La rentrée est là et la trêve estivale n’a visiblement pas fait du bien à tout le monde. Frédéric Borloz, ministre libéral-radical vaudois de la Formation, vient d’interdire les débats contradictoires entre candidates et candidats dans les écoles jusqu’aux élections fédérales de ce 22 octobre. Objectif: veiller à «la neutralité de l’enseignement».
Vous ne rêvez pas. Ici, en Suisse, dans l’une des démocraties les plus enviées au monde, les joutes oratoires ne sont plus les bienvenues dans les centres de formation du plus grand canton romand. Et ce, durant les dix semaines qui précédent l’un des événements les plus importants du pays.
Disons-le sans ambages: il s’agit d’un choix politique aussi aberrant que consternant. Empêcher — ne serait-ce que dans un cadre précis — que des avis opposés et argumentés s’affrontent est une décision qui sort tout droit d’un cerveau incompatible avec l’idée même de la Suisse. Dans une démocratie digne de ce nom, le débat est chéri. Pas entravé ou purement et simplement annihilé.
Un idéal helvétique menacé
La cheffe du gouvernement Christelle Luisier — elle aussi libérale-radicale — a régulièrement fait part dans la presse de ses craintes quant à la polarisation de notre société. À raison! Cette ambassadrice de la controverse courtoise ferait bien de rappeler à son collègue que la condition sine qua non pour que les différentes communautés et sensibilités continuent de se parler est justement de favoriser… le dialogue.
L’école joue un rôle crucial dans cet idéal helvétique (plus que jamais menacé), où tout le monde cause avec tout le monde, indépendamment de ses divergences idéologiques. Inculquer la citoyenneté et le civisme, ce n’est pas seulement faire apprendre aux têtes blondes que l’Assemblée fédérale est composée de 246 membres. C’est aussi, et surtout, cultiver la tolérance de la contradiction. À moins que d’éminents pédagogues ne sortent de leur chapeau une méthode révolutionnaire, il apparaît que, pour faire coexister les différents points de vue, personne n’a encore inventé mieux que le débat.
Un manque de courage et de bon sens
En réalité, Frédéric Borloz, élu de centre droit, trahit son manque de confiance en ses enseignantes et enseignants, qui préparent et débriefent ces débats avec leurs pupilles. Que ses fonctionnaires soient majoritairement de gauche est un fait difficilement contestable. Que certains d’entre eux confondent malheureusement leur pupitre surélevé avec une tribune politique aussi. Mais la loi permet déjà de sanctionner ces mauvais comportements. Faut-il encore avoir le courage de vraiment l’appliquer.
L’ex-conseiller national, s’il avait eu un tant soit peu de bon sens politique, aurait aussi pu veiller à ce que la droite participe pleinement à ces échanges demandés par les prétendants rose-vert à un fauteuil aux États Pierre-Yves Maillard et Raphaël Mahaim, qui voulaient booster le vote jeune. Mais ce Chablaisien a préféré nuire à la formation de l’opinion des élèves de l’obligatoire et du post-obligatoire, ultra-majoritairement mineurs. Des enfants qui, influencés ou non, ne pourront de toute manière pas participer aux Fédérales. Le censeur en chef craint-il à ce point les résultats de cet automne?