Guiss Guiss Bou Bess. Ça fait deux jours qu’on en parle en briefing et la plupart de mes collègues n’arrivent pas à prononcer leur blaze, ni dans l’ordre ni avec les bons mots. Guiss Guiss Bou Bess.
Ou «nouvelle vision», en wolof, traduit Radio Nova. En langue musicale, c’est le son que fait le Sabar sénégalais (ici, mais il est aussi gambien) lorsqu’il percute l’électro. Le Sabar? Polyphonique, il est aussi polysémique: ces quatre lettres désignent un ensemble de tambours, mais aussi un genre musique, une danse ou une fête traditionnelle.
Guiss Guiss Bou Bess. À la ville, le chanteur Mara Seck — dont le père, Alain, était le parolier de l’immense Youssou N’Dour, le percussionniste Aba Diop et le DJ-sociologue français Stéphane Costantini. Guiss Guiss Bou Bess. Cette fois, je crois que tout le monde l’a. Je suis allé les rencontrer en coulisses peu avant leur prestation de ce mardi à Paléo (20h, Dôme).
L’interview débute. Le concert du groupe metal vodoun togolais Arka’n Asrafokor aussi. Ça crache des décibels comme jaja. Souriante galère du journaliste qui tente d’enregistrer et de prendre des notes en tendant l’oreille sans oublier sa prochaine question (qui se trouve sur le téléphone qui essaie d’enregistrer la conversation) tout en gardant un œil sur sa montre (également affichée sur le même iPhone) pour respecter le temps imparti.
C'est donc vous qui avez inventé ce nouveau style de musique?
Mara Seck: On nous a posé exactement la même question tout à l’heure (rires)!
Ah, ils sont chiants, ces journalistes! Quel manque d’originalité!
Mara Seck: Voilà ce que j’ai déjà répondu. Dans la musique, un artiste intéressant est un artiste qui te vend une identité. Notre identité, c’est les percussions, avec pour base les percussions du Sénégal. Même si on a d’autres délires, l’identité de Guiss Guiss Bou Bess, c’est ça.
Mais, du coup, ce crash entre la musique électro et le Sabar, vous êtes les premiers à l’explorer?
Stéphane Costantini: Il y a quelques précédents. Il y avait déjà des gens qui faisaient de la musique électronique et qui introduisaient du Sabar. On n’est pas les premiers à avoir eu l’idée. Mais s’il y a quelque chose de nouveau, c’est notre approche: adapter les musiques électroniques au Sabar, plutôt que l’inverse.
Vous vous êtes rencontrés où tous les trois?
Stéphane Costantin: On s’est rencontrés à d’Orchestra Baobab, je ne sais pas si tu connais.
Non, j’avoue.
Stéphane Costantin: C’est un groupe de salsa sénégalaise, des vieux de la vieille, qui ont commencé dans les années 1960. Donc c’était un peu par hasard. Le milieu de la culture à Dakar est grand mais petit à la fois.
Mara Seck: Je savais que Stéphane, qui est resté au Sénégal pendant deux ans, était un beatmaker. Je lui ai dit que j’étais chanteur et percussionniste et que j’avais des propositions à lui faire! C’est comme ça que Guiss Guiss Bou Bess a commencé.
Mara Seck et Aba Diop, je crois avoir lu que vous prôniez le panafricanisme. Concrètement, ça veut ou voudrait dire quoi?
Mara Seck: En tant que jeunes africains, c’est notre rôle, nous sommes des porte-voix. Le message qu’on véhicule dans nos chansons est important. Et il faut que ce soit intéressant pour le peuple sénégalais et le peuple africain.
C’est quoi ce message?
Mara Seck: C’est l’unité africaine, déjà. Mais aussi de dire à nos dirigeants d’arrêter toute cette corruption et toutes ces dictatures. D’aider la jeunesse qui galère beaucoup, sans emploi, et qui finit par prendre des pirogues pour aller en Europe. Dans mes chansons, je parle de ça. Et il faut donner la chance à la jeunesse africaine de rester en Afrique, de développer ce continent. Parce qu’en Afrique, on a tout! Ouf… (Il rit en faisant un geste vers ses oreilles) On entend les basses du concert là, hein?
Oui! C’est chaud! Mais l’union africaine, c’est aussi dire aux dirigeants de se mettre ensemble pour faire le poids face aux grandes puissances qui pillent ce continent depuis trop longtemps, non?
Mara Seck: Oui. Ça, c’est le rêve africain, hein! Je le dis dans une chanson que je n’ai pas encore sortie. Mais quand est-ce que ça va le faire? Est-ce que ça va le faire un jour?
T’y crois?
Mara Seck: Je me dis que ce sera peut-être une réalité pour mon arrière-arrière-petit-fils! (Il éclate de rire) Il faut que nos dirigeants remettent de l’ordre, créent des emplois. Après, on aura tout pour réussir!
Depuis quelques années, on parle beaucoup d’appropriation culturelle, notamment dans la musique électronique, lorsque des DJs blancs produisent des sons venus d’autres continents. Vous, vous jouez ensemble. Vous pensez quoi de ce débat?
Stéphane Costantin: Je ne sais pas… Il y a un fond de vérité, c’est sûr, mais c’est complexe. C’est un peu vieux, comme l’histoire de la musique. Le blues, le jazz, le rock’n’roll sont des issues de l’appropriation culturelle, mais, en même temps, ce sont aussi des fusions. Le problème, c’est plutôt les flux de capitaux. Par exemple, quand une musique produite quelque part est jouée à un autre endroit et qu’il n’y a absolument aucun retour d’un pays vers l’autre. Ou lorsqu’un DJ paie des gens pas cher pour produire un son, colle son nom dessus et revend le tout à un public qui ne comprend rien à tout ça.
Ce soir à 20h sous le chapiteau bouillant du Dôme, le thermomètre dépassera certainement la barre des 30. De combien de degrés comptez-vous faire augmenter la température?
Mara Seck: Ah ben là les gars, quand on sera sur scène, je pense que tout le monde va s’évanouir. Il faudra garder des bouteilles d’eau fraîche!
Stéphane Costantin: Et installer la clim sous ce chapiteau!