«Et ce sont les violents qui l’emportent», écrivait l’américaine Flannery O’Connor. C’est sans doute ce qu’auraient pu titrer nombre de quotidiens américains au lendemain de la victoire de Donald Trump sur sa rivale. C’est d’ailleurs le titre tout trouvé d’un nombre important de scrutins dans le monde entier. Avec cette évidence quasi hobbesienne: là où il n’y a pas de politique, il y a la violence nue.
Or, la politique a été la grande absence de la campagne présidentielle américaine. Kamala Harris est peut-être intelligente, mais elle n’a pas d’idées. Ce paradoxe n’est pas une affaire de personne, plutôt une affaire de parti, et peut-être même d’époque.
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Pas d'idées, pas de politique
Quand Joe Biden a annoncé qu’il se retirait de la course à la Maison Blanche, le sourire radieux de sa vice-présidente s’est imposé comme une évidence. Les grands médias américains et européens ont modulé sur cette évidence: Kamala est une femme, elle est jeune, elle est noire, Taylor Swift la soutient, Beyoncé aussi.
Or, là où les idées manquent, il ne saurait y avoir de politique, que des appétits dressés les uns contre les autres, que des gueules aux dents blanches contre des gueules aux dents noires, que des visages poupins contre des visages burinés, que des insultes contre d’autres insultes, que des identités contre d’autres identités, avec cette réalité qui finit toujours par rattraper la gauche, fut-elle si au centre qu’elle ressemble à la droite: que les minorités leur échappent, qu’elles vivent leur vie, entre progressisme, conservatisme et abstention.
On m’objectera que Kamala Harris a proposé des mesures concrètes. Mais les mesures ne sont que le cache-sexe d’une politique-misère qui ne sait plus dire son nom. Quand on n’a pas d’idée d’ensemble et de programme, on brandit des mesures… On les brandit en fonction des interlocuteurs que l’on a devant soi, étudiants, vétérans, citadines de la classe moyenne, travailleurs de la périphérie. Additionnées, les mesures ne font ni une pensée cohérente, ni un programme politique. Ce sont des promesses qui se perdent au vent, et qui n’engagent personne, puisque personne n’y croit.
Une campagne de sauvageries
Si les appétits entrent sur la scène de l’histoire, et y progressent aussi librement, c’est que rien de consistant ne parvient à les stopper. Renoncer aux idées, c’est consentir la sauvagerie. Or, la campagne présidentielle a été marquée par la sauvagerie: tirs, injures publiques, promesses de vengeance et, ailleurs, au Proche-Orient, les massacres qu’Israël commet avec des armes américaines et avec la bénédiction des deux candidats...
On n’a pas assez noté que toute la campagne s’est faite dans la fumée des crimes de guerre israéliens, qui ont non seulement disqualifié le progressisme de façade dont se prévalait Kamala Harris, mais qui ont poussé nombre d’électeurs à se dire que, finalement, mieux valait peut-être un vrai salaud qu’une hypocrite. Dès lors, appétit contre appétit, sourire contre sourire, il n’est pas étonnant que ce soit le candidat le plus sauvage qui l’ait emporté.