Je n’aime pas commencer un article par une citation. Mais par un dialogue, ça passe. Il m’emmène dans sa loge.
— Fais pas attention à tous les produits cosmétiques qu’il y a par terre.
— C’est pour tes veuch et ta nouvelle coupe?
— Exactement.
Sa nouvelle tête? Un mulet peroxydé et laqué avec une raie au milieu. Il se définit lui-même comme «bizarre», Michel. Le look de ce rappeur — qui pose son flow et ses rimes souvent drôles parfois très personnelles sur de la deep house, reprend à l'occasion Hélène Ségara mais aussi toute une série de Michel (Delpech, Polnareff, Fugain ou Berger) et s’habille en fripes ou sur Vinted — est un mélange entre un kéké qui kiffe le tuning, un techno kid qui aime la forêt et les Dragibus comme Feu! Chatterton, et une star du rap d’Europe de l’Est.
Stylé. Ou «branké», comme il dit. Il vous expliquera pourquoi dans l’interview et les réponses assez deep qui suivent. Quelques minutes avant notre rencontre ce jeudi à Paléo, c’était le feu sous le Club Tent. Hurlements et pogos. Les lunettes de ma pote Valentine en ont fait les frais. Michel, qui ne quitte presque jamais les siennes, fumées, compatit.
Pourquoi tu t’en bats autant les couilles?
C’est un mode de vie! Franchement, c’est juste un mood. Je sais pas, il y a peu de choses qui me touchent. Je sais que je dois travailler sur ça. C’est-à-dire qu’il faut que j’arrive à débloquer quelque chose en moi en termes d’émotions. En fait, je m’en bats les couilles de tout parce que je manque d’émotions fortes, tu vois?
T’es en recherche d’émotions fortes et de révolte?
Je compte aller voir une énergéticienne dans quelques semaines afin de travailler sur ça.
(Rires) Vraiment?
Ah je suis très sérieux là. J’ai envie de débloquer quelque chose là-dedans. (Il pointe son torse et son cœur) J’ai reçu quelques messages spirituels, même si ça peut paraître étrange, qui m’ont poussé vers ce chemin.
Ça veut dire quoi?
C’est spirituel. Je ne suis pas bourré. Ni drogué!
Je peux confirmer pour celles et ceux qui nous lisent que t’es en train de boire du thé froid.
Ça ne me dérange plus de parler de ça. Ça fait une quinzaine d’années que j’ai pas pleuré, par exemple.
Waouh.
C’est fou, hein? Regarde mes yeux (il enlève ses lunettes de soleil), est-ce que je pleure?
Même pas devant un film?
Même pas devant un film, même pas une larmichette.
Même pas un chagrin d’amour?
Même pas un chagrin d’amour. D’ailleurs, l’amour, tu sais, justement, je pense que c’est bloqué là-dedans, tu comprends?
Ouais, je crois. J’ai une question sur l’amour après. Mais restons sur toi. Tu ne donnes jamais ton âge et ton prénom ne semble pas être un indice. T’es la même année que qui?
Franchement, j’en ai aucune idée. Je sais que je suis né le même jour que Patrick Cutrone, un joueur de foot italien, qui joue à Empoli, passé par l’AC Milan. Mais je pense que c’est bien de ne pas trop en dire parfois. On peut laisser le mystère s’installer. Il y a des gens qui vont me donner 20 piges, d’autres 30. Tu me donnerais combien par exemple?
(Rires) La question piège, je m’y attendais. Je coupe la poire en deux: 25 ans.
OK. Ben c’est souvent l’âge qu’on me donne. C’est peut-être le mien, peut-être pas. Qu’est-ce que le temps, au final?
Ça devient trop philosophique. Parlons sape. Tu t’habilles en fripes…
… Fripes ou Vinted! Ça, c’est Vinted, ça (il montre sa chaussure), 25 balles.
… tu ne vas plus à la salle depuis 4,5 ans, ou tu ne vas tout simplement plus à la salle…
Alors, j’ai écrit ce morceau, c’est vrai. Juste après, j’ai essayé d’y retourner. Mais comme tu peux le constater (il bande son biceps droit), rien de neuf! J’ai vite arrêté.
Du coup, le bling-bling, les gros muscles de Booba, c’est pas ton délire?
J’en ai rien à foutre. C’est vraiment pas mon délire. Mais par contre, j’aimerais bien me remettre à la salle de sport. Je joue deux fois par semaine au foot, j’adore ça. Mais je suis gringalet. Et comme je mange beaucoup de burgers, je dois faire attention parce qu’avec le temps qui passe…
Regarde, tu vas finir par me donner ton âge!
On en revient à l’âge. Et je vais finir par attraper un bide avec un corps tout sec. Et ça, c’est horrible. Du coup, j’aimerais me réinscrire à la salle, mais juste pour me dessiner et me tonifier. Et rester sec. J’adore être sec. J’aime la maigreur.
Pourquoi, c’est beau?
Je trouve ça plus beau que les gros muscles, perso.
Tu dis que tu te trouves le plus beau quand t’es tout seul...
Ça, c’est une phrase de mon père. Quand j’habitais encore chez mes parents, il chantait toujours ça. Et ça le faisait rire. Je l’ai mise dans une de mes chansons en mode dédicace, un peu.
Tu te trouves beau?
Quand je suis tout seul. Non, mais comme tout le monde: il y a des jours où je me trouve mignon, avec un petit air bronzé. Là, par exemple, aujourd’hui, je me trouve pas moche. Mais il y a des jours où je me trouve affreux.
Tu dis que le physique de Booba et des autres, c’est pas trop ta came…
Mais je les respecte! J’ai pas envie qu’ils me tapent dessus.
Mais leur musique, c’est ta came?
Pour le coup, j’ai énormément écouté Booba, à une époque. Je suis toujours ce qu'il fait. J’y suis peut-être un peu moins sensible aujourd’hui, parce que j’évolue dans la musique et j’aime d’autres choses.
Tu tacles certains rappeurs violemment dans un de tes sons. Tu dis qu’ils chantent la rue alors qu’ils n’ont jamais vu les tours. Tu penses à qui?
Bah… J’ai pas de noms en tête et même si j’en avais je t’en donnerais pas parce que c’est tirer à balles réelles pour rien. Mais, effectivement, t’sais, il y avait une tendance dans le rap où on ne parlait que de la rue. Il fallait prouver quelque chose. Et même les gens qui écoutent du rap. J’ai l’impression que toute cette génération écoute du rap de cité pour satisfaire leur virilité, tu vois ce que je veux dire?
Il y a une sorte de fétichisme.
Il y a un truc. «C’est la cité, c’est stylé»… En vrai, ça peut être grave stylé. Il y a des artistes qui rappent la cité que je kiffe de fou. Pour d’autres, c’est des postures. Et quand c’est des postures, en général, c’est un peu grillé et je trouve ça nul.
Tu les as vues, toi, les tours?
Moi, les seuls tours que j’ai vues, c’est deux-trois HLM dans ma ville. Pas plus. Donc, non, moi, je ne viens pas de la cité.
Tu viens d’un milieu confortable?
Je viens d’un milieu ouvrier. J’ai jamais manqué de rien, même si c’était pas non plus la folie. Et je me satisfais de pas grand-chose.
De quoi, par exemple?
Ben tu me mets une Play, «Call of Duty: Warzone» et une pizza surgelée et je suis content!
Si on en croit l’univers artistique que tu t’es créé, il y aurait aussi le tuning, les baraques à frites, les caravanes. Tu kiffes vraiment ça ou c’est du second degré et un clin d’œil à tes origines du nord de la France?
Je kiffe l’esthétique. Vraiment. De là à te dire que j’avais des voitures tunées… Non. Mais j’aime cette esthétique: les briques rouges, aussi. C’est une esthétique hyperstylée, très froide, très nordique, presque de l’Europe de l’Est. Je pense que je vais encore continuer à pousser ce truc à l’avenir.
Dans ta musique, tu flirtes aussi avec le rap de l’Est, qui vient aussi avec une esthétique. Avant, c’était vachement ringard. C’est toi qui le rends cool?
C’est pas moi qui le rends cool. Mais comme mon projet n’est pas méga populaire et hyper grand public, ça rend le truc moins cliché. Et comme j’utilise ça avec parcimonie… Si je faisais le gros beauf, ça pourrait vite devenir ridicule.
T’es sur le fil du rasoir, en fait.
Je suis toujours sur une frontière. Parfois, je la dépasse un peu trop. C’est un jeu un peu compliqué. Mais c’est intéressant.
Tu dis que t’es «branké», un mélange entre «branché» et «kéké». T’arrives pas à choisir?
Ça dépend tellement de où je me situe, avec qui, avec quoi, c’est compliqué. Je peux être un gros kéké comme un énorme bobo parisien, où j’habite maintenant.
T’es un caméléon.
Oui, je pourrais très bien me retrouver au festival du mulet bientôt, comme dans la soirée la plus hype de Paname. J’aime les deux.
On reviendra à tes cheveux plus tard. Tu dis que t’es pas sociable, que t’aimes pas les gens depuis qu’on t’a tiré dans la jambe. Il y a une partie de cette phrase qui est vraie?
Le fait qu’on m’a tiré dans les jambes, j’ai des impacts de balles partout… Non, ça, c’est faux. Avec le temps, je deviens de plus en plus sociable. Mais il y a des périodes où j’aime pas les gens, c’est vrai. C’est un truc de mec dépressif, tu vois? Heureusement, ça m’arrive de plus en plus rarement. Mais, t’sais, quand t’es trop seul, tu finis par détester les gens. Et j’ai compris que pour être bien avec moi-même, je dois voir des gens, sortir. À la fin du confinement, je souffrais du syndrome de la cabane. Je ne supportais pas de sortir de chez moi. Et ça m’est passé, en me forçant à sortir, à être curieux.
Mais il y a des gens que tu détestes personnellement?
Non, je respecte tout le monde. Je pense être quelqu’un d’extrêmement bienveillant. Je respecte toutes les idées, tous les positionnements. À condition que ce ne soit pas contre nos civilisations. Enfin, bien sûr, il y a deux-trois têtes à claques, mais il faut prendre le bon en chacun.
Et le vote pour le Rassemblement national, dans le Nord?
Alors oui, ça me désole un peu. Mais c’est de l’ignorance, plus que du racisme. Malheureusement, quand tu grandis dans le Nord, tu fais des raccourcis très vite et tu vas vite croire ce qu’on va te montrer dans les médias.
Encore deux questions. Tu chantes la fête, les meufs, l’infidélité. T’as des regrets?
De?
D’infidélité, de choses qui sont allées trop loin?
Ah! Franchement, pas tant. Je ne vis pas dans le regret. Je vis dans le moment présent. Et j’essaie d’éviter de me mettre dans des situations que je pourrais regretter. Mais le regret n’existe pas. Il faut avancer. Je me dis que si j’ai fait des trucs que j’aurais pu potentiellement regretter à un moment, c’est que j’en avais besoin à ce moment-là.
Tu regrettes même pas tes coupes de cheveux?
(Petit rire) Euh… Tu sais quoi… Même pas mes coupes de cheveux.
C’est là que tu devais m’envoyer une droite!
Pourquoi? Moi, je l’aime bien, ta coupe, elle est stylée! J’aurais très bien pu avoir ta coupe. Mais en fait les côtés sont trop longs pour moi.
P.S.: Pour ma coupe, il faut imaginer la tête de Jean Reno dans «Les Visiteurs». «Montjoie! Saint Denis! Que trépasse si je faiblis!»