Vols entre tatoueurs
Etes-vous sûr que votre tatouage n'est pas un vulgaire plagiat?

Il arrive que certains artistes tatoueurs volent le travail de leurs confrères, parfois encouragés par leurs clients. Si l'auteur original et les clients peuvent être victimes de cette forme de plagiat, les bases juridiques sont difficiles à interpréter.
Publié: 07.10.2022 à 20:01 heures
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Dernière mise à jour: 07.10.2022 à 20:07 heures
Le vol de tatouages est un phénomène courant dans la profession.
Photo: Shutterstock
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Que vous le vouliez ou non, il est probable qu'un inconnu qui vit au fin fond d'un bled paumé en Papouasie-Nouvelle-Guinée porte fièrement l'exact même lion que vous avez sur le dos...

Étonnant? Pas vraiment. En effet, les tatoueurs sont avant tout des artistes. Ils ont, par la force des choses, des problèmes spécifiques à leur profession comme le plagiat.

Quand un tatoueur copie un autre tatoueur

Souvent abordé sur les réseaux et parfois discuté dans le milieu, le plagiat entre tatoueurs n’est pourtant pas un thème qui fait couler beaucoup d’encre dans les médias et ailleurs. Comme si on oubliait qu’un dessin sur une peau était une œuvre au même titre qu’une peinture sur une toile. Néanmoins, le problème est bien réel. Jagan alias Neko et Simon aka Boudos en ont malheureusement fait les frais.

«C’est arrivé quatre ou cinq fois à tout péter. Mes followers sur Insta m’ont envoyé des clichés de croquis d’un tatoueur basé en Grèce qui avait copié-collé mes dessins à la ligne près», nous explique Neko. Le Genevois de 26 ans essaie alors de contacter le concerné, mais ce dernier finit par le bloquer. «J'ai tenté toutes les approches possibles avec le tatoueur. Comme rien n'a abouti, j'ai pris la peine de demander à mes abonnés s'ils trouvaient juste que je puisse les solliciter pour signaler les posts qui posaient problèmes. Après quoi, certains ont décidé de le faire. Je n’ai pas voulu que son profil soit supprimé. Mon souci, c’était la photo du dessin volé et celle du tatou.»

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Une expérience peu sympathique, également vécue par Boudos qui partage le même salon que Neko: «Quelqu'un m'a écrit récemment sous un de mes posts Insta pour signaler que mon dessin était super et qu’il se l’était fait faire ailleurs».

Plutôt que de se mettre en colère, le jeune homme de 27 ans joue la carte de la pédagogie et explique à la personne que demander à un autre tatoueur de reproduire un dessin venu d’ailleurs n’est pas très juste. «Le gars venait de l’étranger et j’imagine qu’il n’avait pas envie de venir jusqu’en Suisse», précise-t-il avant d’ajouter que les clients ne se rendent pas toujours compte qu’ils participent à une violation de la propriété intellectuelle: «Ce n’est pas parce que c’est publié sur Instagram que c’est libre de droits».

Un souci surtout pour le client

Même si la situation est embêtante, les deux tatoueurs préfèrent s’en amuser. «C'est clair que c'est frustrant, car il s'agit du fruit de notre imagination, de notre travail. Mais c’est aussi plutôt flatteur de se dire que quelqu’un nous copie. Cela signifie que ce que l'on fait est bien», plaisantent-ils.

Pour eux, ce qui est réellement problématique, c’est la position du client. «Il faut se dire que la personne a payé pour avoir un dessin spécifique sur une partie de son corps. En plus d’être permanent, le tatouage peut avoir une signification très personnelle. Donc retrouver le même dessin sur un inconnu, c’est pas top», explique Boudos.

Face à ce problème, rares sont les tatoueurs qui entament des poursuites contre un autre tatoueur ou même un client. «Ça coûte en énergie, en temps et en argent si on décide de faire appel à la justice», signale Neko.

Et la loi dans tout ça?

Dans les faits, un tatoueur peut-il faire valoir son droit d’auteur auprès de la justice s’il y a plagiat? «La réponse est oui. Selon le Code pénal, si untel est accusé de plagiat, la loi prévoit des sanctions pécuniaires ainsi qu’une potentielle privation de liberté», nous apprend Nicolas Capt, avocat dont les domaines d’activité s’étendent des nouvelles technologies au droit des médias en passant par la propriété intellectuelle.

Mais tout dépend de la nature de l’œuvre. Avant toute chose, il convient de savoir si la production en question a un caractère individuel ou non. «Un triangle, par exemple, ne peut pas être considéré comme une œuvre d’art», déclare l’avocat avant de préciser que la création doit se distinguer.

Une œuvre peut donc être créée de zéro, ce qu’on appelle «œuvre originale» ou alors être inspirée de quelque chose qui existe déjà. Mais attention, si un artiste s’inspire d’une autre création, il faut qu’il parvienne à se différencier suffisamment. Comme nous l’explique M. Capt: «Dans ce cas spécifique, le plagiat dépend de l’intensité de la reprise, mais ce n’est pas une science exacte et chaque interprétation est subjective».

«Le problème avec la sphère du tatouage, c’est que les cas peuvent être complexes», avertit l’avocat. Entre l’auteur lésé, le tatoueur qui plagie et le client qui parfois participe à la copie en demandant à se faire tatouer un dessin déjà existant, difficile d’y voir clair. «On est dans une sorte de relation triangulaire qui complique les choses. D’autant plus que lorsqu’on se fait tatouer, il y a souvent une discussion entre le tatoueur et le client, me semble-t-il. Dès lors qu’il s’agit d’un dessin volé, on peut se demander qui en porte la responsabilité», détaille l’avocat.

Le fair-play avant tout

Se baser sur un dessin existant et apporter sa touche perso est un exercice plutôt commun dans le tatouage. «Cela peut arriver qu’un client vienne avec un croquis d’un tatouage qui appartient à un autre tatoueur. Dans ce cas, je lui propose de reprendre le tout, mais dans mon style. Et si ce n’est pas dans mes cordes, je le réoriente vers une personne qui conviendrait mieux. Il n'est pas question de reproduire quelque chose à l'identique», confie Neko.

En fait, le milieu compte davantage sur le fair-play de chacun plutôt que sur des bases légales afin d’éviter tout problème. «Je comprends que les clients ne soient pas toujours très sensibilisés au concept de propriété intellectuelle et c’est à nous de leur expliquer dans l’espoir qu’ils comprennent. Quant aux tatoueurs qui n’hésitent pas à s’approprier le travail d’autrui, ils savent très bien ce qu’ils font», affirme Boudos.

Le jeune homme précise néanmoins qu'il peut arriver de mal interpréter certaines intentions: «Cet été on m'a accusé d'avoir volé le dessin d'un tatoueur espagnol alors qu'il s'agissait simplement du même thème: un gantelet. J'ai donc signifié que ce n'était pas du vol et qu'en plus le tatouage en question venait d'un dessin que j'avais réalisé onze semaines plus tôt».

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Se renseigner sur le tatoueur qu’on choisit, suivre son travail et échanger ouvertement, permet d’éviter de se retrouver avec un copié-collé sur le corps.

Pour nos deux artistes, à l’heure où le tattoo est devenu tendance, difficile pour certains de ne pas y voir une manière gagner de l’argent rapidement ou de se faire une réputation grâce au travail créatif des autres. La pratique n'est de ce fait malheureusement pas prête de s'arrêter. Alors gare aux voleurs amateurs d'aiguilles et d'encre...


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