Chères amies et chers amis alémaniques,
La Suisse, c’est vous. Vous ne vous en rendez probablement plus compte, mais dans ce pays, c’est vous qui décidez. Notre politique de santé, de sécurité, de transports, nos relations avec le reste du monde et nos lois, c’est vous, encore vous, toujours vous. La raison est aussi simple que légitime: vous dominez les Chambres fédérales et vous représentez la majorité du peuple et des cantons, dans un système défini avec sagesse par notre Constitution fédérale.
Vous avez des privilèges... et des responsabilités
On n’est jamais conscient d’être majoritaire, car c’est une situation confortable. On vit par contre intensément son statut de minorité, parce qu'on l’éprouve concrètement, au quotidien. Les Romands (on ne parle même pas des Tessinois ou des Romanches) sont systématiquement les oubliés du jeu. Oubliés de la politique qui se fait dans une Berne fédérale où chacun défend ses petits intérêts, oubliés des nombreuses entreprises nationales dirigées par des Alémaniques qui sous-estiment très souvent nos différences et comprennent mal nos besoins.
Alors, il faut de temps à autre vous rappeler à vos devoirs. Car les privilèges conférés par votre statut majoritaire dans ce pays s’accompagnent de responsabilités que vous semblez parfois oublier — ce qui nourrit nos frustrations. Une majorité qui s’ignore devient vite écrasante et met à l’épreuve des liens qui sont par définition toujours fragiles. Et pourtant fondamentaux.
Ce que vos amis romands attendent de vous n’est ni complexe ni déraisonnable. Nous vous demandons d’inclure davantage ceux qui trottent derrière vous, de faire un pas vers notre culture, d’apprendre notre langue, pour comprendre que nous ne sommes pas une poignée de marginaux pittoresques à l’ouest du pays — mais bien une partie intégrante de votre Suisse, qui est aussi la nôtre.
Comprenez que vous avez besoin de nous. Pas uniquement pour notre rayonnement international et notre dynamisme en matière d’académisme et d’innovation. Alors que le monde se recompose dans la confusion, que les repères vacillent et que les alliances sont bousculées, nous voilà obsédés par la redéfinition de nos amitiés, de nos frontières, de nos appartenances. Dans ce contexte incertain, souvenons-nous de ce qui nous unit depuis 1291: l’alliance pour être plus forts, ensemble. Soudés face à l’extérieur. Ces valeurs n’ont jamais autant compté qu’aujourd’hui.
La légèreté avec laquelle vous balayez le français nous blesse
Chaque fois que vous reléguez l’apprentissage du français, nous le vivons comme une blessure. Comme un rejet. Chaque fois que vous comparez notre langue à l’anglais avec un vocabulaire d’entreprise — rentabilité, retour sur investissement — vous vous trompez totalement de raisonnement.
Parler une deuxième langue nationale n’est pas un dividende ou un bonus. C’est un geste politique. C’est un acte de lien. C’est essentiel à la Suisse.