Pas un jour ne se passe sans qu’un article de presse n’évoque, pour parler d’un suspect dans une affaire criminelle, de présumé coupable. Et il y a fort à parier que les journalistes qui s’y essaient pensent bien faire, le présumé amoindrissant selon leur conception l’opprobre immanquablement réservée au coupable, d’autres termes que le «présumé» indique au lecteur que la personne n’a pas encore été condamnée définitivement par une autorité judiciaire compétente. Dont acte.
Reste que, en faisant cela, le système voulu par les pays démocratiques, soit celui de la présomption d’innocence (les anglosaxons ont une formule qui va droit au but: innocent until proven guilty) est de facto renversé. C’est ainsi qu’en affublant le suspect ou la personne arrêtée d’un «auteur présumé», l’on part du principe, exactement contraire à la réalité, que tout suspect est en premier lieu présumé coupable et qu’il lui appartient de démontrer le contraire. Or le principe accusatoire dit exactement l’inverse: c’est aux seules autorités pénales de démontrer la culpabilité d’un individu.
Comme le relève un magistrat honoraire français dans une publication passionnante, le problème s’étend également à la qualification de la victime. Lorsque celle-ci est «présumée», la culpabilité du suspect l’est mécaniquement également. Sa solution, qui est également la mienne, est de revenir à des terminologies d’antan: le «principal suspect» ou, formule empreinte d’une grande élégance désuète, le «témoin numéro un». Quant à la victime, parlons plus volontiers du «plaignant» ou de la «victime alléguée». En cela comme en d’autres matières, le diable lexical se loge dans le détail.