Il y a des crises qui exigent de nous bien plus que de la compassion. La tragédie vécue par les Kurdes est de celles-là. Alors que les provinces kurdes de Syrie se retrouvent à nouveau violemment attaquées par les groupes rebelles soutenues par la Turquie d’Erdogan, il est impératif de témoigner notre solidarité concrète envers ce peuple courageux, dont la société civile et les forces armées ont toujours été à l’avant-garde de la lutte contre le djihadisme et le fascisme. Cela au péril de leur vie.
La situation humanitaire dans le Rojava, région autonome kurde du nord-est de la Syrie, est très préoccupante. Les villes de Tall Rifaat, Manbij ou Kobané subissent les frappes aériennes de groupes rebelles soutenus par l’aviation et les drones turcs. Ces bombardements ont tué de nombreux civils et provoquent un nouvel exode dans des régions qui ont déjà accueilli d’innombrables réfugiés.
Responsabilité pour la sécurité globale
Il convient de rappeler deux éléments essentiels quant à l’action des Kurdes et leur modèle politique au Rojava. Tout d’abord, les Kurdes ont été le seul vrai rempart contre l’avancée de Daech, notamment lors des pires heures de la guerre en Syrie. Leur résistance historique a permis de protéger des populations entières, dont les Yézidis victimes des atrocités de Daech et qui doivent en grande partie leur survie aux combattants kurdes syriens (YPG).
Aujourd’hui encore, ce sont elles et eux qui gèrent les camps où sont détenus des milliers de djihadistes, une tâche immense accomplie avec un très faible soutien occidental. Et pourtant, cette responsabilité assumée par les Kurdes est fondamentale, y compris pour la sécurité globale.
Que se passerait-il si les Kurdes, exsangues et devant faire face à de nouvelles offensives sanglantes fomentées par la Turquie, décidaient de relâcher ces prisonniers? Quelles seraient les conséquences d’une déstabilisation complète du nord de la Syrie telle que rêvée par Erdogan dont le seul but est d’y créer une zone tampon?
Soutien populaire
Ensuite, rappelons que les Kurdes luttent non seulement pour leur survie mais construisent en parallèle un projet politique d’émancipation individuel et collectif. Le Rojava incarne une expérience unique : une société démocratique, laïque et multiconfessionnelle, égalitaire et écologique. Une utopie concrète qui réussit à se construire malgré des conditions géopolitiques plus que difficiles.
Un dicton illustre bien leur longue histoire de trahisons subies: «Les Kurdes n’ont pas d’autres amis que les montagnes». Il occulte néanmoins un élément central, soit la solidarité internationale. Dans le monde entier, les Kurdes bénéficient d’un immense soutien populaire, amplifié depuis l’héroïque bataille de Kobané.
La Suisse, forte de sa tradition humanitaire et de son engagement en faveur des droits humains, ne peut rester silencieuse. Il est temps pour le Conseil fédéral de faire entendre sa voix. En particulier le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis dont le silence pesant et le manque d’engagement sur les grands enjeux de politique internationale nuisent à la crédibilité de la Suisse. Une Suisse autrefois courageuse dans ses prises de position, aujourd’hui inaudible si ce n’est muette.
La Turquie agit en toute impunité
Le gouvernement doit enfin prendre des décisions claires: condamner fermement les attaques turques, suspendre tout accord économique avec Ankara, mobiliser une aide humanitaire d’urgence pour les populations kurdes et soutenir les initiatives pour construire une Syrie libre et démocratique.
Alors que la Turquie est membre de l’OTAN, elle agit pourtant en toute impunité et joue sur plusieurs tableaux: Ankara affiche un partenariat de façade avec l’Occident tout en soutenant des milices islamistes qui déstabilisent l’ensemble de la région. Ce double jeu doit cesser. Il est de notre devoir de faire pression sur Ankara pour mettre fin à ces violations graves du droit international.
Les Kurdes n’ont jamais cessé de lutter contre les pires menaces. Leur résistance nous concerne toutes et tous. Il est temps de reconnaître l’engagement des Kurdes pour un Moyen-Orient pacifié, démocratique et de soutenir enfin leur droit à l’autodétermination. Bijî Kurdistan!