Écartons tout de suite le réflexe helvétique. Il ne s’agit pas, ici, d’affirmer que la démocratie directe offre la solution miracle à tous les maux français. On connaît l’habitude qu’ont les électeurs, chez nos voisins, de ne pas se prononcer sur les questions qui leur sont posées, mais d’utiliser leur vote pour censurer le gouvernement, ou le président.
Se lancer de nouveau à l’assaut des urnes, sans avoir obtenu une majorité absolue de députés le 19 juin, s’apparenterait donc à un saut démocratique sans élastique pour Emmanuel Macron dont la première ministre, Élisabeth Borne, doit dévoiler dans les prochaines heures son nouveau gouvernement. Avant de prononcer, mercredi, son discours de politique générale devant une Assemblée nationale en forme de casse-tête.
Le fantôme de l’abstentionnisme
Et pourtant. Réfléchissez un peu: quel serait le meilleur moyen, pour le Chef de l’État Français réélu avec 58,5% des voix le 24 avril, de rebattre les cartes et de ne pas abdiquer ce qui lui reste d’ambition pour le pays? L’équation est simple. Un électeur français sur deux ne s’est pas déplacé pour voter aux élections législatives. Le résultat des urnes, le 19 juin, n’est donc pas une photographie parfaite de la géographie électorale. Beaucoup, notamment parmi les jeunes, ont choisi de bouder les urnes qu’ils considèrent sans grande utilité, puisque le parlement est, en France, traditionnellement aux ordres de l’exécutif.
Un référendum, dans cet inquiétant contexte de démobilisation démocratique, aurait donc l’avantage de mettre les Français au pied du mur. Vous êtes en colère? Vous ne croyez plus à la démocratie représentative? Alors exprimez-vous sur un projet précis, si possible tourné vers l’avenir et déterminant pour le pays.
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Saut de l’ange présidentiel
La Constitution de la Ve République permet ce saut de l’ange présidentiel à son article 11. «Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.»
Tout est dit. La réforme du régime des retraites est, à l’évidence, un sujet essentiel pour la nation. Idem, par exemple, pour l’instauration d’un frein constitutionnel à l’endettement, que Nicolas Sarkozy avait jadis évoqué en pleine crise financière de 2008-2009, avant de vite l’abandonner. La constitutionnalisation du droit à l’interruption volontaire de grossesse pourrait aussi figurer parmi les questions posées. Le titre du référendum serait simple: «L’avenir de la France est entre vos mains».
Risques politiques
Vous me direz que tout cela n’a pas de sens. Que les risques politiques encourus par Emmanuel Macron seraient bien trop grands. Que les Français viennent de voter et de le sanctionner. Peut-être. Sauf que le référendum apporterait de l’oxygène à un système qui en manque tant. En trois ou quatre questions claires, toutes tournées sur l’avenir économique et social du pays, cette consultation directe des Français aurait l’immense mérite d’imposer le débat dans tous les foyers de France.
La retraite à 60 ans, comme l’exigent la gauche de Jean-Luc Mélenchon et la droite nationale populiste de Marine Le Pen? D’accord, mais voici ce que cela coûtera aux générations futures. La dette publique qui, s’élevant actuellement autour de 120% du produit intérieur brut, recommence à affoler les taux d’intérêt? Son insoutenabilité, dans la zone euro, est avérée et un frein constitutionnel à l’endettement, sur le mode suisse, serait tout à fait justifié. Le droit à l’avortement? L’exemple américain montre, tragiquement, qu’il peut toujours être victime d’une embuscade réactionnaire dont les femmes paieront dans leur chair le prix fort. Ajoutez par exemple une revalorisation du salaire des enseignants, ou même le lancement d’un emprunt national obligatoire pour restaurer le service public de la santé…
«La France qui ose»
Un président Français devrait dire ça. À quoi sert de tournicoter autour des députés en espérant que sa première ministre les séduira à coups de postes ministériels, de faveurs et de compromis? Emmanuel Macron, 44 ans, a sa jeunesse pour lui. Lorsqu’il fut élu pour la première fois en 2017, le quotidien économique «Les Echos» titrait sa Une «La France qui ose». Sa promesse était de «transformer la France». La suite est connue. Les «gilets jaunes» et la pandémie de Covid-19 sont passés par là. Les erreurs de ce Chef d’État isolé et incapable de respecter son administration et les corps intermédiaires (tels les syndicats) pour les impliquer dans l’élaboration de ses réformes ont fait le reste. Macron le «disrupteur» a fini par présider contre les Français qui l’ont réélu… contre Marine Le Pen.
Le moment est revenu de ne plus agir contre, mais pour. Et de redire aux Français qu’ils ont leur destin en main. Le référendum est une arme démocratique qui peut permettre de sortir de la crise Française. Il exige du courage et du cran. Le moment est peut-être venu, pour le locataire de l’Elysée qui avait posé sur son bureau les «Mémoires d’Espoir» de Charles de Gaulle pour sa photo officielle à côté de ses téléphones portables, de montrer qu’il n’a pas peur de ses concitoyens.