Evitons les funérailles européennes anticipées! Et n’oublions jamais que dans chaque électeur sommeille aussi, fort heureusement, un citoyen préoccupé par son avenir et par celui de sa famille. Pourquoi donc prédire, comme le font la plupart des analystes, une défaite cinglante de la construction européenne lors des élections législatives du 25 septembre prochain en Italie?
Pourquoi, surtout, ne pas accepter de regarder la réalité en face: aussi indispensable soit-il à son pays, en matière de crédibilité économique et financière, Mario Draghi ne pouvait pas incarner une solution politique durable dans une péninsule corsetée par les partis. La chute de son gouvernement d’union nationale à forte pondération de technocrates, en place depuis le 13 février 2021, était quelque part programmée. Ce qui se passe en Italie n’a donc, en soit, rien de surprenant.
Le sauveur de l’euro
Le fait est, d’abord, que la démission du sauveur de l’euro, président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019, est un appel à tous les gouvernements européens soucieux de ne pas transformer l’Union en une ingérable entité communautaire. En pleine guerre en Ukraine, et sans interférer directement dans les affaires domestiques italiennes, les partenaires de la troisième économie de l’UE ont un rôle à jouer dans ce scrutin.
Il ne s’agit pas de sermonner les Italiens, ou pire, de leur dire pour qui ne pas voter. Il s’agit juste – comme le fit jadis Draghi pour sauver la monnaie unique avec son fameux «Whatever it takes» de l’été 2012 qui mit un terme aux pressions des marchés financiers – de repréciser les termes de l’échange.
Grande bénéficiaire du plan de relance «Nextgeneration EU» de 750 milliards d’euros financé par des emprunts communautaires, l’Italie n’a pas obtenu un chèque en blanc de 191,5 milliards. La solidarité de ses voisins a un prix: celui de stabilité et des engagements tenus. Le répéter haut et fort avant le scrutin est normal.
L’Union européenne n’a pas à accepter d’être prise en otage par des politiciens qui, comme le leader de la Lega Matteo Salvini, arboraient voici peu des T-shirts à l’effigie de Vladimir Poutine.
À lire aussi
Evitons de croire à l’aveuglement des Italiens
Evitons aussi de croire que les électeurs italiens sont devenus aveugles. Que les sondages accordent environ 20% des suffrages à Giorgia Melloni, patronne du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, ne signifie pas qu’ils voteront pour elle les yeux fermés. L’Union européenne est une cible facile lors des campagnes électorales. Ses erreurs, ses retards, sa bureaucratie, son incapacité à protéger les classes moyennes et populaires des effets de la mondialisation lui valent, en Italie comme ailleurs, une logique détestation.
Mais qui peut croire que l’Italie, endettée à hauteur de 150% de son produit intérieur brut, pourra se sortir seule de ce tunnel d’incertitudes et de dangers ouvert par la pandémie de Covid-19, puis creusé plus profond encore par la guerre en Ukraine?
L’exemple de la Pologne, où le parti populiste réactionnaire Droit et Justice a fait son miel des attaques contre Bruxelles, est très éloquent. Face au danger venu de Russie, les plus anti-européens ont soudainement mis leurs accusations sur pause. Même la Hongrie de Viktor Orban, au-delà des imprécations de son premier ministre, n’a toujours pas franchi le pas décisif d’un veto. Orban demande des dérogations énergétiques vu la dépendance de son pays envers le pétrole russe. Soit. Orban jure qu’il peut, lui, encore dialoguer avec Poutine, tout en fustigeant les sociétés « multiethniques » mêlant Européens et « non-Européens ». Soit. C'est indigne et inacceptable. Mais concrètement, cela change quoi ? Rien. Budapest est arrimé pour de bon à l’Union européenne. Et personne ne pense sérieusement, sur les bords du Danube, que le pays s’en sortirait mieux seul. La balance du pouvoir penche du coté de Bruxelles.
L’Italexit sonne assez mal
Le système politique italien, longtemps dominé par la démocratie chrétienne, a produit de grands européens comme Alcide de Gasperi, président du conseil de 1947 à 1953. Son héritage, aujourd’hui, est assumé par le patron du parti démocrate Enrico Letta, qui dirigea le pays en 2013-2014, avant de succomber aux flèches du florentin Matteo Renzi.
Renzi lui-même, bien qu’obsédé par son destin personnel, est un proeuropéen revendiqué. Et que dire de Silvio Berlusconi, dont l’opportunisme sans limite s’est toujours, in fine, sagement calmé lorsqu’à Bruxelles, ses partenaires l’ont mis en garde contre tout débordement.
Ajoutez à cela l’influence traditionnelle exercée dans la péninsule par les Etats unis, aujourd’hui demandeurs de stabilité sous l’égide de l’OTAN, et l’affaire apparaît soudain moins mal engagée que prévue. La bataille politique sera rude. Mais le terme qui permettrait de désigner un Brexit à l’italienne – l’italexit sonne assez mal – n’est pas encore entré dans les discours de tous les jours.
Le pire serait de laisser les Italiens seuls face à leurs problèmes. On sait ce qu’il est advenu, au Royaume uni, de la funeste décision des Européens d’éviter le débat, avant le référendum du 23 juin 2016 remporté de justesse par Boris Johnson et l’europhobe Nigel Farage.
Souveraineté partagée veut dire débat
Qu’on le veuille ou non, la souveraineté partagée qui est au cœur du projet européen donne à tous les pays membres le droit de s’exprimer, d’indiquer leurs préférences et de signifier l’importance des conséquences.
Les Italiens peuvent choisir, dans les urnes, de contester l’Union européenne. Ils ont le droit de confier leur avenir à des partis assurés de compliquer la donne économique, voire de risquer le précipice d’une crise sans précédent.
L’Union européenne, en revanche, n’a pas vocation à se taire. Et rien ne dit que si elle parle clairement, avec justesse et sans l’arrogance technocratique dont ses dirigeants font si souvent preuve, les Italiens ne l’entendront pas.