«The Recruit», «Emily in Paris», «Lost»...
Quand les séries font n’importe quoi avec la géographie

Rien de mieux, en regardant une série, que de voyager un peu. Mais il y a quand même un gros risque de ne pas arriver à la bonne destination. De «The Recruit» à «Emily in Paris», en passant par «Homeland», bien des fictions s’emmêlent les pinceaux avec la géo.
Publié: 19.01.2023 à 16:55 heures
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Dernière mise à jour: 05.03.2023 à 22:54 heures
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Dans «Jack Ryan», la Seine-Saint-Denis est située en plein Paris.
Photo: Prime Video
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Cela n’a pas échappé à la vigilance des spectateurs suisses, et tout particulièrement de mon collègue Adrien. Dans la série «The Recruit», qui met en scène un avocat de la CIA embarqué dans le monde impitoyable de l’espionnage (ou plutôt l’idée que s’en fait Netflix), un épisode censé se dérouler à Genève comporte de grosses incohérences. Entre des plaques d’immatriculation avec des lettres mal placées et des immeubles trop hauts, la supercherie est bien trop évidente. Ajoutons que le héros commande une bière en allemand (avant de demander à une ravissante inconnue qui trinque en disant «skol» si elle est de Genève… ce qui montre que les compétences exigées en langues étrangères ne sont pas très élevées à la CIA) et l’affaire est vite vue: rien de tout cela ne se déroule vraiment à Genève. De fait, la série Netflix a planté ses caméras à Montréal pour le tournage. Le seul élément vraiment genevois est donc un plan aérien de la cité de Calvin…

«Homeland» à deux doigts de l’incident diplomatique

Mais «The Recruit» est loin d’être la seule série à se prendre les pieds dans le tapis de la géographie. Les séries d’espionnage sont particulièrement sujettes aux erreurs, ne serait-ce que parce qu’elles font beaucoup voyager leurs protagonistes. En 2012, la deuxième saison de «Homeland» avait réussi l’exploit de fâcher les Libanais et les Israéliens. L’héroïne de la série, l’agent Carrie Mathison, part en effet à Beyrouth sur les traces d’un dangereux terroriste, Abu Nazir. Dans un épisode, elle est pourchassée dans les allées d’un marché, après avoir pris soin de se voiler, de se teindre les cheveux en brun et de mettre des lentilles marron pour camoufler ses yeux bleus. Ce qui, déjà, témoigne d’une méconnaissance des mœurs au Liban, où les femmes ne se voilent pas forcément et où les blondes passent inaperçues. Surtout, la scène ayant été tournée à Tel-Aviv, en Israël, on aperçoit autour d’elle… des inscriptions en hébreu et le symbole du Beitar, le club de foot de la ville.

Pire encore, dans un autre épisode de cette même saison de «Homeland», une séquence de tentative d’assassinat est censée se dérouler dans la rue Hamra, toujours à Beyrouth. L’une des grosses artères de la capitale, pleine de commerces et de cafés, devient à l’écran un coupe-gorge poussiéreux plein de forces militaires. Là encore, le tournage s’est déroulé à Haïfa, en Israël. L’affaire est plus que sensible, le Liban et Israël ayant longtemps été en guerre. Et le ministre du tourisme libanais de l’époque, Fadi Abboud, avait menacé Fox 21 Television Studios, la société de production de «Homeland», de poursuites judiciaires.

«Jack Ryan» s’attaque à la Seine-Saint-Denis

Les productions américaines ne sont pas plus renseignées sur la France. Diffusée sur Prime Video, «Jack Ryan» raconte les aventures d’un analyste de la CIA qui combat inlassablement les terroristes islamistes. Le troisième épisode de la première saison est censé se dérouler en partie en Seine-Saint-Denis, un département situé au nord (donc à l’extérieur) de Paris. C’est l’un des départements les plus pauvres de France qui compte également beaucoup de populations immigrées.

Dès le carton pourtant, la série situe la Seine-Saint-Denis dans la capitale française. Et cela ne s’arrange pas quelques minutes plus tard, lorsqu’une policière hexagonale (jouée par Marie-Josée Croze, une actrice d’origine québécoise) explique qu’il s’agit d’un «quartier musulman», cliché qu’on ne retrouve que dans la bouche des politiciens d’extrême droite français. Par la suite, la reconstitution du «93», comme on surnomme ce département, laisse penser qu’on est plus à Bagdad ou Téhéran qu’en France.

«Outer Banks» débarque du ferry

Souvent, heureusement, les erreurs prêtent plus à rire qu’à déclencher des incidents diplomatiques. Diffusée sur Netflix, «Outer Banks» se déroule, comme son titre l’indique clairement, le long des côtes de la Caroline du Nord. Mais la série a été tournée en Caroline du Sud et confiée à des scénaristes visiblement peu au fait de la géographie locale. Dans l’épisode 4 en effet, l’un des personnages, à la recherche d’un trésor, va d’Outer Banks à Chapel Hill en ferry. Oubliant au passage que Chapel Hill se trouve… à plus de 250 kilomètres de la côte. Cela a d’ailleurs bien amusé la compagnie de ferry de Caroline du Nord, qui a publié un petit schéma limpide sur ses réseaux sociaux.

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Le producteur d’«Outer Banks» s’en est ensuite expliqué dans les médias américains. Selon lui, une scène durant laquelle le protagoniste prend un Uber a été coupée. Espérons que le trésor qu’il recherche est suffisamment intéressant pour couvrir une facture Uber sur 250 kilomètres.

«Emily in Paris», championne de la bourde

Mais la championne toute catégorie des ratages géographiques reste sans conteste «Emily in Paris». Dans les plans larges de la capitale française censés faire la transition entre les séquences, on a déjà aperçu une vue de Bordeaux. Et lorsque les producteurs ont cherché une image du Pont Neuf, qui enjambe la Seine et traverse l’île de la Cité, ils sont allés un peu vite et ont dégainé le Pont Neuf de Toulouse, construit au-dessus de la Garonne. Difficile pourtant de confondre la capitale avec la «ville rose», qui tient son surnom de la couleur des briques des bâtiments, très visible sur le plan incriminé.

Mais ce n’est pas tout. Dans la saison 2, on propose à Emily d’aller dans un restaurant chinois «plutôt cool» à Belleville, un quartier où se trouvent effectivement beaucoup de restaurants chinois. Le plan suivant, notre jeune héroïne atterrit dans un vaste bâtiment au bord de l’eau, vaguement transformé en pagode, qui se trouve être un hôtel situé à Alfortville, à plusieurs kilomètres de Paris.

«Lost» se perd dans l’océan Indien

Même les séries acclamées ont aussi leurs sorties de route. «Friends» ou «Seinfeld» ont beau se dérouler à New-York, elles n’y ont pas été tournées et les regards aiguisés auront noté des plans incongrus. Et souvenez-vous de la quatrième saison de «Lost» (si vous avez tenu jusque-là). On y apprend que l’un des méchants de l’histoire a simulé la découverte d’une épave d’avion pour stopper la recherche des disparus du vol 815. Cette fausse épave se trouve près de la Sunda Trench, une fosse océanique située dans l’Océan Indien. Or, le fameux vol 815 reliait Sydney et Los Angeles. À moins de faire un très, très long détour, impossible qu’il survole l’Océan indien (d’ailleurs les survivants de «Lost» sont bien sur une île du Pacifique). Visiblement, aucune autorité dans la série n’y a pensé.

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