À la fin du dernier repas de famille, mon grand-père, qui n’avait pas bu, est allé jusqu’à suggérer que, le coût de la vie augmentant de manière alarmante, il ne serait pas idiot d’indexer les primes d’assurance maladie sur le revenu des assurés. Cette réflexion, lancée entre l’entremet et le sorbet, est passée très au-dessus du conseiller fédéral Alain Berset, lequel a déclaré crânement (si je peux me permettre): «La seule manière de faire baisser les primes [d’assurance-maladie], c’est de diminuer les coûts». Et voilà mon grand-père, libéral devant l’Eternel, devenu plus à gauche qu’un ministre socialiste!
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C’est que mon grand-père, en dépit d’une mobilité réduite, garde l’esprit clair. Il a bien compris que les gens n’allaient pas se faire soigner pour le plaisir, qu’ils ne tombaient pas malade par vice, ni par passion, qu’ils ne hantaient pas des lieux aussi sinistres que l’hôpital de Rennaz ou celui d’Yverdon pour le plaisir de la balade.
Il a bien compris que les gens ne choisissaient pas spontanément de se briser les os ou de développer un cancer, qu’ils ne s’enflammaient pas le côlon ou l’intestin à la demande, qu’ils ne se jetaient pas du troisième étage par coquetterie, qu’ils ne traversaient pas leur pare-brise pour rigoler, qu’ils ne se prenaient pas une poutre métallique sur la gueule pour épater les copains, ou faire rire leur patron.
Partager les coûts
Réduire les coûts? C’est-à-dire refuser de faire payer le juste prix de la santé à ceux qui détiennent les richesses, et qui sont – coïncidence, sans doute – aussi ceux qui sont le mieux soignés. Réduire les coûts? C’est-à-dire réduire les services publics pour ceux qui, justement, sont les moins bien couverts par leur assurance, pour ceux qui ont le plus de chance de tomber malade: c’est-à-dire, pour les plus pauvres.
Réduire les coûts? C’est-à-dire jeter l’opprobre pour ceux qui auront eu l’outrecuidance d’être malades – et peu importe si cette maladie est corrélée à l’accumulation du capital, provoquée directement par des conditions de travail indignes et dangereuses. Réduire les coûts? C’est-à-dire viser les vieux, toujours coupables de vivre trop longtemps, toujours suspectés «d’acharnement thérapeutique», cet oxymore cynique qui fait florès dans nos hôpitaux et nos cliniques.
Réduire les coûts? Non. Les partager. Et j’invite mes compatriotes à faire le bon choix au moment de glisser un bulletin de vote dans l’urne, lors des élections fédérales prochaines. C’est une question, plus que jamais, de santé publique. Quant à mon grand-père, malade ces jours-ci, je lui souhaite un prompt rétablissement.