Vous pensiez que les mangas ou les animations japonaises (animes) n’étaient réservés qu’aux garçons un peu bizarres assis au fond de la classe ou aux fanas de jeux vidéo? Et bien détrompez-vous! Ils sont partout.
Pour preuve, l’enseigne de vêtements Pull & Bear a récemment sorti une collection à l’effigie de personnages de mangas comme «Sailor Moon», dont la version française existe depuis les années 1990, ou encore «Naruto», un manga sorti au début des années 2000. En parlant de «Naruto», l’année dernière, Londres a vu débarquer un restaurant à ramen nommé «Uzumaki», un hommage à l’univers de l’œuvre et surtout au personnage principal, lui-même largement friand de soupes aux nouilles.
Et la Suisse, nous direz-vous? Elle aussi semble avoir craqué pour la culture nipponne. Le Musée olympique de Lausanne vient de mettre sur pied l’exposition «Tokyo 2020 Sport X Manga» qui propose de découvrir le Japon à travers le sport... et les mangas.
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Du Club Dorothée à Netflix
Et oui, qu’on se le dise franchement: depuis quelques années, nombreux sont celles et ceux qui se sont intéressés à la culture populaire japonaise. Bref, les mangas et autres animes sont désormais «trendy».
Cet engouement pour les mangas, Ilan l’a aussi remarqué. Ce Lausannois de 32 ans s’est découvert cette passion à l’âge de quatre ou cinq ans, devant le Club Dorothée. «Je regardais «Les Chevaliers du Zodiaque» avec mon grand cousin quand on était chez mes grands-parents. Et puis, vers 12 ou 13 ans, j’ai découvert sa collection de livres «Dragon Ball». Cette passion ne m’a plus jamais quitté», explique-t-il, avant d’ajouter qu’à l’époque, la culture manga était beaucoup moins démocratisée qu’aujourd’hui.
«Quand j’étais ado, il n’y avait pas beaucoup de magasins spécialisés. Je me souviens que j’achetais mes cartes Yu-go-oh chez Tanigami. Elles n’existaient qu’en version originale. C’est la vendeuse, japonaise, qui me les traduisait. Aujourd’hui, tout le monde a accès à des animes sur Netflix ou Amazon Prime. On peut discuter du sujet avec tout le monde sans être pris pour un geek».
Frédéric se souvient que lorsqu’il parlait de mangas à l’école, c’était toujours au sein de son petit groupe d’amis qui se faisaient plutôt discrets: «quand j’étais ado, les gens étaient plutôt fermés. Rares étaient ceux qui s’intéressaient aux mangas. Mais ça a changé. Aujourd’hui, tout le monde a regardé au moins un anime ou lu un manga», se réjouit le jeune homme de 33 ans. «J’en parle même parfois avec des collègues au travail», confie le Romand. Tout comme Ilan, Frédéric a commencé à s’intéresser à la culture japonaise via le Club Dorothée. «Mais à part les animes qui passaient sur le programme pour enfants, il n’y avait pas grand chose d’autre». Et puis, il y a eu les années 2000, Youtube et Dailymotion sont devenus les meilleurs amis des fanas du Japon.
Mais alors, pourquoi un tel engouement? Il est lié en premier lieu à la «passion Japon» qui s'est emparée de nombreux citoyens du monde en entier, fruit d'une politique de communication active du pays du Soleil-levant.
Pour promouvoir sa popularité à l'international et faire table rase de son image traditionnelle et rigide, le gouvernement japonais a en effet lancé «Cool Japan» en 2002. L'idée: mettre les mangas et les anime en avant, sans oublier la gastronomie ou encore la mode japonaise pour ne citer que quelques exemples.
Aujourd’hui, le pays a récolté les fruits de son travail puisque la culture japonaise est largement appréciée hors de ses frontières. Selon le gouvernement japonais, environ 100'000 restaurants auraient ouvert leurs portes en dehors de l'île. Les événements comme la Japan Expo en France connait un succès fulgurant. Quant aux séries et aux films japonais, ils font de nombreux adeptes en Occident. Certaines productions comme les studios Ghibli sont d'ailleurs disponibles sur Netflix Suisse depuis février 2020. «Cool Japan» a aujourd'hui atteint son apogée avec l'accueil des Jeux Olympiques à Tokyo.
Pour promouvoir sa popularité à l'international et faire table rase de son image traditionnelle et rigide, le gouvernement japonais a en effet lancé «Cool Japan» en 2002. L'idée: mettre les mangas et les anime en avant, sans oublier la gastronomie ou encore la mode japonaise pour ne citer que quelques exemples.
Aujourd’hui, le pays a récolté les fruits de son travail puisque la culture japonaise est largement appréciée hors de ses frontières. Selon le gouvernement japonais, environ 100'000 restaurants auraient ouvert leurs portes en dehors de l'île. Les événements comme la Japan Expo en France connait un succès fulgurant. Quant aux séries et aux films japonais, ils font de nombreux adeptes en Occident. Certaines productions comme les studios Ghibli sont d'ailleurs disponibles sur Netflix Suisse depuis février 2020. «Cool Japan» a aujourd'hui atteint son apogée avec l'accueil des Jeux Olympiques à Tokyo.
Les mangas ne sont plus un hobby de niche
Elsa Gonay, professeure assistante au département d’études est-asiatique à l’Université de Genève, confirme ce qui précède. Elle explique avoir observé un engouement particulier de ses étudiants pour les mangas. Plus concrètement, l’experte qui tient un cours intitulé «Le Japon vu par les mangas» note que si la consommation de BD japonaises se caractérisait surtout comme un hobby de niche dans les années 1990-2000, elle s’est largement démocratisée aujourd’hui. «Je pense que l’enthousiasme des plus jeunes générations, ou de la Gen Z, par exemple, provient notamment d’Internet et des réseaux sociaux. Beaucoup y partagent leurs coups de cœur et, surtout, il est désormais très facile de trouver ce que l’on cherche sur le Net. Il y a vingt ans, les passionnés de culture japonaise devaient se débrouiller sans. C’était plus compliqué».
A noter également que les œuvres disponibles actuellement sont mieux traduites: «à l’époque, c’était surtout des comités de fans qui adaptaient les mangas en français. Les traductions étaient donc très approximatives», précise Elsa Gonay.
Sans oublier que, contrairement à la bande dessinée franco-belge, les mangas grandissent avec leur lectorat. «Les personnages évoluent avec les années: un ado qui a commencé «Dragon Ball» à 15 ans continuera à s’intéresser aux aventures des protagonistes à 25 ans puisqu’ils auront eux aussi pris de l’âge. Les jeunes générations ont donc forcément des parents qui ont consommé des animes et des mangas ou qui en achètent encore aujourd'hui». Par conséquent, la BD nippone n’a pas vraiment de limites dans le temps et peut ainsi traverser les générations malgré sa mauvaise réputation il y a 30 ans.
«Dessins animés japonais exécrables et terribles»
En effet, la «culture geek» a fait débat par le passé. Mangas, animes et jeux vidéo ont ainsi été mis dans le même sac et accusés de faire l’apologie de la violence auprès des jeunes. En 1988, une certaine Ségolène Royal, alors députée socialiste des Deux-Sèvres, proposait un amendement pour la protection des enfants concernant la violence dans les programmes de télévision. Sa cible: les mangas ou les «dessins animés japonais exécrables et terribles».
Oui, sauf que depuis, les jeux vidéo et les mangas se sont fait une place de choix sur le marché. Selon une étude, avec plus de 300 milliards de francs de recettes au niveau mondial, l'industrie vidéoludique pèse aujourd’hui plus lourd que l’édition, la musique et le cinéma. Quant aux ventes de mangas, elles ne cessent de grandir, n’en déplaise à certains politiciens et autres intellectuels. D'après l'institut statistique des publications japonais, le chiffre d'affaire pour la marché des mangas numériques et imprimés s'élève à 612 milliards de yens pour 2020, soit un peu plus 5 milliards de francs suisses.
Plus jeune, Sabrina a souvent essuyé la critique lorsqu’elle parlait de sa passion pour les mangas et les animes. «Je pense qu’il y avait déjà beaucoup de fans jeunes à l’époque, mais ils n’osaient pas en parler car les gens étaient moins ouverts», signale la Romande de 28 ans. Et même si les remarques de son entourage ont pu la blesser, elle espère qu'aujourd'hui les gens pourront apprécier les mangas et les animes à leur juste valeur et sur le long terme.
Des phénomènes culturels qui rapportent
Depuis mi-mai, la France a mis en place son Pass Culture, soit un chèque de 300 euros offert par le ministère de la Culture pour inciter les jeunes à investir dans des livres, des billets de théâtres, des disques et autres… Il s’est avéré que plus de 70% des commandes concernaient des mangas, note Actualitté, un site d’informations spécialisé en littérature.
De leur côté, les librairies suisses ont également été prises d’assaut récemment. Pour Nathalie Bétrix, libraire chez Payot active au rayon BD et mangas, la pop culture nipponne a suscité beaucoup d’intérêt dans les années 2000. Toutefois, c’est pendant la pandémie que la demande a explosée. «Alors que nos magasins étaient fermés durant la première vague du Covid, de nombreux clients se sont rués sur notre site pour commander des mangas», explique la professionnelle, tout en précisant que les ventes ont plus que doublé.
«En comparaison aux autres secteurs et aux années précédentes, le rayon mangas est celui qui a le pourcentage de ventes le plus élevé», nous explique Nathalie Bétrix. Et depuis environ un an, les éditeurs de mangas sont dépassés: «des stocks ont été épuisés et il a fallu rééditer et réimprimer des œuvres, dont certaines se sont terminées depuis quelques années déjà. En effet, «Naruto» ou encore «Fairy Tail», des séries dont les derniers tomes sont parus entre 2016 et 2017, sont encore beaucoup vendus aujourd’hui».
Même constat chez Miximage: «l’engouement est croissant et il y a de plus en plus de fans de tout âge, avec des centres d’intérêt très variés. Cette augmentation touche beaucoup les ventes de mangas papier qui sont énormément boostées par la diffusion des animes correspondants sur de grosses plateformes de streaming tout public telles que Netflix ou Amazon Prime», indique Céline Froidevaux, responsable secteur Manga de la boutique lausannoise.
Par ailleurs, les événements dédiés à la culture populaire japonaise attirent toujours plus de monde. L’association Polyjapan nous raconte avoir constaté une hausse continue de la fréquentation de leurs manifestations. Le plus grand étant Japan Impact, qui a rassemblé presque 10’000 visiteurs sur deux jours en 2020. Au menu: artistes au style manga, projections d’animes, concerts, démonstrations d’arts martiaux ou concours de cosplay.