Nudité, violences, sororité
Pourquoi «House of the Dragon» est moins sexiste que «Game of Thrones»?

Les dix épisodes de la série la plus attendue de l’année viennent d’être diffusés. Et, tout du long, les débats furent vifs autour de la question de la représentation des femmes. À raison, tant il s’agit non pas d’un thème parmi d’autres, mais du cœur de cette fiction.
Publié: 25.10.2022 à 09:39 heures
|
Dernière mise à jour: 25.10.2022 à 12:32 heures
La relation de Rhaenyra et Alicent évolue tout au long des dix épisodes de la série: d'amies d'enfance à ennemies jurées.
image00003.jpeg
Margaux BaralonJournaliste Blick

Avertissement: cet article contient de nombreux spoilers des dix épisodes de la saison 1 de «House of the dragon».

La question s’est posée avant même le lancement du premier épisode. «House of the dragon», prequel de «Game of Thrones», allait-il prendre à bras le corps la question de la représentation des femmes? Là où la série originelle se vautrait souvent dans le «violence porn», le plaisir à filmer la souffrance -des femmes, donc-, était-il possible de faire mieux? Une saison plus tard, la bataille fait toujours rage et «House of the dragon» est loin d’avoir mis tout le monde d’accord. Pourtant, et parce qu’il faut savoir se positionner sur des sujets sensibles qui peuvent valoir une condamnation par «dracarys» au moindre faux pas, j’ose ici l’affirmer: ce prequel comporte de sacrées avancées par rapport à «Game of Thrones».

De la violence, il y en a. Beaucoup, même. À commencer par celle de l’accouchement. Dans le premier épisode, la reine Aemma, épouse du roi Viserys présentement assis sur le trône de fer mais sans héritier mâle, meurt en couche après avoir subi une césarienne médiévale des plus atroces. L’épisode six s’ouvre sur une Rhaenyra exténuée qui, quelques minutes seulement après avoir accouché d’un troisième petit garçon, doit parcourir de longs mètres debout, extrêmement affaiblie et perdant du sang, pour aller présenter le nouveau-né à la reine Alicent, nouvelle épouse de Viserys. Quelques minutes plus tard dans le même épisode, une autre noble Targaryen, Laena Velaryon, préfère finir calcinée par son dragon plutôt que de mourir en couche. Et le dixième épisode figure encore un accouchement atroce, qui s’achève avec l’expulsion du sixième enfant, mort-né, de Rhaenyra.

Comment filmer la violence?

La première question à se poser, c’est ce que raconte cette violence. Qu’on ne sait pas faire une césarienne correcte à Westeros, certes, mais c’est aussi l’incarnation la plus littérale de ce que les mouvements féministes récents tentent de défendre: l’intime est politique. Le foyer, la chambre à coucher, sont des endroits où s’exerce un pouvoir. Pas seulement parce que celui des femmes est censé, dans ce monde imaginaire, ne s’exprimer que par ce biais-là, celui d’être en capacité de produire des héritiers. Mais aussi parce que ce sont ces naissances qui façonnent, fragilisent ou renforcent le pouvoir des unes et des autres familles qui se disputent le trône de fer. Indéniablement, la figure récurrente de l’accouchement difficile sert ici la narration.

La seconde question est celle de la façon de montrer cette violence, éternel débat qui agite les séri- et cinéphiles avertis. Filmer n’est pas nécessairement dénoncer, et on pourra aisément reprocher au premier épisode de ne rien épargner de la césarienne mortelle aux yeux de son audience. Mais «House of the dragon» souligne aussi à plusieurs reprises par la suite que Viserys ne se remettra jamais de la mort de sa première épouse Aemma. Le suicide de Laena Velaryon semble d’ailleurs répondre au décès qui ouvre la série: plutôt choisir sa fin, rapide et sans douleur, que subir une décision masculine insupportable.

Du pouvoir de la mise en scène

La longue séquence montrant Rhaenyra obligée de se mouvoir, appuyée sur le bras de son mari Laenor alors qu’elle perd encore du sang, est plus parlante encore. Non seulement filmée pudiquement, sans gore superflu, elle réserve aussi un dialogue savoureux entre les deux époux, révélant que lui n’a de toute évidence qu’une (très) vague idée de sa souffrance à elle.

La mise en scène est un langage qui façonne forcément notre regard. Le deuxième épisode a suscité beaucoup de réactions choquées car il y est question de remarier Viserys, déjà un homme très mûr, avec Laena, une fillette de 12 ans. Mais que nous dit la caméra? Que cette union est très problématique. La seule et unique fois où les deux se rencontrent et marchent ensemble dans un jardin, ils apparaissent d’abord de loin et de dos, rendant la différence de taille (et donc, en l’occurrence, d’âge) impossible à ignorer. Sur le plan suivant, la caméra est fixée sur Viserys en légère contre-plongée. Laena, au premier plan, est si petite que seule sa perruque platine apparaît dans le cadre. Le contrechamp la fixe elle, mais Viserys est si grand que c’est lui qui se trouve cette fois invisible, le visage hors du cadre. Jamais ils ne seront tous les deux visibles proches et en entier, renforçant l’impression qu’il s’agit d’une union inacceptable.

Moins de nudité et de violences sexuelles

Les choix de mise en scène sur la nudité sont semblables. Les premiers épisodes de «Game of Thrones» donnaient le ton: on y trouvait pêle-mêle d’innombrables scènes dans des bordels avec des femmes déshabillées, le viol d’une Daenerys toute jeune et l’inceste de Cersei et Jaime Lannister (et probablement beaucoup d’autres, oubliées depuis, tant il y en avait). En dix épisodes, «House of the dragon» passe effectivement par la case bordel, nettement moins goulûment que la série fondatrice et sans franchement s’attarder sur quelque corps que ce soit. Lorsque Daemon entraîne sa nièce Rhaenyra dans cette maison close, l’un et l’autre gardent leurs vêtements et ne pas voir un seul téton n’empêche absolument pas de comprendre qu’ils ne sont pas là pour enfiler des perles. Ce n’est qu’après cette expérience peu satisfaisante pour elle, Daemon l’ayant laissée sur le carreau, que la jeune princesse se retrouvera entièrement nue avec Criston, le soldat qui la protège, pour une relation qu’elle réclame, prenant alors en main sa sexualité.

Les violences sexuelles ne sont d’ailleurs pas nombreuses dans «House of the dragon», ou soigneusement occultées. Dans l’épisode 4, la jeune Alicent est forcée d’accomplir son devoir conjugal avec Viserys. Un moment franchement désagréable à passer avec un vieux lépreux, que la série nous donne à voir de son point de vue à elle, sans en faire des caisses (là encore, l’actrice n’apparaît jamais nue) mais sans minimiser la pénibilité de la chose. Quant au viol subi par une servante d’Aegon dans l’épisode 8, on n’en verra rien. C’est la jeune fille, tremblante, qui le raconte à Alicent. Laquelle répond d’ailleurs qu’elle la croit et que ce n’est pas sa faute.

Deux très bons personnages féminins

Et c’est là qu’on commence à toucher du doigt ce qui est indéniablement le plus féministe des aspects de «House of the dragon»: l’écriture fine et réussie des deux personnages féminins principaux. Rhaenyra donc, princesse désignée héritière, et sa meilleure amie d’enfance, Alicent, devenue également sa belle-mère lorsqu’elle épouse Viserys. Si proches au début, ennemies quasi jurées à la fin alors que chacune réclame le trône de fer pour elle et ses enfants. Et entre les deux? Deux manières diamétralement opposées de prendre le contrôle de leur vie de femme dans un monde d’hommes. Rhaenyra se joue des règles et des carcans qu’on lui impose, refusant d’abord de se marier, entamant une relation interdite avec un simple soldat, puis avec un amant à la vue de tout le monde. Alicent, au contraire, se plie à toutes les exigences du patriarcat avec docilité, obéissant à son père puis son mari en espérant être récompensée.

Toutes les deux seront perdantes dans l’histoire. Rhaenyra paie très cher sa liberté en perdant sa meilleure amie, qui la jalouse autant qu’elle la méprise, chacun de ses amants (le premier se retourne contre elle avec une violence inouïe parce qu’elle refuse de l’épouser, le second est assassiné) puis le trône de fer qui lui revenait. En plus de devoir accepter une existence morose, Alicent, elle, découvre tardivement que son père se servait d’elle comme marchepied vers le pouvoir sans lui en accorder aucun, puisqu’il complotait toujours dans son dos même lorsqu’elle était en mesure de s’associer à ses machinations.

Une image de la sororité

Si ces deux personnages fonctionnent si bien, c’est aussi parce que, contrairement à une Daenerys en fin de «Game of Thrones», leur trajectoire n’est pas linéaire. Maintes fois, elles hésitent, se souviennent de leur ancienne amitié, semblent pouvoir se raisonner et, si ce n’est s’allier, du moins éviter de se faire la guerre. En vain.

«House of the dragon», pourtant, ne condamne pas la sororité à l’échec. L’épisode 10 est, à ce titre, très parlant. Lorsque Rhaenyra doit trouver un plan d’attaque pour récupérer son trône, sa première décision est de convier Rhaena et Baela, ses deux belles-filles, à la table des discussions. Juste avant, Rhaenys, l’un des personnages les plus intéressants de la saison également, lui a assuré le soutien de sa maison dans la guerre qui se prépare. Où sont les hommes? Le mari de Rhaenys suit sa femme. Celui de Rhaenyra, Daemon, qui l’a violemment étranglée sous le coup de la colère juste avant, n’est plus dans la pièce où se décident les actions. Le partage et la transmission du pouvoir sont, alors, entièrement une affaire de femmes.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la