Le monde brûle et Ignazio Cassis regarde ailleurs. Qui se souvient de la dernière prise de position du conseiller fédéral chargé des Affaires étrangères (DFAE) sur une actualité internationale brûlante?
Le chef du DFAE brille par son extrême discrétion et cela devrait nous inquiéter: derrière les portes feutrées de la Berne fédérale, Ignazio Cassis poursuit méthodiquement son travail de sape de la tradition humanitaire suisse. Les dégâts sont considérables. Il est urgent de le dénoncer. La diplomatie suisse a perdu en crédibilité. C’est un fait. Nous faisons face à un reniement progressif de ce qui faisait la force et le respect de la Suisse sur la scène internationale. Est-ce que j'exagère? Voici quelques exemples pour illustrer cette course au pognon.
1) La neutralité active à la poubelle
La Suisse humanitaire, celle des Conventions de Genève, qui savait se faire entendre comme médiatrice respectée, perd de sa superbe. Au lieu de défendre une position équilibrée, Cassis évite toute critique des grandes puissances, même lorsque nos principes fondamentaux sont bafoués.
L’illustration la plus frappante est son silence face aux attaques répétées de Donald Trump et de son administration contre le multilatéralisme. Récemment encore, alors que le vice-président états-unien J.D. Vance faisait la leçon à nos alliés européens, la Suisse a même tenté de flatter les Etats-Unis. Au lieu de réaffirmer notre attachement aux institutions internationales et au multilatéralisme, pourtant piliers historiques de notre diplomatie. Tout cela pour espérer un geste économique de la part des Etats-Unis.
2) Fermer les yeux face à un génocide
La Suisse a suspendu temporairement puis réduit son financement à l’UNRWA (agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) sous prétexte d’une enquête en cours puis sous la pression d’élu-e-s de droite. Ignazio Cassis, qui a été vice-président de l’intergroupe parlementaire Suisse-Israël lorsqu’il était parlementaire, n’en est pas à son coup d’essai. En 2018 déjà, rentrant de son premier voyage officiel au Proche-Orient, il avait violemment critiqué l’UNRWA et considéré que l’organisation humanitaire était devenue «un problème». Soit la position du gouvernement Netanyahu et des néoconservateurs. Tout cela pour faire plaisir à un partenaire commercial.
Blocus de Gaza, bombardements ininterrompus malgré les promesses de trêve, menaces d’occupation et d’expulsion des habitant-e-s de la bande de Gaza, colonisation illégale de la Cisjordanie qui s’accélère et violences des colons. Notre pays est inaudible alors que la diplomatie helvétique possède une expertise reconnue de longue date au Proche-Orient. Notre rôle devrait être de reconnaître enfin la Palestine et d'œuvrer activement en faveur de la solution à deux Etats.
3) L’Arménie et le Sahara occidental? On s’en tamponne
Lorsque l’Azerbaïdjan a mené son offensive militaire contre les Arméniens du Haut-Karabakh et malgré les alertes de l’ambassade de Suisse à Erevan, Ignazio Cassis a ignoré l’appel à l’aide. Ce qui fait dire au parlementaire du Centre Stefan Müller-Altermatt, coprésident de l'association Suisse-Arménie, que le conseiller fédéral «se prosterne devant l'Azerbaïdjan». Face à l’exode massif et aux accusations de nettoyage ethnique, la Suisse aurait dû soutenir l'Arménie pour contribuer à résoudre ce conflit dans le Caucase du Sud. Un pays avec lequel nous entretenons des relations historiques, plutôt que de céder pour des raisons économiques à un Etat pétrolier allié de la Russie.
Sur le Sahara occidental, la Suisse a salué positivement le plan d’autonomie marocain alors que les résolutions des Nations Unies dénoncent l’occupation illégale et plaident pour un référendum d’autodétermination. Cette position marque un revirement inquiétant de notre diplomatie. S’éloigner du droit international pour privilégier la conquête de nouveaux marchés économiques ne doit pas devenir notre nouvelle boussole diplomatique.
4) Une liste à la Prévert
Les revirements du chef du DFAE sont hélas encore plus nombreux. Le même schéma s’applique à nos relations avec la Chine: aucune condamnation forte des persécutions fortes contre les Ouïghours ou les Tibétain-e-s et refus de la Suisse de suivre les sanctions européennes contre Pékin. Tout cela pour obtenir un hypothétique accord de libre-échange et plaire aux grandes puissances.
Nous pourrions allonger la liste, par exemple à la guerre à l’Est de la République démocratique du Congo sur laquelle la diplomatie suisse semble dépassée par d’autres acteurs tels que le Qatar, ou au processus de privatisation de la coopération avec les pays du Sud.
Que faire?
En résumé, avec Ignazio Cassis notre politique étrangère a fait triompher le pognon (très incertain) sur la crédibilité de notre diplomatie, la défense des droits humains et notre place particulière dans le concert des nations.
Il faut dénoncer ces revirements et critiquer l’abandon des fondamentaux de la diplomatie suisse. Comme le font d’ailleurs les anciens ministres des affaires étrangères Joseph Deiss et Micheline Calmy-Rey.
La Suisse mérite mieux qu’un ministre des affaires étrangères qui reste silencieux face aux crises, soutient les grandes puissances qui piétinent le multilatéralisme et privilégie toujours le pognon à court terme. Notre tradition humanitaire et la réputation de notre diplomatie doivent enfin retrouver leur place face au basculement du monde.