Mauvaise nouvelle pour les fans de félins: les chats ne sont plus les stars absolues du web. Ou du moins, plus totalement. Depuis une petite dizaine d’années, un autre animal a conquis le cœur des internautes, discrètement mais sûrement: le shiba inu.
Le chien originaire des régions montagneuses du Japon a été élevé au rang d’icône. On connaît tous le fameux mème «doge» montrant un shiba avec un regard inquisiteur. Nommé «Meilleur mème de l’année 2013» par le site américain «Know Your Meme», l’image a donné naissance à des sous-genres eux aussi super connus comme le «Swole Doge», souvent accompagné du «Cheems» ou le «Shiba Inu Barking at an Office Meeting».
Le shiba a tellement la cote qu’il a même été récupéré par la communauté tech pour en faire le symbole de plusieurs cryptomonnaies. La plus connue, le Dogecoin, avait initialement été lancée comme une blague après l’émergence du Bitcoin. Mais il a permis à certains malins de faire fortune lorsque son cours a explosé. Il y a aussi le Shiba Inu coin, dont le cours a bondi de 400% en quelques jours après un tweet d’Elon Musk montrant son petit chiot nommé Floki. Bref, le shiba est partout!
Pour comprendre comment on en est arrivé là, un petit flash-back s’impose. Aussi étrange que cela puisse paraître, tout commence avec un certain Richard Gere…
Hatchi: confusion née à la télé
Nous sommes en 2009 et l’Occident découvre «Hatchi», un film qui raconte l’histoire d’un chien akita qui, même après la mort de son maître, continue à attendre son retour du travail devant une gare.
Si l’œuvre hollywoodienne a fait pleurer dans les chaumières, elle a aussi contribué à booster la notoriété du Japon. Loin de n’être qu’une fiction américaine tout ce qu’il y a de plus ordinaire, le film est inspiré d’une histoire vraie. Au milieu des années 1920 à Tokyo, un chien nommé Hachiko attendait son maître tous les jours à la gare de Shibuya, et ce même neuf ans après la mort de ce dernier.
Devenu une star au Japon, le canidé a même eu droit à une statue érigée en son honneur à Shibuya en 1934 avant de devenir une mascotte au cinéma.
«La notoriété de la race shiba peut notamment s’expliquer par le succès de ce film et la popularité du fait divers dont il est tiré. Pourtant, il convient de noter qu’il y a confusion. Hachiko, le chien qui attend son maître à la gare, est un akita, non un shiba», nous explique David Javet, co-fondateur du GameLab UNIL-EPFL.
En effet, si les deux races se ressemblent, l’akita est plus grand, lourd et costaud que son cousin le shiba. Mais comme ces deux races ne sont pas encore très connues en Occident, elles sont souvent confondues.
Les producteurs du film ont d’ailleurs joué sur cette ambiguïté, puisqu’ils ont préféré choisir un shiba à la place d’un akita en guise de chiot au début du film. De quoi perpétuer ce quiproquo.
Tech et Japon: même combat
Passé de figure nationale à star remastérisée à la sauce hollywoodienne, «Hachiko» a ainsi poussé de nombreux touristes à admirer sa statue de bronze au cœur de Tokyo, que beaucoup pensent être un shiba. L’une des autres raisons qui pourraient expliquer la confusion est le fait que Shibuya — le nom du quartier où se trouve la statue — n’est pas sans rappeler le mot «shiba».
«En plus d’être l’un des lieux les plus visités de la mégapole, Shibuya est aussi un haut lieu de la tech», précise David Javet. Shibuya est pour ainsi dire le cœur de ce Japon symbole d’une technologie d’avenir. Du lien entre tech et Japon émergent d’ailleurs des grands noms de la communauté 2.0 comme Satochi Nakamoto, pseudonyme aux tonalités très nippones utilisé par la ou les personnes ayant développé la cryptomonnaie Bitcoin. Mais aussi Mark Karpelès, directeur général de la plateforme d’échange de Bitcoin Mt. Gox, exilé au pays du Soleil levant depuis 2009.
Quand la tech s’inspire des mèmes
Si l’aura de l’animal se répandait au départ uniquement parmi les amateurs de folklore japonais, un heureux concours de circonstances a permis au shiba de devenir viral. Dès 2013, le chien est la coqueluche de 9gag, plateforme très populaire où les internautes se partagent des mèmes à foison.
Dans un univers aussi riche et divers que celui du web, difficile de trouver une explication rationnelle qui éluciderait le buzz autour de ce chien en particulier. Ce qui est certain, c’est que son existence en amont dans la culture populaire a participé à en faire une référence partagée sur internet. «La communauté tech n’a donc pas hésité à reprendre l’image bien connue du doge pour en faire une cryptomonnaie. L’idée étant de profiter de la force de frappe mais aussi de diffusion de cet animal que tout le monde connaissait. C’est un habile coup marketing», signale David Javet.
Pour le spécialiste des cultures numériques et amoureux du Japon, le chien est apprécié parce qu’il a presque les mêmes traits qu’un renard, un animal connu pour son caractère rusé: «C’est une race qu’on dit intelligente mais le shiba est aussi assez expressif. C’est sans doute pour cela que la communauté 2.0 l’idolâtre.»
La shibamania pas près de s’arrêter
En plus d’Elon Musk, d’autres célébrités ont fait l’acquisition d’un shiba, participant ainsi à le maintenir au rang de chien star. Squeezie, le vidéaste et streamer français aux millions d’abonnés se met régulièrement en scène sur les réseaux en compagnie de sa chienne Natsu. Elle possède d’ailleurs son propre compte Instagram avec plus de 700’000 followers.
Plus récemment, le shiba s’est même immiscé dans le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine. Sur Twitter, un ensemble de comptes se revendiquant de la «NAFO» (North Atlantic Fellas Organization) a commencé à publier des mèmes de shibas en uniforme militaire. Le but: ridiculiser les déboires de l’armée russe et soutenir la résistance ukrainienne.
Qu’on le veuille ou non, le shiba a encore de longues années de vie devant lui. Quant à savoir s’il dépassera un jour la notoriété du Lolcat ou du Nyan Cat, cela reste à voir…