Grosse fatigue
Les Francais fâchés avec le travail

La pandémie de Covid-19 a accéléré le mouvement. Les sondages le montrent de plus en plus: un grand nombre de Français veulent rompre avec le rythme de travail traditionnel. Ils quittent leurs jobs, exigent du télétravail, et boudent les offres d'emploi.
Publié: 03.07.2022 à 15:59 heures
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Dernière mise à jour: 03.07.2022 à 23:14 heures
Photo: Starface
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Richard WerlyJournaliste Blick

«Les Français cherchent un art de vivre. Leur objectif est le bonheur.» Cette phrase est de Jean Viard, un sociologue souvent cité et invité par les médias Français. Aux éditions de l’Aube, son dernier livre «L’an zéro du tourisme», raconte la grande mutation en cours dans la tête des voyageurs, de moins en moins désireux d’explorations lointaines, mais de plus en plus demandeurs de déconnexion réelle.

Logique, donc, que cet observateur de la société française s’interroge aujourd’hui sur les rapports de ses compatriotes au travail: «Si les gens pensent que leur travail n’a pas de sens, ils s’en vont. On est au cœur d’une vague de changement. Ils se sont posé la question: «qu’est-ce que je fais de la vie qui me reste?» confiait-il récemment au quotidien Libération.

Plus de vraie vie au bureau

Oui, que reste-t-il en dehors du travail? Pour les Français, la réponse est simple: tout. La vraie vie, en 2022, ne se joue et ne se décide plus au bureau ou son son lieu d’emploi. Un récent sondage, réalisé pour le 1er mai, jour de la fête du travail, montre qu’ils ne sont plus que 53% à «aimer leur travail», contre 33% qui se disent mitigés, et 15% qui en ont «ras-le-bol».

Pas étonnant que l’hebdomadaire conservateur «Le Figaro Magazine» en rajoute une louche dans sa dernière édition, avec en couverture un jeune allongé sur l’herbe en train de lire un ouvrage sur «La retraite à 40 ans». Le titre du «Fig Mag»? «Idéalistes, hédonistes ou profiteurs: Ces Français qui ne veulent plus travailler». Tout y passe. A commencer par la colère des employeurs: «L’heure et au slow working. L’épanouissement et la quête de sens sont sur toutes les lèvres de mes candidats», s’énerve un patron. Et l’hebdomadaire d’ajouter: «La nouveauté tient au fait que l’idée même de travailler moins, ou mieux, ou plus du tout, est devenue synonyme de bonheur».

Macron a tout faux

Si ces chiffres et cette impression sont vrais, alors Emmanuel Macron a tout faux. On se souvient que le jeune chef de l’État de 44 ans avait défrayé la chronique durant son premier quinquennat en proposant à un jeune de «traverser la rue pour trouver du boulot». Tollé. Polémique. Haro sur le président provocateur et insensible aux malheurs de la jeunesse!

Or, voilà que le locataire de l’Elysée a remis cela durant sa très courte campagne présidentielle. Il a proposé de travailler plus. Il s’est fait le défenseur du futur «plein-emploi» dans un pays où le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 15 ans, même si 7,5% de la population active était sans emploi en 2021 (environ 3,1 millions de demandeurs d’emplois indemnisés). Ce qui, malgré sa réélection avec 58,5% des voix, lui vaut beaucoup de reproches.

«Les Français ne travaillent pas assez», s’énervait récemment sur son blog Paul Jorion, observateur du monde de la finance. Sauf que l’intéressé refuse de culpabiliser les employés. Pour lui, c’est le système français qui est responsable, car il privilégie la rente: «Bien davantage que les aides sociales, ce sont la rente et les dividendes qui dissuadent des personnes capables de véritablement travailler. La logique perverse du capitalisme prive la France d’une quantité considérable de force de travail et de matière grise pourtant essentielle à son avenir.»

«Une vie plus sobre et équilibrée»

Mais au fait, posons-leur la question directement. Pourquoi les Français ne veulent plus travailler? La réponse donnée par l’enquête du «Figaro Magazine» est limpide: parce qu’ils n’y trouvent pas de satisfaction salariale, pas de perspective d’avenir, de réconfort ou de lien social. «Ils rêvent d’une vie plus sobre et équilibrée, pour mieux répondre aux grands défis sociétaux et environnementaux», ironise le magazine à propos des jeunes, champions de l’absentéisme.

Entre 2017 et 2021, les absences non justifiées de salariés français de moins de 35 ans ont bondi de… 54% selon le baromètre WTW, référence dans les ressources humaines. D'après cette étude, le taux d’absentéisme en France s’est élevé à 4,6% en 2021 (soit + 37% depuis 2017), avec une durée moyenne d’arrêt de 54 jours par an.

Paresseux les Français? Démobilisés? Convaincus qu’ils seront plus utiles ailleurs? Capables de subvenir à leurs besoins sans travailler grâce aux généreuses aides sociales? Le sujet est en fait celui de la rupture. «C’est le système qui ne marche plus. C’est pour cela que l’on réclame un nouveau cursus, de nouvelles manières d’enseigner l’économie, une autre façon d’imaginer l’emploi et l’entreprise», nous confiaient récemment des jeunes de l’ESSEC, la prestigieuse école de commerce installée à Cergy Pontoise, au nord de Paris.

Haro sur les conditions de travail

Rupture, d’abord, avec l’idée que les conditions de travail ne se discutent dans un pays frappé par le chômage, où trouver un emploi stable est presque un luxe. «69% des salariés estiment aujourd’hui que les conditions de travail sont le critère numéro un pour rester à leur poste», explique une autre étude. Avec cette réalité: «76% des salariés des nouvelles générations sont davantage susceptibles d’envisager un poste proposant du télétravail. Les DRH, dirigeants et managers se doivent donc de les écouter pour ne pas risquer de perdre une partie de leurs salariés.» Le spectre de la «grande démission», comme on dit aux Etats Unis, n’est pas si éloigné…

Les Français sont fâchés avec le travail, car il ne les valorise plus et ne leur permet plus de profiter d’un quelconque «ascenseur social». Le patronat en a conscience: «Il y a un effet post-Covid sur le rapport au travail, qui frappe tous les métiers», reconnaissait devant nous, lors d’une conférence de presse fin 2021, le patron des patrons Français Geoffroy Roux de Bézieux.

Trop de réglementations?

Pour ce dernier, sans surprise, la réglementation est l’un des causes de cette «grande démission»: «Beaucoup d’entreprises nous disent redouter un nouvel 'effet 35 heures' sur l’implication dans le travail». Comme lorsqu’en 2000, le temps de travail avait été drastiquement réduit en France. Sauf que la réalité s’impose: comment réformer l’assurance-chômage française, l’une des plus généreuses d’Europe, dans ces conditions? Comment réformer le système de retraites alors qu’une partie de la population rêve de partir en retraite dès 60 ans (contre 62 ans actuellement)?

Les Français sont en fait engagés, une fois de plus, dans une nouvelle révolution. Une partie d’entre eux croit que le système doit suivre leurs aspirations à mieux vivre, et non le contraire. «Notre pays peut être le champion mondial de l’économie du bien-être», confie l’essayiste David Djaiz, brillant haut fonctionnaire et auteur du «Nouveau modèle français» (Ed. Alary). Et tant pis si cela coûte très très cher aux finances publiques. Les Français, depuis longtemps, sont aussi fâchés avec la réduction de la dette et des déficits.

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