Toujours percutant
Rage Against The Machine sortait son premier album il y a trente ans

Le premier album du mythique groupe américain est sorti il y a trente ans. Retour sur un phénomène contestataire qui résonne toujours très fort aujourd'hui.
Publié: 03.11.2022 à 22:10 heures
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Dernière mise à jour: 05.12.2022 à 10:56 heures
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Tom Morello de Rage Against the Machine sur la scène du Madison Square Garden, le 8 août 2022 à New York.
Photo: Theo Wargo
Thibault Gilgen

L'album éponyme de Rage Against The Machine, RATM pour les intimes, est sorti il y a trente ans. Porté par le titre «Killing In The Name», devenu tube malgré une violence pas forcément accessible à tous, ce premier essai résonne plus que jamais comme d'actualité, entre revendications sociales et contestation politique.

Quand le premier disque du groupe de Los Angeles paraît le 3 novembre 1992, c'est un choc, à plusieurs titres. D'abord visuel, puisque la pochette reprend la célèbre photo du moine bouddhiste Thich Quang Duc qui s'immole en 1963 pour protester contre le régime sud-vietnamien.

«Il y a une volonté de sortir des standards des pochettes un peu lisses privilégiées d'habitude par les maisons de disques pour ne pas heurter le client», dissèque pour l'AFP Christophe Levaux, chercheur en musicologie à l'université de Rome et auteur de «Rage Against The Machine» (éditions Densité). Le titre qui ouvre l'album, «Bombtrack», ne laisse pas de place au doute. La bombe n'est plus à retardement: elle explose là, maintenant. Le groupe s'adresse à tous ceux qui, comme lui, se «réchauffe(nt) les mains aux flammes du drapeau», dans une Amérique où le rêve de la liberté ne concerne que les mieux placés.

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Côté sonorité, le quatuor balance une puissance inédite avec sa fusion entre metal — forgé par la guitare de Tom Morello — et scansion rap avec Zack de la Rocha au micro. Un style qui influencera beaucoup de groupe qui donneront eux-mêmes naissance au Nu Métal – véritable phénomène de la fin des années 1990 – tels le groupe Limp Bizkit, ou Linkin Park dans un style moins tranché dès la décennie suivante.

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Les grandes radios s'emparent assez vite du morceau «Killing In The Name», qui deviendra rapidement le morceau phare du groupe. Surtout en Europe, car aux Etats-Unis la censure tombe: le couplet «Fuck you, I won't do what you tell me!» («Va te faire foutre, je ne ferai pas ce que tu me dis!») est répété seize fois.

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Il ne s'agit pas d'une rébellion adolescente comme chez d'autres formations en vogue. La désinvolture du grunge à la Nirvana, ou les textes auto-centrés sur la jeunesse et ses angoisses ne sont plus le propos principal. Les thématiques de RATM sont hautement plus politiques, appelant au respect des droits civiques et de ceux des minorités par exemple.

Résonance avec «Black Lives Matter»

Ce «Killing In The Name», inspiré par le passage à tabac de Rodney King à Los Angeles, resté dans l'Histoire, est par extension une dénonciation des violences policières sur fond de racisme.

«Ce texte date d'il y a 30 ans mais a une résonance actuelle très forte, ce n'est pas comme si le combat avait été gagné depuis», note Christophe Levaux. Des vidéos virales ont d'ailleurs montré des manifestants du mouvement Black Lives Matter scandant les paroles de «Killing In The Name» à Portland, aux Etats-Unis.

Après avoir balancé ses premiers riffs sur son album éponyme, le quatuor ne se résout pas au silence et sort, dans la même veine, «Evil Empire» (1996), «The Battle of Los Angeles» (1999) et «Renegades» (2000). Forcément moins surprenants, les sonorités et les textes n'en restent pas moins tranchants.

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Alors que RATM aurait pu tomber aux oubliettes avec deux dissolutions depuis l'an 2000, le groupe s'est reformé récemment et les festivals se l'arrachent. Il auraît dû se produire à Zurich en septembre, mais il est actuellement à l'arrêt en raison d'une blessure à un tendon d'Achille du chanteur.

«Aujourd'hui, 30 ans après ses débuts, le groupe est devenu presque central dans la représentation des années 1990 et a retrouvé une reconnaissance, une légitimité, liées à l'accroissement des mouvements revendicateurs», analyse encore Christophe Levaux.

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Le chercheur en musicologie fait également remarquer que RATM est aussi aujourd'hui «beaucoup plus associé à la scène rap» qu'à ses débuts, où il était rangé dans les groupes à guitares. Il tourne d'ailleurs en binôme avec les rappeurs de Run The Jewels.

Précarité d'une Amérique oubliée

Il faut peut-être voir dans l'aura régénérée du groupe l'activisme du guitariste Tom Morello. Pendant la dernière pause de RATM, il a formé le super-groupe Prophets Of Rage, avec Chuck D, chanteur de Public Enemy, collectif de rap mythique. Une formation présentée comme «anti-Trump» pendant la présidence de ce dernier. Le groupe a d'ailleurs fait trembler le Venoge Festival en 2019.

Né à Harlem d'un père kényan et d'une mère aux racines irlandaises et italiennes, Morello a grandi dans l'Illinois, a étudié les sciences politiques à Harvard et a donc inventé un jeu de guitare entre fureur électrique et éclairs des platines des DJs du hip-hop. Les adeptes de la série de jeux vidéo «Guitar Hero» s'en souviennent: il faisait partie de l'un des bosses finaux, lâchant des riffs d'une autre galaxie.

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Après les grandes années RATM, le guitariste s'est illustré avec le super groupe Audioslave notamment, composé du regretté chanteur de Soundgarden, Chris Cornell, et des autres musiciens de RATM. Plus récemment, Tom Morello a même rejoint Bruce Springsteen sur le disque «High Hopes» en 2014 ainsi que lors de la tournée qui a suivi. Dans un registre différent, il a pu apporter ses sonorités si caractéristiques au répertoire du «Boss», enregistrant même une sublime version de «The Ghost of Tom Joad», chanson écrite par Springsteen et déjà reprise par Rage Against The Machine en 1998. Les deux hommes s'étaient rendus compte de leur alchimie lors d'une performance au Madison Square Garden de New York en 2009.

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Ce musicien arborant parfois une casquette ornée de «Madiba» (nom clanique de Nelson Mandela) fait habilement passer ses messages sur ses réseaux sociaux (1,6 million de suiveurs sur Instagram, presque autant sur Twitter), surlignant par exemple la précarité d'une Amérique oubliée.

«Dans la petite ville où j'ai grandi dans l'Illinois, (...) les options pour les gens sont: s'engager dans l'armée, travailler à Walmart (ndlr: chaîne de supermarchés), vendre du meth (ndlr: une drogue)», développait-il récemment dans NME, média musical britannique de référence.

Une musique non figée dans un genre, engagée, porteuse d'une vision globale de la société et qui ne se regarde pas les pieds: voilà peut-être un terrain sur lequel les musiciens pourraient davantage s'avancer en ces temps troublés.


(avec AFP)

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