Journée internationale des droits des femmes
10 preuves que la cause des femmes stagne en Suisse

Mauvais élève en matière d'égalité des genres, la Suisse n'a pas progressé au plan des écarts salariaux, des places en crèche, de l'éducation supérieure, de la création de patrimoines féminins, et de la représentation politique et managériale.
Publié: 08.03.2025 à 07:15 heures
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Dernière mise à jour: 09.03.2025 à 11:15 heures
A l'occasion de ce 8 mars 2025, Blick dresse 10 constats de ces évolutions peu satisfaisantes et de leurs causes.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Le féminisme peut se définir de nombreuses manières. Parmi celles-ci figure en bonne place l'objectif d'un partage plus égal du pouvoir politique et économique entre les femmes et les hommes. Celui-ci passe notamment par une meilleure représentation politique, l’accès à des postes à responsabilités et à des études de pointe, des infrastructures de garde d'enfants ou des possibilités de création de patrimoines féminins. Or dans tous ces domaines, la situation stagne en Suisse et les progrès tardent à venir. A l'occasion de ce 8 mars 2025, Blick dresse 10 constats de ces évolutions peu satisfaisantes et de leurs causes.

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Pas plus de dirigeantes politiques

Au niveau des dirigeantes politiques à Berne, les progrès sont faibles. Le Conseil fédéral comptait 3 femmes sur 7 membres, jusqu’à la démission de Viola Amherd. Elle sera remplacée par un candidat masculin ce 12 mars. Seules 2 femmes resteront donc parmi les Sept Sages: Karin Keller-Sutter et Elisabeth Baume-Schneider. Une situation bien différente de 2010-2011, quand pour la première fois, 4 femmes côtoyaient 3 hommes au gouvernement.

Au niveau du Parlement, on reste loin de la parité. Si le Conseil des Etats fait mieux qu’avant, avec 35% de femmes contre 28% en 2019, le Conseil national affiche un recul, à 38% contre 42% en 2019. Il faut prendre une perspective plus longue, sur 30 ans, pour voir une progression: la représentation des femmes au Parlement suisse est passée de 21% à 38,5%.

Au niveau des exécutifs cantonaux, les progrès sont l’exception. La règle est la stagnation ou le recul. Les membres des Conseils d’Etat restent à large majorité masculine. Seuls les exécutifs de Zurich, Genève et Vaud comptent une majorité de femmes à l’heure actuelle. Les deux Bâle et Soleure affichent une parité. Mais pour les 20 autres cantons, nul progrès. Le Conseil d’Etat valaisan ne compte aucune femme. Fribourg, Schaffhouse, les deux Appenzell, Glaris, les Grisons, Uri, Schwytz et le Tessin en comptent une seule. Neuchâtel, Jura, Lucerne, Argovie, St Gall, Thurgovie et Zoug en comptent deux. Elles restent aussi minoritaires à Nidwald, Obwald et Berne.

2

Pas plus de présidentes au SMI

A la tête des 20 plus grandes sociétés cotées à la bourse suisse (indice SMI), il n’existe que deux femmes présidentes d’un conseil d’administration (CdA). La première, Nayla Hayek est héritière de Swatch Group, tout comme son frère Nick Hayek, CEO du groupe. L’autre exception est Wendy Becker, nommée présidente du CdA de Logitech depuis 2019.

En ce qui concerne les membres de CdA, les femmes sont plus nombreuses depuis quelques années, parce que la Confédération a fixé l’objectif de 30% de membres féminines d’ici 2026. Au sein des CdA du SMI, elles représentent 34%, soit mieux que les 29% de 2019. Toutes tailles d’entreprises confondues, les femmes occupent 24,7% des places dans les CdA en Suisse, contre 22% il y a 10 ans. La France fait nettement mieux avec 45,2%, de même que l’Italie (42,6%) ou l’Allemagne (37,2%).

3

Pas plus de femmes CEO au SMI

Les femmes CEO (chief executive officer) sont une rareté en Suisse, surtout dans les plus grandes entreprises du pays. On ne compte aucune patronne à la tête d’une société du SMI. En France, trois femmes dirigent (ou ont très récemment dirigé) les géants du CAC 40 Orange, Engie et Sodexo.

Le constat est plus positif si l’on regarde les échelons juste en-dessous du poste de numéro 1. La proportion de femmes parmi les cadres supérieurs a presque doublé, passant de 13 à 24% en 10 ans. La part de femmes à des postes de management en général a progressé légèrement, de 25,5% il y a 10 ans à 28,4% en 2024.

4

Pas plus de fondatrices de startup

Les équipes fondatrices de startups entièrement féminines sont légèrement en hausse, mais restent une absolue rareté en Suisse. Selon le Baromètre des Startups EY Suisse, 7% des startups suisses ayant reçu un financement en 2024 sont fondées à 100% par des femmes, ce qui reste très peu. 

«Bien que la proportion d'équipes fondatrices entièrement féminines ait légèrement augmenté par rapport à 2023, leur part reste inférieure à 10%, passant de 2% en 2023 à 7% en 2024», résume EY. Au moins une femme était impliquée dans 18% des startups financées en 2024. En 2023, elles étaient davantage, soit 22%. La situation reste donc fluctuante. Quant à la proportion d’équipes fondatrices de startups qui sont entièrement masculines, elle reste constante, à 75%.

5

Pas plus d’égalité salariale

En 2022, l'écart salarial entre hommes et femmes s'élève à 16,2%. Cet écart ne s’est pas réduit ces dernières années. Il était de 15,1% en 2020, de 18,1% en 2018, de 16,7% en 2016, et de 16,6% en 2014. Il varie donc dans une fourchette relativement stable.

Parmi les causes de cette stagnation, les limites de la loi. Entrée en vigueur en 2020, la nouvelle loi sur l’égalité salariale demande aux entreprises de plus de 100 salariés d’analyser tous les 4 ans les écarts de salaires entre hommes et femmes et de s’assurer qu’ils se réduisent. Seul hic, elle n’est pas contraignante et ne prévoit pas de sanctions en cas de discriminations. En outre, elle ne s’applique qu’à 1% des entreprises, qui représentent 46% des employé(e) en Suisse.

6

Pas plus d’étudiantes à l’EPFL

Les étudiantes postgrade dans le domaine des sciences et technologies, qui a été à l’origine des plus importantes créations de valeur ces 20 dernières années, restent une minorité en Suisse, et leur proportion tend nettement à stagner. L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) le constate elle-même dans son dernier rapport sur l’égalité des genres: «Le pourcentage d’étudiantes en Bachelor n’a progressé que faiblement ces 10 dernières années, passant de 28% en 2014 à 32% en 2023.» Idem au niveau Master: «Leur pourcentage évolue peu, passant de 27% en 2014 à 29% en 2023.» Chez les doctorantes, la situation «stagne depuis 5 ans», progressant de 29% à 33%.» Le taux de doctorantes à la faculté des Sciences de base a diminué de 2%.

A l’EPFL, l’essentiel des étudiantes se concentrent en architecture et en sciences de la vie, tandis qu’elles pèsent toujours moins du tiers (voire du quart) des effectifs en sciences de base, informatique, et sciences de l’ingénieur.

Plus significatif encore, depuis 6 ans, les étudiantes étrangères sont beaucoup plus nombreuses que les étudiantes suisses à l’EPFL. Au niveau Master, l’EPFL compte deux fois plus d’étrangères que de Suissesses, et au niveau doctorat, il compte 7 fois plus d’étrangères. Les gains féminins enregistrés doivent donc tout, ou presque, à l’effectif international. Ce déséquilibre se retrouve de façon beaucoup moins marquée chez les étudiants masculins.

En revanche, L’EPFL a fait un grand bond en avant au niveau des femmes professeures ordinaires. Entre 2014 et 2023, leur part est passée de 8% à 20%. Mais le pourcentage de femmes maîtres d’enseignement «stagne à un niveau bas de 8 à 10%.»

7

Pas assez de places de crèche

Entre 2020 et 2024, le nombre de crèches a nettement augmenté en Suisse, passant de 3169 à 3845, selon une étude de l'Institut de sciences politiques de l'Université de Berne. Toutefois, la demande continue de dépasser l’offre dans de nombreuses régions.

Les places restent insuffisantes sur Vaud par exemple, où l'offre ne couvrait que 33% de la demande en 2023, en comptant les places subventionnées et privées. Pour couvrir 40% de la demande à horizon 2030, la création de 10’000 places supplémentaires serait nécessaire.
De même, le canton Genève, même s’il figure - avec le Valais - parmi ceux qui ont créé le plus de nouvelles places ces dernières années, affichait en 2024 encore un déficit de 3’000 places. Comme Vaud, Genève peine à répondre à la demande croissante des familles, et les listes d'attente restent longues.

On le sait, faciliter les carrières féminines passe par les solutions de garde d’enfants. En effet, nombre de femmes quittent leur entreprise entre 30 et 40 ans au moment de la maternité. Pendant ces périodes clés de la vie professionnelle, les hommes connaissent une progression de leur carrière. Quand les mères reviennent sur le marché du travail, elles peuvent se retrouver désavantagées par le manque de solutions de garde, le manque de disponibilité et des temps partiels répondant à des nécessités familiales.

8

Pas plus de prévoyance féminine

Comme les cotisations au 2ème pilier dépendent du niveau de salaire, les avoirs de vieillesse des femmes augmentent moins que ceux des hommes durant leur carrière. Cette situation perdurera tant que les inégalités salariales et les lacunes de cotisations persistent. Les rentes des femmes retraitées sont actuellement inférieures d’un tiers à celles des hommes en Suisse, selon une étude de l’Université de Saint-Gall réalisée il y a 3 ans pour la fiduciaire PensExpert – un écart plus élevé que dans les pays scandinaves.

En outre, le système suisse de retraite prévoit le partage de la caisse de pension uniquement en cas de divorce d’un couple marié. Pour les concubins, une séparation n’implique pas que l’épouse aura droit à la moitié du 2ème pilier de son conjoint, même si elle a participé activement à la réussite de sa carrière. La loi ne prévoit pas non plus de prestations en cas de décès pour le conjoint non marié.

Par ailleurs, les lacunes dans la prévoyance des femmes surviennent lorsqu’elles arrêtent de travailler plusieurs années. Là aussi, ce problème est lié aux solutions de garde évoquées plus haut, et aux possibilités de conserver son travail dans des conditions compatibles avec les besoins familiaux. 

Typiquement, les femmes peuvent accumuler un avoir, et le conserver en libre passage avant l’arrivée du premier enfant, au début de leur trentaine. Or le statut d'indépendante en raison individuelle peut leur faire perdre des droits à certaines assurances sociales, si elles n'y prennent garde. 

La prévoyance des femmes, surtout lors de carrières entrecoupées, nécessite du temps et de la planification pour continuer d’épargner, combler les manques du 2ème pilier, et cotiser assez tôt à un 3ème pilier.

9

Pas plus de fortunes hors héritage

La richesse confère aujourd’hui une influence à la fois économique, politique et philanthropique. Parmi les plus grandes fortunes suisses, on compte de très rares fortunes féminines. Les créations de patrimoines féminins hors héritage restent une rareté, surtout dans le haut des classements.

Ce sont des héritières qui figurent dans le top 50 de la liste des 300 plus riches de Bilanz/Bilan. On trouve les sœurs bâloises Maja et Vera Hoffmann (héritières du fondateur du groupe pharmaceutique Roche, avec leur frère André Hoffmann), la Zurichoise Magdalena Martullo-Blocher, fille de Christoph Blocher, fondateur d’Ems Chemie. On peut également citer Dona Bertarelli, suisso-italienne héritière du fondateur du groupe Serono, avec son frère Ernesto. Enfin, citons l’Obwaldienne Eva-Maria Bucher-Haefner, fille du fondateur d’Amag.

Hors héritages, les plus grandes créations de richesse se sont produites, ces deux dernières décennies, dans les sciences, la santé et l’informatique, domaines restés très largement des chasses-gardées masculines.

10

Pas d'amélioration du classement de la Suisse

La Suisse est-elle un pays avantageux pour les conditions de travail des femmes? C’est l’un des pires, si l’on se réfère à l’un des classements de référence, celui de The Economist

L’édition de 2025 classe la Suisse 26ème sur les 29 de l’OCDE, très loin derrière la France, par exemple, qui est 6ème. Seuls viennent ensuite la Turquie, le Japon et la Corée du Sud. 

D'après The Economist, la Suisse est mal notée pour les écarts salariaux entre femmes et hommes, pour les écarts d’éducation supérieure, pour les écarts en politique et en management. Elle est tout en bas du classement pour les congés maternité payés pour les femmes et les hommes, et pour les coûts très élevés de la garde des enfants, qui atteignent un taux record de 49% du salaire moyen, le pire des 29 pays. Le ranking de la Suisse était le même l’an dernier.

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