À peine ai-je posé les pieds sur sol montreusien que la foule vêtue de mille et une couleurs s’empresse vers le lac. Parmi eux, il y a les habitués qui avancent d’un pas assuré et les autres, ceux qui ne sont pas d’ici et qui sont là juste pour le week-end. Une maman qui accompagne sa fille semble d’ailleurs inquiète de ne pas trouver l’endroit précis où se déroule ce fameux Polymanga. «C’est où?» m’interroge-t-elle un chouïa paniquée. «IL VOUS SUFFIT DE SUIVRE LE MONDE!», crie un inconnu qui semble nous avoir vues. Ni une, ni deux, la mère s’en va en traînant sa fille par le bras pour sortir de cette vague de gens. Dommage, j’aurais beaucoup aimé discuter avec ce duo assorti. Maman et fille portent toutes les deux le fameux uniforme des protagonistes de l’anime «Gambling School».
Bon, il est à peine 11h00. Je vais forcément trouver d’autres geeks avec qui taper la discut'. Je prends tout de même le temps de retirer quelque sous (achat de goodies oblige) et je me rends ensuite au bord de l’eau. Là, je tombe sur un groupe de copines. L’une d’entre elle m’a tapé dans l’œil. Elle porte un cosplay Nezuko («Demon Slayer»), l’un de mes personnages préféré de tous les temps. Me voilà obligée de lui parler.
- Tu es super jolie! Je peux te prendre en photo?
- Merci! Oui, bien sûr!
- Tu as quel âge?
- 21 ans!
- Pourquoi est-ce que tu as choisi ce personnage?
- Je ne sais pas, je l’aime bien Nezuko. Pour tout vous dire, c’est une copine qui m’a prêté le costume.
- Et ça fait longtemps que tu t’intéresses au cosplay?
- Depuis le confinement. C’est ma troisième convention.
Pas le temps de discuter d’avantage. La jeune femme est rejointe par d’autres amies, S’en suit alors d’accolades et autres selfies... Je décide de prendre congé et elle me fait signe de la main. Je ne peux m’empêcher d’admirer ses longs ongles roses dégradés, un détail que je pensais être la seule à avoir vu dans l'anime.
Bon, l’heure est venue d’entrer dans le vif du sujet. Direction le 2M2C. Juste avant de me réfugier à l’intérieur, je constate que tout de même, ils sont nombreux, très nombreux à faire la queue. À vue de nez, je dirais qu’il y a une file d’au moins 20 mètres. Enfin, je ne suis pas très douée en approximations chiffrées donc bon. Lorsque j’entends quelques «Purée j’ai chaud là!» ou «Ça fait combien de temps qu’on poireaute?!», disons que je suis plutôt contente d’avoir une accréditation, histoire d’entrer sans trop m’embêter… Surtout que d'après ce qu'on dit, ce sont près de 16’000 visiteurs qui sont attendus aujourd’hui. Rien que ça...
Une fois à l’intérieur, c’est la cohue. Je ne sais pas bien où donner de la tête. Et pour être honnête, après la pandémie, difficile de croire que oui, je suis bien dans le bâtiment du Montreux. À ma droite, la fameuse salle Stravinsky. Dedans, une certaine Beverley Mitchell de la série «7 à la maison». Je n’ai rien contre Madame Mitchell et j’ai adoré le téléfilm. Mais je préfère quand même prendre à gauche, vers des escaliers qui mènent je ne sais où.
Dans ce brouhaha, je perçois un bruit étrange, comme une petite voiture électrique. Je balaie l’endroit du regard. Rien. Je décide d’avancer. Aïe! C’en était moins une! J’ai failli écraser celle qu’on a baptisée «Sweety bot», une jolie licorne sur roulette. Son propriétaire: Maxence, 21 ans, qui a lui même conçu cette merveille télécommandée. «Petit, je voulais devenir inventeur! Finalement, mon intérêt pour la mécanique est resté de l’ordre de la passion. Je suis devenu prof généraliste», m’explique-t-il amusé. Mais alors, le jeune homme n’est-il pas venu pour apprécier le festival? «Bien sûr que oui! Après, j’ai mis quand même trois ans à créer Sweety bot, merci le semi-confinement. Du coup, j’aime bien la montrer».
En continuant mon chemin à travers la foule, je tombe sur un petit groupe coloré. J’en déduis qu’ils sont venus ensemble car ils portent tous des perruques ainsi que des tenues ultra flashy. La matriarche, ne va pas tarder à éclairer ma lanterne, comme si elle savait que je me posais des questions. «Nous sommes venus en famille. Enfin, je suis avec mon fils Zach qui porte un cosplay de Kazuha, un personnage du jeu vidéo 'Genshin Impact'. Plusieurs copains ont ensuite décidé de nous accompagner». Sur ces quelques mots, je ne peux m’empêcher de penser: Dis donc, elle est calée en pop culture la maman! Encore une fois, la cheffe du groupe me répond comme si elle lisait en moi. «J’ai attrapé le virus grâce à mon fils. Maintenant, j’ai des bibliothèques pleines de jeux vidéo et de manga!»
Bon. Ce n’est pas tout ça mais il est bientôt midi et il commence à faire faim. Je décide de me mettre en quête de quoi manger mais les stands de bouffe sont pris d’assaut. En sortant, j’aperçois des visiteurs prendre leur repas le long du lac. J’aimerais me joindre à eux mais je n’ai pas prévu de pique-nique. Je me contenterai donc de quelques clichés volés pour la peine.
J’abandonne vite l’idée de manger un petit truc sur le pouce puisqu’il semble que tout le monde ait eu la même idée que moi au même moment. Je jette donc mon dévolu sur le Safran, un resto légèrement fency qui fait face aux montagnes. Je vois tout de même quelques cosplayeurs sur la terrasse, mais ce sont surtout des enfants accompagnés de leurs parents.
Au menu: filets de perches ou encore tartare de boeuf. Mais comme je reste fidèle à mon côté pop, je décide de prendre un burger! En mangeant, je remarque que certains enfants et ados habillés façon «Naruto» ou «Demon Slayer» me toisent. Est-ce que j’ai de la sauce au coin de la bouche? «Est-ce que j’ai chopé un coup de soleil? Parce que bon, il fait chaud quoi!». Pour en avoir le cœur net, je me rends aux toilettes histoire de checker mon reflet dans le miroir. Ah… j’avais oublié que je portais un T-shit «Sailor Moon». C’est sûrement ça. C’est tout de même étonnant, ce manga date des années 1980… ces enfants sont-ils si connaisseurs? Telle est la question!
Les enfants ne sont pas les seuls à remarquer le vêtement. Au moment de retourner au festival, un petit groupe de filles toutes âgées de 21 ans me lance: «Trop bien ton T-shit». Je les remercie et leur donne le nom de la boutique où je l’ai acheté. Et puis, comme elles m’ont l’air sympathiques, je leur demande si elles sont d’accord d’être prises en photo. «Volontiers», s’exclament-elles (presque) à l’unisson.
Juste avant d’entrer à nouveau à l’intérieur, je tombe nez à nez avec autre type de cosplay: une princesse Disney appelée Gisèle. Dans la vraie vie, la jeune femme s’appelle Capucine, elle a 26 ans et elle est couturière. «Aujourd’hui en revanche, je suis Gisèle. Et ce matin, j’étais Ariel.» Beaucoup de bambins se sont déjà arrêtés devant elle pour lui offrir une fleur, lui faire un bec ou lui dire qu’elle était très belle. Une joie pour Capucine qui a toujours adoré les princesses Disney et qui a d’ailleurs passé près de deux jours à travailler sur sa robe. «Si je n’avais pas réussi dans la couture, je pense que j’aurais postulé à Disney pour faire princesse», nous confie-t-elle.
Je réussis enfin à m’introduire à l’intérieur et décide de me rendre dans le coin goodies, au rez-de-chaussée du bâtiment. Sur place, il y a en a pour tous les goûts: figurines, peluches Pokémon, Kimono et même vaisselles kawai. Difficile de résister. Oui, sauf que là encore, il y a du monde et je n’ai pas la foi d’attendre. Je me contenterai donc d’admirer les vitrines aux côtés de cosplayeurs tous plus stylés les uns que les autres.
À force de rôder à travers les stands, j’en oublierais presque l’heure. J’ai rendez-vous à 19h30 à l’auditorium Stravinsky pour voir le premier show Cosplay de Suisse. J’ai intérêt à me grouiller. La salle est pleine à craquer. Je me faufile fissa au premier rang manquant presque de me faire piquer ma chaise estampillée «presse» par deux messieurs se disant journalistes. Bizarre, leur tête ne me dit rien. Enfin, ce qui est sûr, c’est que les places sont chères ici. J’ai à peine le temps de poser mes fesse que le show commence. Qui aurait cru que je verrais un jour Naruto, Goku et le Détective Conan se trémousser sur du Michael Jackson? Le public est aux anges. Il ne reste qu’à espérer qu’ils remettent ça l’année prochaine. On croise les doigts.
Une fois le spectacle terminé, c’est déjà 20h00 et des poussières. Je n’ai pas vu le temps passer. Le festival va fermer ses portes et les quelques visiteurs qui restent doivent s’en aller. Je manque presque de me faire jeter dehors à force de discuter. Me voilà de retour à la gare de Montreux. En observant le quai puis en entrant dans mon wagon rempli de personnages de jeux vidéo et d’anime, je ne peux m’empêcher de penser que Polymanga n’est pas vraiment terminé. Le festival a simplement migré dans les CFF. Et puis, les geeks s’en vont à mesure que le train s’arrête… Arrivée à Lausanne, je vois les derniers cosplayeurs se dissiper dans cette gare que je trouve quelque peu morne. Vivement l’année prochaine, qu’on y mette à nouveau un peu de couleurs!