Alors qu’elle reste l’autrice la plus traduite au monde, elle est aussi l’une des plus adaptées à l’écran, petit ou grand. Agatha Christie, reine du roman policier, a ainsi nourri de nombreuses séries depuis les années 1980. Et on aurait tort de penser que le filon commence à se tarir. En témoigne la dernière en date, «Pourquoi pas Evans?», diffusée sur Canal+ et franche réussite. Pour tous les amateurs et amatrices d’indices, de meurtres et d’intrigues tarabiscotées, voici une sélection de cinq adaptations incontournables.
«Hercule Poirot» (en VOD sur Apple TV+)
On commence par le plus gros morceau, puisqu’il s’agit tout simplement d’une adaptation en treize saisons, diffusées de 1989 à 2013, de l’intégralité des nouvelles et romans dans lesquels figure le détective Hercule Poirot. Le personnage phare d’Agatha Christie, Belge exilé à Londres, porte son regard aiguisé et sa méthodologie implacable sur des affaires non résolues toutes plus complexes les unes que les autres.
La série vaut évidemment pour sa fidélité à l'œuvre originelle, mais aussi pour son interprète principal. David Suchet, sélectionné par la famille d’Agatha Christie, a lu tous les livres de l’autrice avant de se glisser dans le costume du personnage, notant jusqu’au nombre de morceaux de sucre que celui-ci jette dans son café. Le comédien, venu du théâtre, a également beaucoup travaillé son accent en écoutant les radios francophones et des francophones parlant anglais. Le résultat est si réussi que la fille d’Agatha Christie a plusieurs fois dit à David Suchet que son interprétation aurait ravi sa mère.
«Ils étaient dix» (en DVD)
En 2015, la scénariste Sarah Phelps décide de s’attaquer pour la BBC au roman le plus vendu d’Agatha Christie, «Ils étaient dix». L’histoire de huit Britanniques qui ne se connaissent pas mais sont invités, sous divers prétextes, à passer quelques jours sur l’île du Soldat, en Angleterre. Ils y sont accueillis par deux domestiques mais, dès le premier dîner, tout ce beau monde commence à mourir, l’un après l’autre.
Cette adaptation en trois épisodes se démarque par son intelligente et délicate modernisation du roman. Sarah Phelps fait ressortir sa noirceur pour exalter ce qui apparaissait déjà en filigrane sous la plume d’Agatha Christie: la critique acerbe d’une société traumatisée par la Première guerre mondiale, profondément inégalitaire et volontiers bigote. La mise en scène étouffante accentue la paranoïa des personnages, tous remarquablement portés par des comédiens chevronnés, de Sam Neill («Jurassic Park») à Charles Dance («Game of Thrones»).
«Pourquoi pas Evans?» (Canal+)
Voici la série la plus récente de notre sélection, que l’on doit à Hugh Laurie. Oui, le seul et unique «Dr House» qui, après avoir raccroché la blouse, s’est essayé tant au roman qu’à la réalisation. Hugh Laurie donc, a choisi de s’attaquer à l’une des intrigues les plus alambiquées d’Agatha Christie. Dans «Pourquoi pas Evans?», le jeune Bobby Jones, fils de pasteur, tombe par hasard sur un homme mourant après être tombé d’une falaise. Il est témoin des derniers mots du malheureux, qui donnent le titre de la série. Avec une amie d’enfance, la charmante aristocrate Lady Frances Derwent, Bobby essaie de percer le mystère: qui est donc Evans? Et la chute de l’inconnu est-elle vraiment accidentelle?
On retrouve dans «Pourquoi pas Evans?» un humour british à tomber, une réalisation léchée et de quoi se faire des nœuds au cerveau tout au long des quatre épisodes. La série repose notamment sur le talent et le charme de Will Poulter (vu récemment dans «Dopesick») et Lucy Boynton (renversante dans le film «Sing Street»), très convaincants en enquêteurs amateurs aussi débrouillards que maladroits. Les seconds rôles sont tout aussi savoureux, de Hugh Laurie lui-même à Emma Thompson et Jim Broadbent, stars du cinéma britannique irrésistibles qui parviennent à faire le show en n’ayant qu’une seule scène.
«Témoin indésirable» (en VOD sur YouTube)
Trois ans après ses «Dix petits nègres», Sarah Phelps rempile pour adapter, toujours pour la BBC, «Témoin indésirable». Le roman, écrit en 1958 par Agatha Christie, part de la mort de Jack Argyll en prison. Il n’y a là pas de mystère: le jeune homme a succombé à une pneumonie. En revanche, le procès qu’il attendait pour le meurtre de sa mère, la richissime Rachel Argyll, n’a jamais pu se tenir. C’est là que débarque un inconnu qui assure détenir la preuve de l’innocence de Jack. L’assassin de Rachel court toujours… et il est toujours au sein de la famille Argyll.
Si la construction de la série, autour d’incessants aller-retours dans le temps, n’est pas des plus fluides, elle permet aussi de donner une profondeur supplémentaire à la série, qui se trouve être autant une enquête haletante qu’une peinture noire des non-dits en famille. Ici, les bourgeois en prennent pour leur grade, devenant de grinçantes caricatures. L’originalité de «Témoin indésirable» vient aussi de l’absence de détective à proprement parler, ce qui permet paradoxalement au spectateur de prendre cette place, pour le plus grand plaisir des apprentis Poirot.
«Miss Marple» (en DVD)
La première fois que l’actrice Joan Hickson s’est frottée à une adaptation d’Agatha Christie, c’était en 1946, au théâtre. Près de quarante ans plus tard, en 1984, celle qui a alors 78 ans endosse le rôle de l’un des personnages les plus célèbres de la romancière, Miss Marple. De 1984 à 1992, elle peaufinera l’interprétation de cette vieille femme qui confond toujours les coupables grâce à son esprit de déduction et sa connaissance fine de la nature humaine.
Aujourd’hui, les épisodes de «Miss Marple», qui adaptent les douze nouvelles et romans de ce personnage, ont une saveur vintage inégalable. Et il y a quelque chose de fascinant dans cette peinture ambivalente de la campagne anglaise des années 1950, qui cache derrière ses belles maisons et ses costumes impeccables des meurtres tous plus vils les uns que les autres.