Le 24 novembre, nous voterons sur une réforme du financement des soins appelée Efas. Les principes qui guident ce projet sont les mêmes que ceux qui ont été appliqués au financement des hôpitaux en 2012. Déjà, il s’agissait de remplacer la responsabilité financière des cantons par un système tarifaire national unique. Déjà, on voulait renforcer la concurrence, «éliminer les faux incitatifs», «baisser les coûts».
Résultat: entre 2022 et 2025, nous subissons une hausse de primes cumulée supérieure à 20%, soit environ 7 milliards de prélèvements supplémentaires. Cet argent est réparti par des systèmes tarifaires obsolètes, négociés par les associations faîtières de médecins et d’hôpitaux avec les assureurs. Sans surprise, cette répartition profite essentiellement aux fournisseurs de prestations à but lucratif et affaiblit les acteurs de la première ligne de soins. Les hôpitaux avec mission de soigner tous les patients à toute heure du jour et de la nuit sont en grave difficulté financière au point que des licenciements collectifs ont lieu, comme des risques avérés de faillite.
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Des milliards et des milliards
En 2012, un milliard de francs d’argent public a été donné aux cliniques privées pour payer des opérations que les assurances complémentaires privées paient déjà. Désormais, les cantons doivent encore allonger des centaines de millions partout en Suisse pour éviter le chaos hospitalier et garantir les soins de base. Et pendant ce temps, les activités spécialisées et électives sont toujours mieux rémunérées par les assureurs. Les fameux «partenaires tarifaires» continuent de tourner autour du pot de miel, se divisent, se réconcilient, se redivisent, mais n’assument pas leur rôle et la répartition continue d’être aussi scandaleusement déficiente.
Avec EFAS, en plus des 35 milliards d’argent des primes, 13 milliards d’argent des impôts qui vont directement des cantons aux hôpitaux passeront désormais des cantons vers les assureurs, avant, on l’espère, de revenir aux hôpitaux. Dans un deuxième temps, l’argent qui va des cantons directement aux EMS et aux soins à domicile sera également pris dans ce jeu de l’oie où les trappes aboutissent aux caisses des assureurs.
Ce qui compte, c'est le montant
Selon ses partisans, cette uniformisation du financement par les assureurs soutiendra le développement de l’ambulatoire et réduira les incitatifs à garder les patients à l’hôpital. On se pince en écoutant cet argument... Car, que les cantons paient 25% de toutes les factures en passant par les assureurs ou qu’ils paient la moitié des factures stationnaires seulement en payant directement les hôpitaux, cela ne change rien à un fait: une facture de séjour hospitalier restera différente d’une facture d’un traitement ambulatoire. Donc, pour les fournisseurs de prestations, il restera, dans certains cas, plus intéressant de faire un traitement en stationnaire plutôt qu’en ambulatoire. Qui paie la facture leur est égal, ce qui compte, c’est le montant des factures.
Accélérer le virage ambulatoire ne se fait pas par ce mic-mac entre payeurs, mais par une planification hospitalière sérieuse que certains cantons ont déjà faite. Le canton de Vaud notamment a beaucoup développé l’ambulatoire et connaît un nombre d’hospitalisations et des coûts dans ce domaine inférieurs à la moyenne suisse.
Il serait donc l’un des cantons où la réforme ferait économiser à peu près une augmentation annuelle de primes en transférant des coûts à hauteur de 150 millions environ des assureurs au Canton. Si celui-ci est capable de payer cette somme sans augmenter des taxes, couper dans les effectifs des soignants ou dans les subsides, à la bonne heure... On peut essayer d’y croire.
Le répit ne durera pas
Mais tant que le financement du système de santé restera aux mains des assureurs et des lobbies, le répit ne durera qu’un an et après le cauchemar reprendra. Surtout quand les soins de longue durée seront intégrés au nouveau système, quatre ans plus tard. Dans les cantons qui ont moins développé l’ambulatoire, les suppléments de hausse de primes arriveront tout de suite et les cantons feront des économies. C’est pourquoi beaucoup de cantons soutiennent la réforme qui fera baisser leur budget et chargera les primes.
Avec cette réforme, des caisses privées, sans légitimité démocratique, sans transparence, géreront donc à la place des autorités démocratiquement élues une partie du produit de nos impôts en plus de nos primes. Pour justifier une telle hérésie, des promesses ont naturellement été faites sur le maintien des compétences de planification des cantons. Sans surprise encore, elles sont déjà trahies par la majorité du Parlement, avant même le vote populaire.
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On fonce dans le mur
Ce 26 septembre dernier, en effet, le Conseil des États a adopté une motion déposée par un élu membre du Conseil d’administration de la faîtière des assureurs-maladie, Santésuisse. Cette motion prévoit que ce sont les assureurs qui choisiront les hôpitaux et les médecins remboursés, à la place des cantons et des patients. La compétence de planifier l’offre hospitalière serait donc retirée aux 26 cantons et transférée à 60 assureurs privés, qui feront chacun leurs propres listes d’hôpitaux et de médecins remboursés. Après avoir transféré tout l’argent aux assureurs, le Parlement s’apprête donc à leur transférer tout le pouvoir, en bonne logique.
Ces assureurs vendent par ailleurs des assurances complémentaires, qui seront d’autant plus attractives si l’offre de base est déficiente. Le conflit d’intérêt est donc grossier. Mais rien n’y fait: on fonce dans le mur et toutes les réformes qui ont raté dans le passé sont généralisées avec EFAS.
Face à ce spectacle tragique, on pourrait s’asseoir au bord de la rivière et attendre que les cadavres de ces fausses réformes se succèdent, avant qu’enfin le bon sens prenne le dessus sur l’idéologie et l’appât du gain. Mais chacun de ces ratages fait souffrir toujours plus les personnes qui se dévouent pour la santé publique et celles et ceux qui ont besoin de soins. Donc, même s’il faut affronter tous les lobbies de la santé en même temps, nous refusons cette mauvaise réforme.