Alors, Mesdames, vous n’avez pas honte d’avoir un corps qui prend de la place dans le bus, d’avoir oublié un anniversaire, de ne pas avoir cuisiné ce soir, d’avoir parlé d’un problème à une amie plutôt qu’à une autre? Vous n’avez pas honte d’avoir voulu la péridurale? Vous n’avez pas honte d’avoir osé demander une augmentation, d’avoir dit non sans vous justifier, d’avoir existé sans permission? Même entre nous, la honte est un ciment. On se demande si on a trop ri, trop pleuré, trop parlé, trop dérangé.
Dès l'enfance, on nous inculque la honte. Comme une seconde peau, une morale cousue à même la chair: il faut être douce, polie, agréable. Penser aux autres avant de penser à soi. Ne pas déranger, ne pas trop parler, ne pas trop rire, ne pas trop occuper l'espace. Quand une femme ose, elle «impose» ses idées. Une femme ambitieuse est arrogante, une mère épuisée est ingrate, une victime qui craque est hystérique.
La fille de Gisèle Pelicot ne devrait pas se plaindre
Et quand on ose enfin le dire, «je suis une victime», c'est encore à nous qu'on renvoie la honte. Celle qui parle «brise une famille». Celle qui accuse dérange un ordre établi.
On l'a encore vu avec le procès de Dominique Pelicot. Après avoir entendu que la honte devait changer de camp, voilà qu'on intime à la fille de Gisèle Pelicot de se taire. Dans son livre, elle accuse sa mère de ne pas l'avoir reconnue victime. Mais Gisèle Pelicot est devenue un symbole. Et un symbole ne doit pas être écorné.
Dix-neuf femmes sont mortes en Suisse
La honte tue. Littéralement, elle tue ces femmes qui subissent en silence la violence domestique, souvent sans oser la dénoncer. Le regard des autres, leur pitié, ça fait honte.
En Suisse, la violence masculine tue toutes les deux à trois semaines. Un chiffre qui stagne depuis des années, des faits qu'on oublie. En 2024, 19 femmes sont mortes, et cette année, huit ont déjà succombé aux coups de leurs conjoints. En 2019, la police genevoise recensait 200 appels quotidiens (!) dénonçant de la violence domestique.
Voir, mais ne pas empêcher
Et puis, il y a celles qui survivent. À Malley, une femme a été poignardée en pleine rue, devant un refuge pour femmes battues. Sept coups de couteau. Trois passants ont été blessés en essayant de la sauver.
Elle, elle a échappé de justesse à la mort. Une femme fuyant un homme violent, attaquée sous les fenêtres du lieu censé la protéger. Une métaphore cruelle de la société qui voit, mais n'empêche pas. Qui compatit, mais ne protège pas.
Bottez le cul à la honte!
Alors, autant prendre de l’avance et cesser tout de suite ces petits gestes qui nous enferment. À partir d’aujourd’hui, les femmes arrêtent :
- De commencer leurs mails par «désolée pour la réponse tardive»
- De dire «je ne suis pas experte, mais»
- De sourire poliment à un inconnu qui leur donne un «conseil»
- De faire semblant d’aimer l'aspirateur reçu à Noël
- De croire qu’elles sont responsables du malaise des autres
- De toujours remercier «l'équipe», quand elles ont fait tout le boulot
- De se dire qu'elles auraient dû porter autre chose quand un malotru leur inspecte le décolleté
- De s'excuser de ne pas donner leur numéro au type bizarre qui les suit dans la rue
- D'avoir honte de ronfler
- D'élucubrer une explication fumeuse quand elles préfèrent la bière au rosé pamplemousse
- De se pointer au travail l'après-midi alors qu'elles se sont fait opérer le matin
- De murmurer à la limite de l'audible pour demander un tampon à une collègue
- De rire aux blagues grossières et sexistes pour s'épargner les «t'as pas d'humour»
La honte doit cesser d'être un héritage. On ne naît pas coupable de vouloir vivre libre. Arrêtez de vous excuser et bottez le cul à la honte!