Entre drame et thriller
«La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé», retour gagnant pour Xavier Dolan

Le réalisateur québécois signe sa première série, après des films mal reçus par le public et la critique. L’occasion de renouer avec ses débuts virtuoses et ses obsessions dans un drame familial éblouissant.
Publié: 23.01.2023 à 20:53 heures
Avec «La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé», Xavier Dolan revient en force après quelques films en demi-teinte.
Photo: Fred Gervais
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Margaux BaralonJournaliste Blick

C’est l’histoire d’un douloureux chassé-croisé. Au début de «La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé», première série du réalisateur québécois Xavier Dolan, disponible à partir de ce lundi sur Canal+, une femme s’apprête à partir et une autre à revenir.

Ancienne élue de sa ville (fictive) de Val-des-chutes, Mado Larouche est gravement malade. Ses trois fils, Julien, Denis et Elliott, le petit dernier qui sort de cure de désintoxication, se pressent à son chevet. Lorsqu’elle décède, sa fille Mireille, partie depuis des années, refait surface. Elle est thanatopractrice et revient donc embaumer le corps de sa mère avant, promet-elle à Julien, de disparaître pour de bon. Entre ces deux-là, la tension est si épaisse qu’on devine qu’elle s’est installée sur un drame.

Que s’est-il réellement passé, cette nuit d’octobre 1991, trente ans plus tôt, alors que Mireille et Julien étaient adolescents? Pourquoi la famille Larouche a-t-elle explosé en vol, laissant aujourd’hui la question de l’héritage en suspens? Et comment expliquer qu’avant de rendre l’âme, la matriarche très agitée ait refusé de serrer la main de son fils aîné?

Entre le drame et le thriller

«La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé» est donc un drame familial, rapidement doublé d’un thriller lorsqu’un mystérieux inconnu à moto se met à épier Julien et sa compagne, Chantal.

Xavier Dolan, qui comme d’habitude fait tout ici (réaliser, jouer le rôle d’Elliott, superviser le montage et les costumes), avait prévenu dès les premières minutes, avec un prologue angoissant et, surtout, un générique qui rappelle l’esthétique poisseuse des films de David Fincher: il y aura des larmes, certes, mais aussi des frissons.

Le réalisateur jongle habilement entre les deux lignes temporelles de son histoire, passée et présente. Il s’est aussi brillamment emparé de tous les codes typiquement sériels, à commencer par le «cliffhanger» - cette façon de finir chaque épisode par un suspense intenable pour pousser à regarder le suivant.

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Famille dysfonctionnelle et Céline Dion

Cela n’empêche pas le Québécois, remarqué dès son premier film («J’ai tué ma mère», sorti en 2009), de prendre son temps. Déployer tous les personnages de cette famille Larouche n’est pas une mince affaire. Il y a Julien, angoissé, virevoltant, qui a repris des études et trompe Chantal dans des hôtels miteux parce que c’est plus simple de coucher avec des femmes qu’on ne respecte pas trop.

Chantal, qui tient la baraque et la famille quoi qu’il arrive. Denis, le calme un peu paumé, mais pas suffisamment pour que cela se voie. Et Elliott, vraiment paumé, lui, attaqué par le stress et le psoriasis. L’arrivée de Mireille, grande gueule qui cache ses traumatismes derrière une apparente froideur, vient bouleverser un équilibre qui, de toute façon, ne tenait plus qu’à un fil.

On retrouve dans «La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé» toutes les obsessions de Xavier Dolan, passionné par les familles dysfonctionnelles («Juste la fin du monde»), l’amour filial («Mommy»), les quêtes identitaires («Tom à la ferme», «Laurence Anyways»), les couples qui n’en sont pas encore («Les Amours imaginaires»), les gens qui se mettent à chanter du Céline Dion et les ciels orangés après l’orage.

Une formidable direction d’acteurs

Mais le Québécois retrouve surtout, dans «La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé», une densité qui s’était éloignée avec ses derniers films («Ma vie avec John F. Donovan», «Matthias et Maxime»), moins émouvants, moins aboutis. Ici, chaque personnage se dévoile couche après couche dans toute sa complexité. Tour à tour mal aimables ou attachants, Mireille, Julien, Denis, Elliott et Mado dessinent la carte de relations intrafamiliales tortueuses, où les incompréhensions et les colères sont proportionnelles à l’amour que l’on se porte. C’est bien pour ces protagonistes fascinants, plus que pour le mystère du drame originel, qu’on dévore les cinq épisodes de la série.

Reste, enfin, la générosité d’un cinéaste capable de tirer le meilleur de ses acteurs. Au départ, «La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé» est une pièce de théâtre. Xavier Dolan a fait le choix de reprendre la majorité des comédiens qui s’illustraient déjà sur les planches et d’ajouter Anne Dorval, son actrice fétiche, pour jouer Mado. Tous habitent leur rôle avec passion, s’approprient des dialogues frénétiques et livrent des performances de haut vol.

Il y a toujours quelque chose de cru, voire violent, dans les explorations intimes que le réalisateur québécois veut porter à l’écran. Xavier Dolan adore les illustrations littérales: les femmes submergées émotionnellement prennent des litres d’eau sur la tête, les hommes qui ont la boule au ventre vomissent au restaurant. Cela a pu parfois, au cinéma, confiner au maniérisme. Dans cette série, c’est impressionnant de justesse.

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