Je me remémore parfois nos jeux d’enfants. Vous savez, dans la cour de récréation. Quand, avec quelques copines et quelques copains, on jouait à la police. Il y avait les gentils. Et puis les méchants. Certains faisaient respecter la loi et l’ordre. Alors que d’autres finissaient en prison. La plupart du temps, elle se trouvait dans un coin du préau, entre les premières poubelles PET et un vieux cheval à bascule, lequel portait fièrement «fils de pute», écrit au stylo-feutre noir, sur le haut de ses naseaux.
À cette époque, la vision manichéenne qui nous animait, les copains et moi, elle était plutôt chouette. Et facile à comprendre, aussi. Pourtant, plus de quinze ans sont passés et, aujourd’hui, non, non, plus de vision binaire de la vie. Je ne porte plus en moi cette conviction qu’il y a d’un côté le noir et de l’autre le blanc. Dorénavant, à mes yeux, si elle était une couleur, l’espèce humaine serait une sorte de nuage gris. Avec cinquante nuances de Christian, si vous voulez.
Prisonnier de son corps
Enfin bref, revenons à notre truc enfantin de policiers et de prisonniers. Même si, si on en croit mon développement cognitif, je ne joue plus beaucoup à ce jeu, j’ai, cependant, parfois, toujours l’impression d’être le prisonnier, entre la poubelle de PET et le cheval à la mère hétaïre. Celui qui, dépendant de son entourage, ne peut fuir quand quelque chose ne va pas.
Une embrouille, un désaccord, un ras-le-bol ou bien juste un besoin de prendre du recul… Somme toute, fuir, de temps en temps, ça fait du bien. Ne serait-ce que pour empêcher nos paroles de dépasser notre pensée, de déchirer quelque chose, un sentiment, qui, jamais de jamais, ne saurait être raccommodé. C’est parfois pratique. Nécessaire. Humain.
Moi, j’ai beau être un humain, je n’ai jamais pu fuir. Seul. Dans les bois. Dans la rue. Chez un ou une confidente. Ce n’est pas l’envie qui manque, toutefois. Mais, ma réalité c’est que, demain, et probablement jusqu’à la fin de ma vie, même si «j’envoie se faire foutre» mon auxiliaire de vie ou ma proche aidante, je devrais le faire poliment et avec beaucoup de manières. «Je suis infiniment désolé Mélanie, mais c’est passablement difficile pour moi d’accepter cette situation». Pourquoi? Car, ma réalité, c’est que je suis tributaire du bon vouloir de cette personne, pour manger, pour boire, pour aller aux toilettes, pour vivre. Et peut-être même pour fuir. Bref, je suis dépendant, prisonnier de mon propre corps.
Vous avez demandé quelqu’un d’autre?
Si Mélanie, ou moi, sommes fâchés, malgré tout, dans les prochaines minutes, il va falloir collaborer. Impossible de bouder, chacun dans une pièce. Eh bien non, car, Malick a besoin d’aller aux WC et Mélanie va devoir l’y assister. Même si Malick vient de lui annoncer que «malheureusement, et ce n’est en aucun cas lié à tes compétences, j’ai décidé de mettre un terme à notre collaboration professionnelle». Je vous la pose la question: comment licencier son auxiliaire de vie sans créer le malaise? Comment licencier son auxiliaire de vie, tout en garantissant ma sécurité? Vous avez quatre heures.
Avec la personne formidable qui partage ma vie depuis plus d’un an, c’est à peu près le même tableau. Après un conflit ou une scène de ménage avec elle, c’est tout de même cette dernière qui devra, fâchée, tremblante, brusque et en sueur me déshabiller pour ensuite me coucher. Elle devra toucher mon corps, nu, alors que je voudrais simplement faire le vide. Seul.
Vous avez demandé quelqu’un d’autre? Ne quittez pas. À 00h45, il sera difficile, voire miraculeux de trouver ce quelqu’un d’autre qui pourrait, «pouf», placer une respiration dans ce conflit conjugal, certes tout à fait normal. Tout à fait sain, diront certains. Et pourtant, par tous les Saints, j’aimerais pouvoir, au pire, trouver quelqu’un d’autre. Au mieux, fuir. Faire le vide. Pour mieux revenir. Pour ne jamais manquer de respect, parce qu’énervé, à la personne que j’aime. Pour pouvoir «péter un câble», en solo, sans être touché, manipulé, porté ou observé, tout simplement.
Résilience, ô résilience
L’arme secrète, dans ces cas-là, c’est la résilience. Avec un grand R. Résilience. Cette capacité psychique à surmonter les chocs traumatiques. À accepter la finalité d’une réalité. Sans pour autant dénaturer ou oublier la beauté et l’importance du combat mené en amont, malgré l’échec.
La résilience, finalement, elle est un petit peu un bel after, lorsqu’on est en gueule de bois, à la descente d’un gros shoot de frustration. Malheureusement, beaucoup s’arrêtent avant l’after… «Avant l’after», une belle figure de style, carrément un oxymore, anachronique. De quoi fâcher du monde. Alors, je vous laisse fuir. Ça nous évitera bien des chroniques. À la semaine prochaine!