Oubliez vos guirlandes électriques pour Noël. Préparez-vous à marcher le soir dans des rues bien plus sombres que d’habitude. Déprogrammez vos visites dans les piscines municipales chauffées. Si les 27 pays membres de l’Union européenne tiennent leur engagement de réduction volontaire de 15% de leur consommation en gaz à partir de la fin août jusqu’en mars 2023, toute une série d’habitudes vont devoir changer.
Des villes sans éclairage public
Le seul suspense: Quels seront les postes énergétiques que chaque Etat-membre, sur une base volontaire, choisira de rationner? Vaut-il mieux circuler dans des villes sans éclairage public, ou prévoir une baisse de quelques degrés dans les immeubles de bureau de l’administration? Des pays scandinaves au sud de l’Italie, en passant par la Grèce, la Bulgarie ou l’Allemagne, le mode d’emploi de ce rationnement annoncé se profile comme le grand sujet politique hivernal.
Quatre points pour mieux comprendre
Quatre points sont déjà acquis, et ils permettent d’anticiper les prochains mois avec moins de gaz russe. D’autant que Vladimir Poutine, comme il le fait actuellement en jouant avec le débit du gazoduc Nordstream 1 pour des raisons officielles de maintenance, peut toujours couper le robinet et précipiter ses très lucratifs clients européens (qui lui ont versé plus de 100 milliards d’euros pour son gaz et son pétrole depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février) dans un trou noir énergétique.
Le premier point est l’aspect faussement volontaire de cette réduction de 15% de la consommation de gaz. Chaque pays membre de l’UE doit, à partir de la fin août, décider en théorie des modalités de son rationnement énergétique. Mais dans les faits, le plus probable est que les 27 vont tous opter pour la même formule: diminuer en priorité la consommation dans les administrations et les lieux publics. Tout va être mis en œuvre pour préserver les populations et les entreprises.
Comment faire? En limitant par exemple les heures d’ouverture des bureaux, pour éviter de les chauffer. Autre option: encourager les fonctionnaires à télétravailler depuis chez eux, puisque leur domicile est déjà chauffé. Paradoxe de la situation, ces économies d’énergie, doublées de travaux pour une meilleure isolation thermique des bâtiments administratifs, étaient de toute façon requises par l’indispensable transition énergétique liée à la lutte contre le réchauffement climatique et aux promesses de l’UE de réduire d’au moins 55% d’ici 2030 ces émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990.
Un objectif théorique
Second point: ces 15% ne sont qu’un objectif théorique. Tout changera en cas «d’alerte sur la sécurité de l’approvisionnement», liée à un pic de la demande ou à un creux de l’offre de gaz. Un vote à la majorité simple des 27 Etats-membres suffira alors pour activer l’alerte. Initialement, la Commission européenne, à l’origine de ce plan «Save gas for a safe winter» s’était arrogé la possibilité d’imposer elle-même cette contrainte, ce qui avait fait grincer des dents parmi les capitales.
Reste une évidence: la réduction de consommation sera, dans bien des cas, impérative et dictée par Vladimir Poutine. «Il vaut mieux que les Etats s’entendent sur des objectifs en fonction des capacités et de la situation particulière de chacun. Et notamment de leur capacité d’exportation du fameux combustible chez leurs voisins, afin d’approvisionner ceux qui seraient le plus durement touchés» précise-t-on à Paris. La baisse de consommation de gaz russe ne sera donc pas uniforme.
Des dérogations, déjà…
Troisième point: la décision des Européens, synonyme de solidarité énergétique, est déjà assortie de dérogations. Les pays Baltes, complètement dépendants du réseau électrique russe, ne seront pas tenus par ces objectifs. L’Irlande, non connectée au réseau gazier européen, est dispensée. La Hongrie, qui dépend du pétrole russe et s’est opposée à cette décision (qualifiée d'«injustifiable, inutile, inapplicable» par Budapest), parie sur le fait que rien ne va changer dans l’immédiat. Sauf que l’effort énergétique de chacun sera le baromètre pour les prochaines décisions communautaires.
Pourquoi aider un Etat qui n’est pas solidaire des autres pays membres? Le calcul de la Commission européenne, avec cet objectif de moins 15%, est assez habile. Il oblige tous les pays membres à faire un inventaire complet de leurs besoins et de leurs dépenses énergétiques. Il va aussi entraîner un inventaire des stocks énergétiques, inégaux selon les Etats. Résultat immédiat: le gouvernement allemand de coalition, avec les écologistes à bord, vient enfin de reposer la question de l’avenir des centrales nucléaires qui devaient fermer d’ici à la fin de l’année. Une décision sera prise «dans les prochaines semaines».
Et si l’hiver jouait contre Poutine?
Dernier point à garder en tête: la consommation d’énergie dépend… de la température ambiante. Grâce à Vladimir Poutine, les météorologues vont donc connaître une période faste ces prochains mois et ce n’est pas un hasard si l’Organisation mondiale de la météorologie, basée à Genève, est sans cesse sollicitée pour des prévisions et une appréciation plus juste des écarts de température attendus cet hiver.
Le pire ennemi du Kremlin n’est peut-être pas planqué dans les tranchées ukrainiennes. Il se trouve dans le ciel au-dessus du continent européen. Si l’hiver est doux, l’Union européenne et ses voisins respireront un peu et gagneront du temps pour organiser leurs alternatives énergétiques. A l’inverse, le pire, dans tous les sens du terme, serait un hiver russe: froid, brutal et sans pitié pour tous ceux qui ne seront pas prêts à affronter ce choc thermique.