La mafia est un peu à l’Italie ce que la Seconde Guerre mondiale est à l’Allemagne: on se doute que toutes les fictions produites localement ne parlent pas de ça, mais force est de constater que cela occupe la majorité de celles qui s’exportent à l’étranger. En matière de série, on pourrait citer «Gomorra», adaptée par lui-même d’un livre de Roberto Saviano sur la mafia napolitaine, mais aussi «Romanzo Criminale» ou «Zero zero zero». Mais il est encore possible d’innover sur un sujet similaire, comme le démontre brillamment la dernière en date, «Bang Bang Baby», disponible sur Prime Video, la plateforme de streaming d’Amazon.
Andrea di Stefano, le créateur de cette série, fait un choix radical, qu’il impose dès la scène d’ouverture: abandonner l’ultra-réalisme que l’on retrouve souvent dans les histoires de mafia pour imposer une autre esthétique, très pop, à la limite de l’onirisme. C’est que tout est vu à travers les yeux d’une adolescente de 16 ans, Alice Giammatteo, a priori sans signe distinctif sinon le mal-être perpétuel caractéristique de cet âge-là, renforcé encore par le fait qu’elle a grandi sans son père. Lorsqu’elle était enfant, celui-ci est mort, abattu en pleine fête foraine. Seulement voilà, Alice découvre, à la faveur d’une photo dans un journal, que le géniteur regretté vit encore. Il est en prison, certes, avec un lourd passif de criminel, certes, mais bien vivant. Et pour lui prouver qu’elle a tout d’une grande fille qui mérite l’amour filial dont elle a tant manqué pendant des années, Alice décide de l’aider à gérer quelques affaires. Au vu des activités professionnelles du bonhomme, cela revient tout simplement à s’engager aux côtés de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, dont sa famille paternelle, les Barone, est un pilier.
Personnages excentriques
Alice sèche les cours pour réclamer des dettes, payer des rançons et même brûler des cadavres. Il faut dire que nous sommes dans les années 1980 et la surveillance parentale n’est pas tout à fait la même qu’aujourd’hui. Surtout lorsqu’on a pour grand-mère la terrifiante Nonna Lina, dite «Mamie héroïne» dans le milieu. Le spectre des activités autorisées à 16 ans n’est alors pas le même que pour le reste des jeunes filles. «Bang Bang Baby» aligne les personnages excentriques comme des bonbons, avec un sens de l’exagération maîtrisé. Ici, les curés trafiquent autant de drogue que les autres, tout le monde craint de finir empoisonné par les gâteaux de la mamie et l’un des parrains de la pègre, qui envoie les scouts dont il s’occupe récupérer la cocaïne par dizaines de kilos sur la plage, est un grand fan de George Michael.
George Michael, d’ailleurs, est l’une des nombreuses influences 80s de «Bang Bang Baby», qui carbure aux chansons de Wham! et aux coupes mulets (supplément brillantine bien sûr, nous sommes en Italie). À l’instar de «Stranger Things», quoi que dans un registre très différent, la série d’Andrea di Stefano assume sa nostalgie pour cette époque, ses synthétiseurs, ses tignasses bouclées, ses sitcoms et ses blousons criards. Et c’est cette esthétique pop, couplée à pas mal d’humour noir, qui confère à «Bang Bang Baby» toute son originalité. Les règlements de compte sont éclairés par des néons roses, on suit la trace d’un cadavre en retrouvant la perruque du mort, et les bulles de chewing-gum font autant de bruits que les flingues en éclatant.
La révélation Arianna Becheroni
Cela ne signifie pas pour autant que la série ne prend rien au sérieux. Simplement qu’elle mêle avec habileté les passages obligés d’une histoire de mafia (trahisons et vengeances en tous genres) et le parcours initiatique d’une jeune fille mal dans sa peau. «Bang Bang Baby» n’élude d’ailleurs rien, ni les troubles alimentaires ni les premiers émois de l'adolescence. Dans le rôle principal, la jeune Arianna Becheroni fait à peu près le même effet qu’une bande-originale à base de Talking Heads, Bronski Beat et Blondie: on pourrait ne regarder toute la série que pour elle.