Alors que les élections de mi-mandat se terminent aux États-Unis, Bruce Springsteen revient à nos oreilles, en l'occurrence en âme plus qu'en conscience (politique). Histoire de mettre un peu de gaité au cœur de l'automne, le «Boss» nous offre quinze covers de pure musique soul.
Adulé par les fervents démocrates, décrié par les républicains les plus radicaux, il n’en reste pas moins l’une des dernières figures du rock américain, et chaque nouvelle proposition est à prendre comme un cadeau dont il faut profiter.
En 2020, Bruce Springsteen remontait déjà aux sources avec le sublime «Letter to you», album très rock, mais aussi teinté de nostalgie. Enregistré en cinq jours, il revenait dans l’urgence aux sonorités que son mythique E street Band balançait sur les trois pépites fondatrices que sont «Born to Run», «Darkness on the edge of Town» et «The River», sorties entre 1975 et 1980.
Derrière la puissance intacte «made in New Jersey», une ombre de fin de carrière étouffée dans le confinement planait quelque peu sur ce disque, sans que l’on ose y croire vraiment.
Fort heureusement, en ce mois de novembre, Bruce Springsteen a décidé de remonter encore un peu plus en amont, à des titres qui ne sont pas les siens, mais qui ont évidemment eu une influence majeure sur son groupe et sur ses compositions: la soul music des années 1960, celle de la Motown, d’Aretha Franklin, ou encore de Jerry Butler, à qui l’on doit ce «Only the Strong survive» qui donne son nom à l’album.
«Le E Street band est un groupe de rock… et de soul!», clame souvent Springsteen sur scène. C’est vrai! Et il est logique que le «Boss» souhaite rendre hommage à cette musique qui l’a tant inspiré, comme il l’avait fait en 2006 avec «We Shall Overcome: the Seeger Sessions» en s’immergeant dans le patrimoine folk et country de l’Amérique.
Parfait remède post-rupture
Ce 21e album studio s'ouvre donc sur une suite de trois morceaux plutôt convaincants. «Only the strong survive», «Soul Days» chanson de Dobie Gray interprétée avec la légende Sam Moore (du duo soul Sam & Dave) et «Nightshift» des Commodores, très efficace et très... springstinien finalement. On connaissait le goût du musicien pour Elvis, Bob Dylan ou encore Roy Orbison, il nous fait voyager ainsi dans d'autres sonorités moins souvent célébrées de nos jours.
Le choix des titres permet également de rester dans un registre intemporel au niveau des textes puisque ceux-ci parlent en majorité... d'amour. «Now I remember my first love», rigole l'artiste dès les premières notes. Cet album de reprise pourrait être un parfait remède post-rupture, entre les paroles liées aux souvenirs d'un amour perdu et les mélodies entrainantes qui donnent envie de sortir dans la rue pour s'en guérir, le printemps revenu.
Un voyage soul
«When she was my girl», «Turn back the hands of time» ou encore «Don't play that song» d'Aretha Franklin, les titres sont dans ce registre et s'enchaînent fluidement. Ils deviennent malheureusement un peu répétitifs et il manque cette petite étincelle pour véritablement qualifier cet album de réussite.
Sur ce nouvel opus, la voix est bien sûr travaillée et les arrangements soigneusement orchestrés. «J’ai voulu challenger ma voix», expliquait Springsteen au moment de l’annonce de la sortie de l’album. Force est de constater qu'il a réussi son pari. Mais ce timbre, habituellement si puissant, raisonnant au panthéon du rock depuis son fameux «Boooowwwwwn in the youaisaaaay» a peut-être atteint son apogée au début des années 2000 pour évoluer vers une tonalité plus douce depuis quelque temps déjà. Sur certains titres de ce 21e album studio, sa voix, bien que toujours posée, semble parfois se perdre sous les envolées des violons et les chœurs nébuleux. L'âge avance, l'homme vient de fêter ses 73 ans. On espère juste avoir autant de coffre à son âge, mais le constat titillera peut-être les plus fins auditeurs.
Côté production, on retrouve Ron Aniello, avec qui le «Boss» collabore depuis 2012 et l'album «Wrecking Ball». Si les arrangements sont bien ficelés, tendres à l'oreille... ils le sont presque un peu trop par rapport à la puissance et l'urgence festive que peuvent laisser transparaître des standards de la soul, d'autant plus quand ils sont chantés par Springsteen.
Une version live de «Spirit in the night» – titre soul par excellence issu de son propre répertoire en 1973 – donne par exemple les frissons que l'on espérait entendre aussi sur cet album. En vain. On souhaiterait une batterie qui claque le rythme plus franchement, des cuivres plus puissants, un mûr de guitare pour soutenir ces envolées rythmiques... le E Street Band en somme (même si certains cuivres en sont issus).
1973: Greetings from Asbury Park, NJ
1973: The wild, the innocent and the E Street shuffle
1975: Born to run
1978: Darkness on the edge of town
1980: The river
1982: Nebraksa
1984: Born in the USA
1987: Tunnel of Love
1992: Human touch
1992: Luck town
1995: The Ghost of Tom Joad
2002: The Rising
2005: Devils & dust
2006: We shall overcome: The Seeger sessions
2007: Magic
2009: Working on a dream
2012: Wrecking Ball
2014: High Hopes
2019: Western stars
2020: Letter to you
2022: Only the strong survive
1973: Greetings from Asbury Park, NJ
1973: The wild, the innocent and the E Street shuffle
1975: Born to run
1978: Darkness on the edge of town
1980: The river
1982: Nebraksa
1984: Born in the USA
1987: Tunnel of Love
1992: Human touch
1992: Luck town
1995: The Ghost of Tom Joad
2002: The Rising
2005: Devils & dust
2006: We shall overcome: The Seeger sessions
2007: Magic
2009: Working on a dream
2012: Wrecking Ball
2014: High Hopes
2019: Western stars
2020: Letter to you
2022: Only the strong survive
Il n'en demeure pas moins que le disque reste savoureux par son esprit joyeux et sa douceur, même si les textes évoquent certaines blessures que peut procurer l'existence. Entendre le «Boss» en forme fait plaisir, indéniablement, et réchauffera les cœurs pendant les fêtes.
Regarder devant
Détail important, la mention «vol.1» figure sur la pochette du disque. De quoi envisager d'autres séries de covers dans d'autres registres? Imaginons un album de standards blues ou rock 'n'roll, sûr que cela aurait son petit effet. Il est toutefois certain que ce «Only the strong survive» n'égale pas d'autres efforts solo du chanteur, encore moins ceux avec le E Street band. Il reste agréable à écouter, en attendant la tournée 2023. De passage à Zurich en juin, elle raisonnera avec les fidèles compagnons de route du «Boss» et sera épique à n'en pas douter. Ce «Only the strong survive» nous permet de patienter. Connaissant les habitudes du patron, on peut déjà dire qu'il ne sera pas au centre de ses prochains concerts.
Après son autobiographie et sa tournée célébrant l'album «The River» en 2016, son spectacle à succès plein d'introspection à Brodway l'année suivante, ou encore ses coups d'œil musicaux sur son passé, on souhaiterait ardemment que Springsteen revienne à l'actualité et à sa lecture si brillante de ce qu'il advient d'un monde et d'une Amérique de plus en plus divisés.
Certes, on ne peut renier son passé et ses inspirations lorsqu'on est une légende vivante de 73 ans. Certes, on ne peut pas en vouloir à un artiste confirmé de travailler sur les projets dont il a simplement envie. Mais on est certain que Springsteen a encore beaucoup à dire en regardant devant lui.
À écouter: Bruce Springsteen, covers vol.1, Only the strong survive, Columbia Records.