Martin Vetterli
La disparition silencieuse des géants

Martin Vetterli, président de l’EPFL, livre ses troublantes réflexions sur la fonte des glaces et ses défis connexes, qui attendent la Suisse... demain déjà.
Publié: 10.08.2021 à 10:16 heures
|
Dernière mise à jour: 10.08.2021 à 10:27 heures
Martin Vetterli

Ma dernière randonnée à ski du printemps m’a conduit à la Konkordiaplatz, lieu où trois glaciers convergent vers le glacier d’Aletsch. Cet endroit se trouve au cœur de la plus grande zone glaciaire des Alpes, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2001. Encadré de plusieurs sommets culminant à 4000 mètres, il jouit d’un panorama grandiose.

La Konkordiahütte est située sur un promontoire qui domine la Konkordiaplatz. Au moment de sa construction en 1877, la cabane ne se trouvait qu’à 50 mètres au-dessus de la Konkordiaplatz. Depuis lors, le glacier a tellement fondu qu’aujourd’hui, il faut escalader environ 150 mètres d’échelles pour parvenir à la cabane.

La fonte des géants s'accélère à vue d'oeil

Les glaciers sont les témoins les plus probants du changement climatique. Depuis le milieu du XIXe siècle, ils reculent inexorablement sous l’effet de la hausse des températures. Selon le World Glacier Monitoring Service, l’épaisseur de ces géants de glace diminue chaque année d’un demi-mètre, voire d’un mètre entier. Et cette tendance s’accélère à vue d’œil: à l’exception de quelques rares endroits, les glaciers fondent de plus en plus vite sur toute la planète.

L’eau de fonte contribue à l’élévation de plus en plus rapide du niveau de la mer. Des données actuelles indiquent que quelques 200 millions de personnes vivent dans des zones côtières qui, d’ici à la fin du siècle, seront régulièrement inondées. Il en coûtera cher aux pays riches, mais ils trouveront des solutions. Les pays plus pauvres en revanche n’auront pas les moyens de financer une protection onéreuse du littoral.

La Suisse est aussi concernée

Même sans accès à la mer, la Suisse est concernée par la fonte des glaciers. Le recul de ces géants de glace bouleverse l’écosystème alpin: les paysages enneigés font irréversiblement place aux déserts de pierres, et le mythe des glaces éternelles se perd à tout jamais.

La disparition des glaciers nous apporte son lot de défis considérables, notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’approvisionnement en eau potable et de la production d’électricité. Actuellement, la fonte des glaciers fait couler davantage d’eau. Néanmoins, les glaciers suisses se rétrécissent eux aussi. Lorsqu’ils auront disparu, cette source se tarira. Le surplus d’eau provenant des glaciers viendra cruellement à manquer, tout particulièrement dans les régions sèches.

De menace à ressource en péril

Il n’en a pas toujours été ainsi. Au XVIIe siècle, le glacier d’Aletsch, encore en progression à l’époque, constituait une menace. En 1678, les habitants du Fieschertal et de Fiesch avaient ainsi prêté serment de vivre vertueusement et de prier contre la croissance du glacier. Ce serment avait reçu l’aval du pape de l’époque.

Depuis lors, les choses ont changé. La fonte vertigineuse de la glace éternelle menace l’économie locale. Il faudrait donc que le glacier d’Aletsch s’étende à nouveau. Les habitants du Fieschertal et de Fiesch ont demandé une nouvelle audience au pape en 2009. Ils ont sollicité l’autorisation d’inverser le serment et d’inclure désormais la croissance du glacier dans leurs prières. Cette requête leur a été accordée.

Reste à savoir si les prières sauront stopper le retrait du glacier. Un moyen plus sûr serait certainement de parvenir à juguler le changement climatique.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la