De la pure folie, une fois de plus. Comme lors de la précédente édition du Tour de France, cette cuvée voit de nombreux records tomber. Le leader Tadej Pogacar (25 ans) a survolé les ascensions les plus célèbres comme personne ne l'avait fait auparavant, sprintant parfois à plus de 30 km/h sur les pentes les plus raides. Le tenant du titre Jonas Vingegaard (27 ans) tient quant à lui la dragée haute à Pogacar et est sur le point d'inverser la tendance au classement général. Et dire que le Danois avait craint le pire en avril après son horrible chute au Tour du Pays basque, qui lui avait valu grave blessure au poumon et plusieurs fractures.
Le monde du cyclisme est une fois de plus ébahi par ces performances qui semblent relever du surnaturel. Problème: le douloureux souvenir des scandales de dopage qui avaient mis à mal le monde cyclisme il y a des années est encore bien présent. On se rappelle encore parfaitement de l'affaire Festina, pourtant vieille de 26 ans, et des sept victoires de Lance Armstrong sur le Tour de France entre 1999 et 2005, toutes annulées après coup pour cause de dopage. Ces scandales ont beau commencer à dater, les traces qu'ils ont laissées demeurent profondes.
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Jonas Vingegaard avait pris position sur le sujet il y a un an: «Oui, nous sommes rapides et nous battons des records. Il est donc bon d'être sceptique pour éviter que les histoires ne se répètent», avait-il déclaré, avant de préciser: «La seule chose que je peux dire, c'est que je ne prends rien.» Les stars d'aujourd'hui l'admettent donc volontiers: il est bon d'être sceptique. Quant à la multitude de nouveaux records, ils peuvent aussi être expliqués de façon plausible.
Le record de Pogacar doit être contextualisé, assurent les experts
Prenons l'exemple de la course folle de Pogacar sur le célèbre col alpin du Galibier (2627 mètres d'altitude) il y a un peu plus d'une semaine lors de la quatrième étape du Tour. Le Slovène a établi un nouveau record en se montrant plus rapide de plus d'une minute et demie que Nairo Quintana en 2019, le précédent recordman. Poga a en outre parcouru les 700 derniers mètres de la montée (une pente de 10% en moyenne), avec une vitesse moyenne de 24 km/h.
Depuis, nombreux sont ceux qui se sont montrent sceptiques, notamment parce que les valeurs de puissance ont atteint des niveaux époustouflants (pour le record de Pogacar, les experts du média Lanterne Rouge ont relevé pas moins de 6,3 watts par kg de poids corporel pendant 20 minutes). Mais attention, les circonstances doivent également être prises en compte. Aujourd'hui experts pour la chaîne Youtube Global Cycling Network ex-professionnels britaniques Daniel Lloyd et Simon Richardson, ont tenu a contextualiser la performance du Slovène sur le col du Galibier: «Pogacar était même plus rapide de trois minutes que le plus rapide en 2022. Mais en 2022, la montée n'était pas à la fin de l'étape, mais au Centre.» Une différence non négligeable.
Et le précédent record de Quintana de 2019 avait été réalisé lors de la troisième semaine du Tour, après 17 étapes. Or cette année, il ne s'agissait que de la quatrième étape, et les coureurs étaient encore frais. «Ce n'est pas seulement Pogacar qui a été plus rapide que Quintana, mais les huit meilleurs ont été plus rapides cette année que lui à l'époque», expliquent les deux experts. Les circonstances doivent donc impérativement être prises en compte – tout comme les évolutions du cyclisme.
Moins de jours de course qu'auparavant
Dans le magazine cycliste britannique «Rouleur», Daniel Green coach en performance pour l'équipe Israel-Premier-Tech, y va lui aussi de son éclairage: «Le fait que la fédération ait limité le nombre de jours de course à 85 par saison joue également un rôle. Il y a de nombreuses années, les coureurs roulaient plus de 120 jours par saison, et il y a dix ans, beaucoup d'entre eux couraient encore 100 jours. Maintenant, on n'est plus qu'entre 70 et 75 pour la plupart.» Tadej Pogacar en sera à 52 jours de course à la fin du Tour de France. Les étapes du Tour ont d'ailleurs tendance, elles aussi, à être plus courtes qu'auparavant.
A cela s'ajoutent les développements techniques. Jenco Drost, chef du développement du matériel de l'équipe Visma Lease a Bike, s'est exprimé sur le sujet auprès de CH Media: «La forme des casques est sans cesse modifiée et l'ensemble de l'interaction entre le coureur, le vélo et les vêtements est optimisée. On peut gagner jusqu'à 30 watts rien qu'avec ça.» Une évolution qui fait naturellement une grande différence lors des courses.
Le leader du Tour est testé tous les jours
Outre ces changements, les mesures visant à freiner le dopage ne cessent d'être renforcées. Quelques jours avant le début de ce Tour de France 2024, l'Union cycliste internationale a présenté une liste d'obstacles destinée à freiner les éventuels tricheurs. Les vainqueurs d'étapes et les détenteurs du maillot jaune sont ainsi testés lors de chaque étape. «Environ 600 échantillons de sang et d'urine sont prélevés pendant le Tour.» Environ 400 tests auraient en outre été effectués durant le mois précédant le Tour de France. Une autre tricherie consistant à munir son vélo d'un petit moteur fait, elle aussi, l'objet de mesures rigoureuses. Ainsi, avant chaque départ, les vélos sont contrôlés avec un appareil magnétique, et ils sont marqués après chaque arrivée en vue du contrôle suivant.
Alors oui, on a de quoi être étonnés lorsque Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard réussissent à parcourir 211 km et plus de 4000 mètres de dénivelé en moins de cinq heures – comme l'ont d'ailleurs fait tous les coureurs du top 10 lors de la spectaculaire 11e étape. Mais gare aux suspicions hâtives. Ces nouveaux records sont également permis par des circonstances tout aussi nouvelles.