Il fallait bien que quelqu’un ose poser les questions qui fâchent. Il fallait, surtout, que ces questions ne soient pas assénées par la droite, ou par ceux que Jean-Luc Mélenchon a éliminé les uns après les autres: les anciens «éléphants» du Parti socialiste français, devenus des notables confits dans leurs privilèges et dans leurs positions.
Il fallait, enfin, que la charge soit à la hauteur des affirmations du leader de la «France Insoumise» qui, à 70 ans et sans avoir cherché à se faire réélire à l’Assemblée nationale lors des récentes législatives, entend conserver de sa prééminence pour incarner l’avenir de la gauche dans l’hexagone. Voilà le livre que tout admirateur ou électeur de Jean-Luc Mélenchon devrait lire. Car il dénonce avec talent la supercherie politique à l’œuvre.
Un livre n’est jamais une vérité
Un livre n’est jamais une vérité. «Anatomie d’une trahison. La gauche contre le progrès» de Renaud Dély (Ed. de l’Observatoire) n’est pas une enquête auprès des 21,95% d’électeurs français qui, au premier tour de la présidentielle le 10 avril, ont mis dans l’urne un bulletin Mélenchon. L’objectif de l’auteur n’est pas de s’interroger sur la stratégie suivie par l’ex-candidat à l’Elysée, qui a raté de peu le second tour.
Mélenchon, le scrutin l’a prouvé, a senti brillamment ce qu’une partie des Français voulait entendre. Il a «pigé» ce que cette frange du pays cherchait bien mieux que tous les autres. Il a compris que la révolution reste un créneau porteur. Il a su, mieux que personne, unir les thématiques écologiques, sociales et sociétales. L’ancien militant trotskiste s’est réinventé en grand refondateur de la République. Rien à dire. La manœuvre électorale a fonctionné à plein. La renaissance de la gauche semble à portée de la main. Le cercueil politique s’est définitivement refermé sur l’ancien président socialiste François Hollande (2012-2017), accusé de tous les maux en raison de ses «compromissions».
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Les mensonges de la nouvelle gauche
La réalité est que ce grand tournant s’est fait sur des mensonges. Et ce sont ces mensonges que Renaud Dély soumet aux électeurs de gauche sur le thème «Réfléchissez bien».
Mensonge 1: l’abandon de la raison. L’heure est à l’indignation qui «n’incite pas à la réflexion, mais à la génuflexion car on ne doute pas d’un monument, on se prosterne». Jean-Luc Mélenchon a su, mieux que personne, enfiler les habits du défunt diplomate Stéphane Hessel, qui fit jadis les beaux jours du Festival International du film et des droits de l’homme (FIFDH) à Genève. Cette gauche-là s’est enlisée dans la protestation.
Mensonge 2: l’obsession de la liquidation. Renaud Dely, éditorialiste de la matinale de France Info, les connaît tous. Il peut donc les raconter. Le voici en portraitiste de tous les leaders de la présumée nouvelle gauche. L’objet de leur colère et de leur détestation? L’ancien PS. Pour eux, le parti de Mitterrand est mort. Il s’agit de l’assassiner. «Les mondes associatifs, syndicaux et culturels, historiquement proches de la gauche partisane traditionnelle, s’en sont peu à peu affranchis.» Terrible. Il ne s’agit pas de forger l’avenir. Il s’agit de solder le passé.
Rêve de gauche et passions françaises
Mensonge 3: le reniement des passions tricolores. Peut-on être de gauche et s’en prendre à la République, à la laïcité, à ce qui l’a toujours constitué en France? Renaud Dély frappe fort. Il s’indigne à son tour contre une gauche qui se comporte comme si «le drapeau bleu-blanc-rouge était par essence xénophobe et excluait l’étranger». Vu de Suisse, l’accusation est forte. Lorsque la gauche glisse vers la contestation des fondamentaux sur lesquels le pays s’est construit, est-elle encore crédible? Attention, la grenade est dégoupillée.
Mensonge 4: la trahison du peuple. Là, Jean-Luc Mélenchon et les siens sortent plutôt indemnes. Renaud Dély voit les fossoyeurs ailleurs. Au sein de ceux qui ont, au nom de l’impératif de gouvernement, oublié les électeurs et l’avenir «en enterrant le grand récit socialiste de l’union de la gauche et des classes populaires autour de l’idée de progrès».
L’intelligence du scalpel politique
On pourrait continuer à dresser la liste des mensonges. Cette «Anatomie d’une trahison» a l’intelligence du scalpel politique. Elle fait mal et résonne au-delà de la France. Elle sera sans doute décriée parce que la grille de lecture de l’auteur demeure celle d’un «boomer» quinquagénaire oublieux des aspirations des nouvelles générations. Peut-être. Mais l’interrogation demeure: comment réinventer la gauche, et l’espoir qu’elle contient, alors que la marge de manœuvre est toujours plus étroite entre le robinet des finances publiques, les contraintes économiques extérieures (renforcées par la guerre en Ukraine) et l’incapacité si Française à concevoir un programme de gouvernement de coalition qui dépasserait les clivages politiques – comme Emmanuel Macron est en train d’en faire l’expérience?
Electeurs de gauche, en France comme en Suisse, Renaud Dély vous lance une bouée pour réfléchir. Il serait bon de la saisir. Pour éviter, peut-être, des lendemains en forme de grande noyade.
A lire: «Anatomie d’une trahison. La gauche contre le progrès» de Renaud Dely (Ed. de l'Observatoire)
Renaud Dely est aussi le présentateur de «28 minutes» sur la chaîne franco-allemande Arte le samedi, où l’auteur de ces lignes intervient régulièrement.
A lire pour aller plus loin: «Gauche, le retour», numéro spécial du Un Hebdo. Un excellent dossier de la gauche française et son avenir.