Ses partisans continuent de louer sa ténacité. Pas sûr toutefois qu’après la défaite aux législatives de son parti présidentiel dimanche, Emmanuel Macron apprécie cette qualité chez Élisabeth Borne, la Première ministre qu’il a décidé de reconduire dans ses fonctions mardi 21 juin.
Pas sûr même que cette technocrate inconnue de 61 ans, ancienne ministre des transports, veuille encore diriger le gouvernement français face à une Assemblée nationale transformée en champ de mines par les oppositions radicales de gauche et de droite, victorieuses dans les urnes. À quoi peut bien servir la ténacité, lorsque tout vous fait défaut pour continuer à commander ce navire amiral qu’est, dans le système institutionnel Français, l’Hôtel Matignon ?
Tout a déraillé
L’histoire est souvent un concours de circonstances. Élisabeth Borne, nommée Première ministre française le 16 mai, en est l’incarnation parfaite. Une popularité zéro. Cinq années passées depuis 2017, au sein du gouvernement, à piloter des réformes techniques, dont celle de la SNCF, les chemins de fer nationaux. Un passé de conseillère de l’ombre de l’ancien premier ministre socialiste Lionel Jospin (1997-2002). Un mandat de présidente de la RATP, le métro parisien.
Celle qu’Emmanuel Macron a choisie pour le seconder - après avoir envisagé d'autres candidates - devait surtout être une femme de dossiers, capable de faire régner la discipline au sein des ministres et de tenir tête aux syndicats ou aux autres partenaires sociaux, tout en respectant l’obligation de parité à la tête du pays. Or tout a déraillé. Faute d’une majorité absolue de députés, son mandat ressemble, au vu du résultat des urnes, à un bazar politique permanent, avec obligation de débaucher des élus au cas par cas pour faire voter les projets de lois. L'Alliance de gauche (NUPES) de Jean-Luc Mélenchon a déjà annoncé qu'elle déposerait une motion de censure contre la Première ministre le 5 juillet, au lendemain du discours de politique générale dans lequel elle présentera les grandes orientations de son gouvernement. Cette procédure impose au chef du gouvernement de démissionner si la censure est votée à la majorité absolue des 289 députés.
«Vendeuse à la découpe des acquis sociaux»
Le refus du président français d’accepter mardi la démission d'Elisabeth Borne risque donc de déboucher sur un chemin de croix pour cette sexagénaire élue de justesse, dimanche, députée de la sixième circonscription du Calvados, en Normandie.
Son passage dans les rangs du PS lui vaut, depuis, l’inimité des élus socialistes. Ses attaques contre le statut des agents publics de la SNCF l’ont transformée en bouc émissaire de la gauche radicale, version Mélenchon, qui parle d’elle comme d’une «vendeuse à la découpe des garanties sociales».
Même les femmes ne s’y retrouvent pas dans le parcours de cette polytechnicienne forte en thèmes, distante, peu portée sur l'empathie, accusée d’être plus sensible aux sirènes du pouvoir qu’aux sujets de société ou aux difficultés des Français. Des questions dont une autre femme, la patronne du Rassemblement national Marine Le Pen, a fait avec succès sa priorité électorale. Sans parler du manque de charisme de la Première ministre, révélé, aux soirs du premier et du second tour des législatives, par ses discours sans chaleur, loin des appels au peuple de Jean-Luc Mélenchon et de la patronne du RN.
Une «taiseuse» devant les députés
D’aucuns, convaincus qu’il n’y a pas d’issue pour elle devant cette Assemblée nationale fragmentée et dominée par les anti-Macron, ont suggéré au président français de la renvoyer à son siège de député. Refus. Emmanuel Macron, réélu le 24 avril, a cruellement besoin de temps pour évaluer les compromis qu’il pourra, ou non, forger avec ses opposants. Mieux: Élisabeth Borne la «taiseuse», disciplinée au bureau comme dans la vie et dans sa garde-robe, ne risque pas de faire de l’ombre au locataire de l’Elysée.
Logique dès lors de la garder. Quitte à ce que la fonction l’use rapidement comme cela fut le cas, en 1991, pour sa prédécesseure socialiste Édith Cresson, restée dix mois Première ministre. À elle le soin de signifier leur départ aux ministres battus dans les urnes, de congédier ceux qui ne rapportent rien politiquement, et de «draguer» quelques individualités susceptibles de fractionner les camps adverses. «Borne n’a pas d’avenir. Elle le sait. Tous le savent. C’est aussi une force car elle n’a rien à perdre» pronostique un ex-conseiller présidentiel.
Ni Merkel, Ni Thatcher
Ceux qui la comparent à Angela Merkel pour son allure sobre et sa couleur fétiche, le rouge, ne se font guère d’illusions: Élisabeth Borne, qui a fait sa carrière hors parti, ne réussira pas à rassembler. Tout juste pourra-t-elle servir de bouclier à Emmanuel Macron.
Ceux qui voient en elle une Margaret Thatcher, dame de fer résolue à réformer le pays, peuvent aussi ranger leurs comparaisons: l’heure est pour le moment à l’urgence de l’accalmie. Voici la France dotée d’une Première ministre «à la scandinave» avant tout chargée de faire le lien entre des partis qui ne se priveront pas de faire grimper les enchères politiques à l’aube de chaque vote. Pas de quoi relancer la popularité sacrément défaillante du locataire de l’Élysée.
Retrouvez Richard Werly sur le plateau de France 24, lundi 20 juin