Les jours se suivent et se ressemblent parfois à Hollywood. En mai dernier, la puissante WGA, le syndicat des scénaristes américains, avait voté une grève massive. En cause: des désaccords profonds avec les studios de production sur les conditions de travail et de rémunération des auteurs. Le soir du jeudi 13 juillet, la Sag-Aftra (Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists), l’organisation qui rassemble les acteurs et actrices aux Etats-Unis, a suivi exactement le même chemin en votant un débrayage à compter du vendredi 14 juillet, 9h (heure suisse, minuit sur la côte ouest). Pour les mêmes raisons.
Et c’est loin d’être banal. La dernière grève des comédiens remonte à 1980. Pour retrouver une telle coalition des auteurs et des acteurs face aux producteurs, il faut remonter en 1960 (à l’époque, d’ailleurs, le leader de la Sag n’était autre que… Ronald Reagan).
Intelligence artificielle et plateformes au cœur du bras de fer
Soixante-trois ans plus tard, les sujets de désaccord portent sur l’utilisation de l’intelligence artificielle. Les comédiens craignent que les studios s’en servent pour modifier leur voix ou leur visage, voire les recréent intégralement sans leur accord et sans rémunération. «L’industrie change du fait du streaming, du numérique et de l’intelligence artificielle», a résumé Fran Drescher, la présidente de la Sag-Aftra, actrice dans «Une nounou d’enfer». «Si nous ne résistons pas, nous sommes tous menacés d’être remplacés par des machines.»
L’enjeu est aussi de trouver un mode de rémunération qui correspond aux nouvelles façons de diffuser les films et les séries, accessibles sur les plateformes en permanence sans que, pour le moment, les salaires ne bougent. Et comme Netflix, Disney+, Prime Video et bien d’autres ne communiquent pas leurs audiences exactes, il est impossible de négocier des bonus en cas de gros succès.
Les tournages arrêtés
Les effets d’une grève des scénaristes sont souvent difficiles à mesurer dans l’immédiat: il faut attendre l’annulation ou le report de films et de séries pour que les conséquences se fassent sentir, généralement plusieurs mois plus tard. Pour les acteurs, les conséquences sont évidentes. Dès à présent, ils arrêtent de tourner bien entendu, mais aussi de danser et de chanter, activités qui, aux États-Unis, font partie intégrante du métier. Cela concerne également les doublures, donc les cascadeurs, qui raccrochent les gants, et les doubleurs de voix, qui n’approchent plus des micros.
Beaucoup de productions qui avaient réussi à passer entre les mailles du filet lors de la grève des scénaristes se retrouvent donc à l’arrêt. La saison 2 de la série «Sandman», attendue sur Netflix? Le tournage vient d’être stoppé. La suite d’«Andor», nouvelle déclinaison de l’univers Star Wars sur Disney+? Le tournage ne pourra pas commencer. Même sort pour le huitième volet de «Mission: Impossible», qui devait être filmé une fois la promotion du septième (actuellement en salles) achevée.
La saison 2 des «Anneaux de pouvoir», attendue l’an prochain sur Prime Video, et «The Palace», la prochaine série HBO avec Kate Winslet, ont en revanche réussi à passer entre les gouttes. Selon «Variety», le tournage de la prochaine saison de «House of the dragon» ne s’arrête pas non plus. Pour continuer, les studios peuvent notamment faire appel à des acteurs non-américains. Certaines productions sont également sous contrat britannique, ce qui permet de contourner la grève… en tout cas tant que les syndicats anglais n’ont pas décidé de tout arrêter en signe de soutien à leurs homologues américains.
Fin du bal de promo
Surtout, les membres de la Sag-Aftra ne peuvent plus assurer la promotion des films. Plus d’avant-premières, plus d’interviews dans la presse, aucune présence à des festivals ou des rencontres… ils seront tous sur les piquets de grève et ne parleront que du mouvement social en cours. Interrogé par le site américain Indiewire, Tony Gilroy, co-créateur d’«Andor», devait réagir à la nomination de la série aux Emmy Awards. Il a préféré… ne pas répondre aux questions pour détailler les tenants et les aboutissants du débrayage.
Dès jeudi soir, sans attendre le début officiel du mouvement, le casting d’«Oppenheimer» a quitté l’avant-première londonienne avant le début de la projection. Matt Damon, Robert Downey Jr et Emily Blunt ont laissé au réalisateur, Christopher Nolan, le soin d’expliquer la situation aux spectateurs. «Ils sont partis préparer leurs pancartes», a déclaré le cinéaste avec humour.
De passage à Paris en début de semaine, Matt Damon avait d’ailleurs prévenu: «Il y aura une solidarité totale en cas de grève. Nous devons obtenir un salaire équitable de la part des plateformes de streaming, nous avons besoin de plus de transparence.» La sortie d’«Oppenheimer», attendu le 19 juillet dans les cinémas romands, sera donc très perturbée. Même sort pour l’autre blockbuster de l’été, «Barbie» de Greta Gerwig, avec Margot Robbie et Ryan Gosling.
Panique sur la Mostra
Les événements et festivals à venir dans les prochains mois ne peuvent qu’espérer une résolution rapide du conflit. C’est d’ores et déjà peine perdue pour le Comic-con, qui commence le 20 juillet à San Diego. Le rendez-vous préféré des geeks et amateurs de BD accueille toujours de nombreux panels autour de films et de séries et les annulations tombent en cascade. La Mostra de Venise, le plus vieux festival de cinéma du monde, qui débute le 30 août, risque de subir le même sort.
La situation s’annonce tout aussi délicate en septembre pour le Festival du film américain de Deauville, en France, où devaient notamment venir Natalie Portman et Peter Dinklage, l’un des acteurs principaux de «Game of Thrones». Pour l’instant, aucune sortie de crise ne se dessine, chacun des deux camps se renvoyant la balle et la responsabilité du blocage.