La pétition, lancée lundi par le petit mensuel conservateur «Le Peuple», titille désormais les 8000 signatures. En cause: un concert du Festival de la Cité à la cathédrale de Lausanne. Invitation à l'éjaculation, slogans anti-police et anti-bourgeois: depuis samedi, les textes de la chorale féministe et queer Hot Bodies continuent de choquer. Jusqu'en Suisse alémanique! Même la très sérieuse «NZZ» y est allée de son article.
L'affaire devient politique. L'Union démocratique du centre (UDC) comme le Parti libéral-radical (PLR) – qui parle de «scandale» — demandent des explications aux autorités. Pour la première fois, la présidente du Conseil d'Etat vaudois, Christelle Luisier Brodard, sort du bois. A la tête du Département en charge des affaires religieuses, la Payernoise tranche: au vu du règlement d'utilisation de la cathédrale, y organiser un tel événement était «inadéquat». La libérale-radicale l'a fait savoir à la direction de la manifestation, en lui adressant un courrier ce mercredi, annonce-t-elle à Blick. Sa subvention ne semble toutefois pas en danger. Interview.
Christelle Luisier Brodard, avez-vous été choquée par ce concert qui chantait éjaculation et vulves, anticapitalisme et slogans anti-police?
A titre personnel, je suis attachée à la liberté d’expression et j’ai une sensibilité libérale. Le problème n’est donc pas là.
Où est-il alors?
Le problème est que ce concert a eu lieu dans cet espace-là. Le règlement d’utilisation de la cathédrale dit que les spectacles qui s’y déroulent doivent être en harmonie avec l’esprit du lieu et ne doivent être ni politiques ni polémiques. Il m’apparaît clair que l’article 8 n’a pas été respecté. En tant que cheffe du Département en charge des affaires religieuses, j’ai écrit ce mercredi à la directrice du Festival de la Cité, pour le lui signifier.
Que dit votre lettre?
Que la prestation de la chorale féministe Hot Bodies a choqué une partie du public, qu’il ne nous appartient pas de porter un jugement sur le spectacle en question, mais que le choix du lieu n’était pas approprié. C’est bien ce choix qui a provoqué des réactions, auxquelles s’ajoutent d’autres fortes réactions en lien avec d’autres propos prononcés ou projetés particulièrement violents à l’égard de certaines catégories de personnes ou de professions. Nous comprenons les réactions suscitées et rappelons le règlement d’utilisation de la cathédrale. Nous indiquons également au festival qu’à l’avenir, la Commission d’utilisation de la cathédrale ne délivrera des autorisations que sur la base d’informations exhaustives quant aux performances envisagées.
Ça n’avait pas été le cas ici?
A ma connaissance, l’intendance s’est fondée sur les éléments transmis par la direction du festival. Sur cette base, rien ne permettait de penser que ce concert serait ce qu’il a été.
Vous dites comprendre les réactions outrées. Pourquoi?
Je les comprends par rapport au fait que le spectacle s’est déroulé dans la cathédrale. Un lieu mixte, régi par un règlement établi avec les différents utilisateurs et permettant de respecter la liberté de croyance et l’esprit du lieu.
Votre parti, le PLR, parle de scandale…
Mon parti est libre d’utiliser les qualificatifs qu’il souhaite, mais en tant que conseillère d’Etat, je me dois de porter une voix institutionnelle.
Mais, à titre personnel, vous ne trouvez pas ça scandaleux?
Je trouve que c’est pour le moins inapproprié. La cathédrale, propriété de l'Etat, accueille différentes manifestations qui doivent toujours respecter le cadre fixé pour l’utilisation du lieu. Aussi, nous ne souhaitons pas que ce lieu accueille des spectacles de nature politique ou polémique.
Pensez-vous que la direction du Festival de la Cité se fourvoie quand elle se défend en soulignant que le spectacle transmettait un message «de tolérance et d’inclusivité» et que les paroles n’avaient «rien de blasphématoire»?
Nous estimons que le message politique porté n’était pas tolérant. Les textes étaient clairement malveillants à l’égard de la police, par exemple. Je le redis, ce lieu doit être neutre et il est important qu’il ne soit pas lié à une certaine récupération politique.
En parlant de récupération politique…
Je pense que des personnes ont sincèrement été choquées et c’est tout à fait légitime qu’elles l’expriment au travers de différents canaux. Pour l’instant, je m’en tiens à mon rôle institutionnel, on verra à la rentrée ce qu’il advient.
Je vous pose quand même la question que je voulais vous poser: votre parti, le PLR, dit qu’il interpellera le Conseil d’Etat, que vous présidez, à la rentrée. Il demande notamment s’il sera envisagé de baisser la subvention accordée au Festival de la Cité. Vous y pensez?
Je ne peux pas préjuger de la prise de position du Conseil d’Etat. Mais, au fond, le principe n’est pas d’appliquer des mesures de rétorsion au niveau financier contre un festival qui, de manière générale, anime la ville de Lausanne. Ce que nous voulons, c’est surtout que les règles soient respectées. Pour les prochaines éditions, nous ferons preuve de plus de vigilance.
Vous êtes une fine connaisseuse de la politique vaudoise. Chaque année, le Festival de la Cité a droit à sa polémique. En 2022, c’était pour des textes jugés «anti-flics». Le festival est militant, c’est la volonté de sa direction. La droite conservatrice monte au front à chaque fois. Pensez-vous que les conflits politiques autour de ce festival subventionné sont appelés à durer?
Vous évoquez la droite conservatrice, je note quand même que la pétition a récolté plus de 7000 signatures. La preuve qu’il y a un attachement de la population à la symbolique des lieux. Et ce, au-delà des clivages politiques. Ensuite, de tout temps, il y a eu des tensions constructives entre l’autorité et la culture. Ces questions ont toujours été tranchées en faveur de la liberté d’expression, ce qui est une bonne chose.
Vous n’êtes pas dérangée par ces textes?
D’un point de vue plus général, et au-delà de cet événement-là, je trouve plus intéressant d’avoir des spectacles qui cherchent à fédérer plutôt qu’à diviser. La liberté d’expression est importante, mais elle ne saurait en aucun cas justifier des appels à la haine ou à la violence.
Donc vous ne soutenez pas les personnes qui se plaignent que des textes tels que ceux chantés à la cathédrale samedi soient en partie financés avec l’argent public?
On doit pouvoir financer des manifestations qui permettent aux artistes de s’exprimer. L’autorité politique n’a pas vocation à dicter le contenu de créations artistiques, la culture est aussi un outil démocratique.