo, mais si possible uniquement là où il y a du monde. Au cas où je ferais une nouvelle crise…

Avez-vous peur de la mort?
Non, j’espère simplement que j’aurai encore quelques belles années devant moi et que je pourrai profiter de ma retraite. Après tout, j’ai suffisamment travaillé. Et si je devais mourir, j’aurais encore un souhait.

Lequel?
Que j’aille en enfer et non au paradis, car mes amis sont tous en enfer (rires).

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