Nouvelle pépite espagnole
«Antidisturbios», cette nouvelle série sur les violences policières va vous choquer

Haletante et extraordinairement bien mise en scène, cette série espagnole suit des policiers responsables d’une bavure. Et passe avec virtuosité de la peinture sociale au thriller politique.
Publié: 14.10.2022 à 19:40 heures
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Le personnage de l'enquêtrice Laia est introduit tout en subtilité dès le début de la série.
Photo: Movistar+
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Dès le départ, l’intervention que l’on demande à Salva et ses hommes ne sent pas bon. Ce chef d’une brigade anti-émeute au sein de la police de Madrid doit expulser les habitants d’un appartement de la capitale espagnole. Il sait que des militants pour le droit au logement ont pris possession des lieux et réclame des unités supplémentaires. On est au beau milieu du mois d’août, les vacances rendent les sous-effectifs encore plus criants. Il n’aura pas un homme de plus que les cinq qui l’accompagnent.

Sur place, l’intervention tourne à la foire d’empoigne. Les six policiers sont rapidement submergés. Insultes, cris, coups, bousculades. Puis le drame. Un jeune homme tombe du balcon de l’immeuble et s’écrase dans la cour intérieure.

Voilà le point de départ d’«Antidisturbios» (le terme qui désigne la police anti-émeute espagnole), série diffusée par la RTS à partir de ce vendredi 14 octobre. Et quel point de départ! Une scène filmée caméra à l’épaule, au plus près des matraques, des casques et des boucliers des policiers, quasiment en temps réel puisqu’elle dure près de vingt minutes. Vingt minutes suffocantes au terme desquelles il est pourtant impossible, pour le spectateur, de déterminer qui est vraiment responsable de la chute mortelle.

Les policiers ont-ils commis une faute? Se sont-ils laissés déborder? L’homme est-il tombé seul? Tout de suite, le créateur de la série, Rodrigo Sorogoyen, également réalisateur des six épisodes, et sa fidèle co-scénariste Isabel Peña, imposent un doute et une nuance inconfortables mais nécessaires à la réussite de l’entreprise.

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Politique et corruption

Une enquête est diligentée rapidement par ce qu’on appelle en Espagne les affaires internes, c’est-à-dire la police des polices. Le sujet est sensible, les violences policières régulièrement dénoncées, et l’affaire plus embarrassante encore puisque le mort est un migrant. Très vite, Laia, chargée de faire la lumière, se rend compte qu’il n’est pas uniquement question du surmenage de six policiers mal préparés face à une opération délicate. On n’en dira pas trop pour ne pas déflorer une série incroyablement dense, mais il sera bien sûr question de politique et de corruption.

Si «Antidisturbios» est une réussite, c’est parce qu’elle aborde des sujets de société brûlants frontalement mais avec subtilité. Qu’y a-t-il à l’origine de la violence? Comment des pères de famille peuvent-ils se transformer en brutes après avoir enfilé un uniforme? En suivant ces six policiers en intervention mais également dans l’intimité de leur cuisine ou de leur chambre à coucher, Sorogoyen et Peña évitent tout manichéisme.

Outre le rapport à la violence, il est question ici d’amitiés (trop) viriles et de solitude. Le personnage de Laia démontre lui aussi à quel point les deux Espagnols ont un sens inné de l’écriture. Introduite dès la scène d’ouverture lors d’une partie tendue de Trivial Pursuit, l’enquêtrice se révèle aussi acharnée dans son travail qu’autour d’un jeu de société.

Le pouvoir de la mise en scène

Mais «Antidisturbios» est aussi une leçon de mise en scène. Comme un miroir à la séquence tragique du début de la série, une autre intervention des policiers est filmée bien plus tard, alors qu’il leur faut sécuriser les abords d’un stade pour un match de football. Cette fois, la caméra ne les suit pas au plus près, préférant des plans larges pour montrer l’interpellation de supporters. En éloignant le regard, Sorogoyen éloigne aussi le spectateur de son sujet et de ses personnages.

Cette scène-là ne permet plus le doute de la première. Elle ne permet plus non plus l’empathie, montrant sans fard ce qui s’apparente à un passage à tabac. Voici la preuve du pouvoir d’un réalisateur sur son audience. La mise en scène est un langage qui n’est jamais innocent. Selon ce qu’on vous montrera, on façonnera votre opinion.

Rodrigo Sorogoyen est l’un des cinéastes espagnols les plus doués du moment. Ses quatre derniers films, le polar «Que dios nos perdone», le thriller politique «El Reino», le drame intimiste «Madre» et le polar «As Bestas», ont tous démontré ses talents de conteur en images. Voir qu’il apporte autant de soin et de virtuosité à sa série qu’à ses longs métrages est tout simplement jubilatoire.

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