La chronique de Quentin Mouron
Au Niger, le retour des va-t-en-guerre au nom de la démocratie

Au Niger, le putsch du général Tchiani contre le gouvernement élu a ravivé une rhétorique guerrière que l’on croyait devenue l’apanage de la Russie. Au nom de la démocratie, on est à nouveau prêt à sacrifier les peuples sur l’autel de la guerre, selon notre chroniqueur.
Publié: 11.08.2023 à 14:31 heures
Le régime militaire issu d'un coup d'Etat au Niger a formé un gouvernement. Cela juste avant un sommet crucial jeudi 10 août à Abuja, où se réunissaient les dirigeants ouest-africains.
Photo: AFP
Quentin Mouron

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous avions presque fini par croire à nos postures morales, à nos gesticulations. Nous semblions avoir compris que la revendication d’une «sphère d’influence» au-delà de son propre territoire relevait de l’anachronisme impérialiste. Nous avions fini par nous convaincre qu’au XXIe siècle, un pays qui agresse militairement son voisin mérite de finir au ban des nations. Nous donnions l’impression d’avoir pris la mesure des souffrances des populations civiles confrontées à la guerre et à l’exil. Du haut de nos plateaux de télévision, nous égrainions d’impeccables sentences sur les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous jetions de vibrants anathèmes nous saturions l’air à grands coups d’encensoirs humanitaires.

Or, après le coup d’État au Niger du général Tchiani, les mêmes experts se sont retrouvés sur les mêmes plateaux de télévision, face aux mêmes éditorialistes, face aux mêmes journalistes. Les experts sont remontés en chairs. Ils ont à nouveau pris des postures graves, des mines hantées. La guerre, c’est une affaire sérieuse, le droit des peuples aussi; et que dire de la démocratie. Pourtant, le discours a changé. Radicalement. On y célèbre maintenant l’interventionnisme, la militarisation des rapports, les invasions lights, les changements de régime à coups de bombes et de missiles.

Vive la démocratie par les armes!

Sur les plateaux de télévision, la possibilité qu’une coalition militaire emmenée par le Nigéria voisin puisse entrer au Niger pour y rétablir l’ordre constitutionnel ne fait frémir personne. L’idée que l’on déclenche une guerre dans l’une des zones les plus pauvres et instables du monde pour sanctionner un putsch qui, tout antidémocratique soit-il, n’a pour l’instant pas fait un seul mort, n’émeut pas particulièrement les invités des émissions spéciales. La perspective qu’une telle aventure guerrière puisse renforcer les nombreux groupes djihadistes et criminels dans la région, cela ne fait pas beaucoup cauchemarder. On remet sur la table, avec un sérieux qui ferait rire en d’autres circonstances, la fameuse «intervention militaire pour sauver la démocratie». Et on y croit! Et on s’en félicite! Vive la démocratie par les armes!

La position diplomatique de la France et des Etats-Unis est claire: soutien absolu aux décisions prises par Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pas la moindre menace de sanction économique en vue en cas d’intervention, voire d’invasion (celles-ci sont réservées au Niger, au péril des populations). Pas la moindre exclusion des accords militaires en vigueur. Pas de chasse aux avoirs des oligarques et des hommes d’affaires. Pas de comptes gelés en Suisse. Pas de pressions morales, ni politiques. Plus de 500 jours après le début de l’invasion russe en Ukraine, tout semble revenu comme avant: les va-t-en-guerre sont à nouveaux en odeur de sainteté, les aventures militaires sont souhaitables et les victimes civiles ne sont ni plus ni moins que des accidents regrettables au bord de la grande route qui doit mener à la démocratie.

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