C’est indéniablement l’image de l’été: un Alain Berset engoncé dans un char de la Street Parade et décoré d’un boa rouge vif, éclusant une cannette de bière, tout en fumant un gros cigare façon clou de cercueil.
Une image si insolite que beaucoup se sont tout d’abord demandés s’il ne s’agissait pas d’un sosie d’Alain Berset, d’une version canaille de notre président. Mais non, c’était bien lui, (bon, si vous êtes déçus, il vous reste à réécouter cette magnifique émission, drôle et triste, sur les bisbilles entre Johnny Christ et Johnny Rock, deux sosies de Johnny Hallyday qui se livrent une guerre sans merci).
Une fois l’identité assurée, reste à lancer les commentateurs sur l’affaire, comme l’on déclencherait le départ du lièvre mécanique dans les courses de lévriers. De cette image, l’on a tout dit: qu’elle était sympa (on pensait que les conseillers fédéraux étaient des poupées de cire), qu’elle était étonnante (imaginez seulement un conseiller fédéral fumer et boire), qu’elle était ridicule (un président ne devrait pas faire ça), que c’était une mise en scène un peu grotesque (en soulignant que le président s’était rendu à la fête en hélicoptère Super puma de l’armée), et plus encore.
Il ne pouvait que faire faux
Au fond, Alain Berset se retrouve un peu piégé: quoi qu’il fasse, cela sera retenu contre lui: un Alain Berset qui ne vient pas, c’est un Alain Berset qui se croit au-dessus de la mêlée, un Alain Berset qui vient, mais qui reste vissé à son siège, c’est un Alain Berset qui ne sait pas se lâcher et qui est là pour de mauvaises raisons, un Alain Berset qui fume et qui boit, c’est un Alain Berset qui n’assume pas ses responsabilités de Ministre de la santé jusqu’en décembre prochain.
Drôle de société que la nôtre qui chercher à diviniser le personnel politique pour mieux lui reprocher ensuite d’être normal. Ce d’autant que, férus d’injonctions contradictoires, nous voudrions aussi que nos politiciens nous ressemblent, qu’ils suivent les instructions de l’équipage (mais pas toujours, comme nous) et qu’ils sachent vivre.
Cette affaire, symptomatique des temps actuels, en convoque une autre, hexagonale cette fois: l’affaire dite de la bière macronienne, laquelle voyait le président Macron aux prises avec une Corona bien fraîche, bue cul sec dans les vestiaires des rugbymen toulousains, sous les applaudissements nourris. Respect de la tradition pour les uns, masculinité toxique pour les autres, il n’en fallait pas davantage pour déclencher une bonne controverse à la mode du pays. Là encore, le président Macron ne pouvait faire que faux: s’il ne buvait pas la bière, il ne respectait pas les traditions et n’était au fond pas très bon camarade de banc, s’il le faisait, il était un vilain boomer et il encourageait la consommation d’alcool, double culpabilité s’il en est.
Bien entendu, les deux affaires dont il est question relèvent, à tout le moins en partie, d’une forme de communication politique et, à ce titre, doivent laisser libre cours aux commentaires et aux critiques : la démocratie se nourrit aussi des guerres picrocholines. Reste que, parfois, on n’a qu’une envie, appeler Jacques Chirac, lui dire qu’ils sont devenus fous et aller refaire le monde, les pieds sur la table, et avec lui, en fumant une clope et en sifflant une Corona.