Martin Vetterli
Avec WhatsApp, des mouchards dans nos poches

Martin Vetterli, président de l’EPFL, met en garde contre notre dépendance aux applications de messagerie. Si l'on a pris l'habitude de cliquer sur «Accepter les conditions» facilement, le danger d'une dérive quant à la sécurité de nos données perdure.
Publié: 14.12.2021 à 14:58 heures
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Dernière mise à jour: 14.12.2021 à 15:12 heures
Martin Vetterli

Le 15 mai, les nouvelles conditions d’utilisation de WhatsApp entraient en vigueur. Elles permettent à l’application de chat la plus populaire au monde de partager les données de ses utilisateurs avec sa maison-mère, Facebook. Objectif: les utiliser de façon lucrative.

Des services gratuits en apparence seulement

L'évolution des conditions d'utilisation de WhatsApp a provoqué de nombreuses critiques sur la toile. De différents côtés, il a été souligné qu’en les acceptant, les utilisateurs renonceraient en grande partie à préserver leur vie privée. Pourtant, et c’est assez surprenant, je connais peu de personnes qui ont cessé d’utiliser WhatsApp pour cette raison.

Le problème: la facilité. Il est manifestement plus simple de scroller vers le bas d’une fenêtre pop-up et de cliquer sans réfléchir sur le petit bouton «Accepter» que d’installer une autre application de messagerie. Tout ce qui compte, c’est de continuer à chatter... Nous préférons occulter le fait que de tels services ne sont gratuits qu’en apparence: lorsque je ne paie pas pour quelque chose, je ne suis pas un client, mais généralement je suis le produit amené à être vendu.

Le téléphone transformé en outil de surveillance

Il est pourtant bien utile de regarder de près la façon dont les géants de la technologie traitent nos données. C’est ce que confirme une étude récente menée par un groupe d’éminents chercheurs en cybersécurité, parmi lesquels Carmela Troncoso, professeure à l’EPFL. Dans leurs conclusions, les expertes et experts réagissent à l’annonce faite par Apple de mettre sur le marché une nouvelle fonction qui permettrait de rechercher automatiquement des contenus suspects dans la bibliothèque de photos d’un iPhone. Apple défend ce nouveau logiciel en affirmant vouloir renforcer la lutte contre la pédophilie en ligne. La fonction servirait exclusivement à détecter du matériel pédopornographique (Child-Sexual-Abuse-Material ou CSAM) et, le cas échéant, à le signaler aux autorités compétentes.

Si cela part certes d’une bonne intention, les chercheurs craignent toutefois que le logiciel ne puisse être également utilisé à d’autres fins. En effet, ils ont démontré qu’il n’était pas compliqué de le modifier afin de faire la chasse à d’autres contenus. D’ordre politique, par exemple. Une fois installée, la fonction de reconnaissance pourrait donc être utilisée sans problème par des États totalitaires dans le but d’espionner des activistes, des minorités ou des dissidents. Et l’iPhone serait transformé en outil de surveillance généralisé.

Leur pouvoir vacille si on refuse de jouer le jeu

Les chercheurs en cybersécurité ne sont pas les seuls à exprimer de telles craintes dans ce domaine. Des associations de journalistes ainsi que des défenseurs de la protection des données ont abondé dans leur sens. Ce tsunami mondial de déclarations critiques a porté ses fruits. Apple a provisoirement mis en veilleuse son projet d’intégrer la fonction de reconnaissance controversée à ses systèmes d’exploitation.

Conclusion: le pouvoir des géants de la Tech dépend en grande partie de notre propension à jouer le jeu selon leurs règles. Merci de ne pas l’oublier la prochaine fois que vous appuyez sur le bouton «Accepter».

Edward Snowden, ancien collaborateur de la CIA et lanceur d’alerte, a publié dans l’un de ses tweets un scénario d’avenir que nous devons à tout prix éviter: il y décrivait des humains trop occupés à jouer avec leurs téléphones portables pour s’apercevoir qu’ils étaient passés sous le contrôle de quelqu’un d’autre...

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