Cette nouvelle est un petit événement en soi, bien qu’elle soit passée — pour l’instant — relativement inaperçue. Et pour cause: même le principal intéressé semble marcher sur des œufs au moment de signer son œuvre. «Que diantre vais-je donc faire dans cette galère?», titre Pierre Dessemontet, cosyndic socialiste d’Yverdon-les-Bains et député au Grand Conseil vaudois, dans sa première chronique pour le média conservateur «Le Peuple», publiée en ligne le 20 août.
Ce billet est-il compatible avec ses engagements? Le président du Parti socialiste vaudois avait qualifié ce mensuel «d’extrême droite». Souvenez-vous. C’est à ce journal que l’on doit la polémique estivale sur la performance artistique «Ejaculate» dans les murs de la cathédrale de Lausanne, lors du festival de la Cité.
La pétition écrite par ses soins — qui a récolté un large succès — transformait cette controverse en une véritable affaire institutionnelle. La présidente libérale-radicale du Conseil d’État vaudois s’était, elle aussi, positionnée. «Programmer ce spectacle à la cathédrale était pour le moins inapproprié», confiait Christelle Luisier dans une interview exclusive accordée à Blick.
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Dans les faits, le spectacle n’avait pas trouvé beaucoup d’alliés. Y compris à gauche. Romain Pilloud, président du Parti socialiste (PS) vaudois, était toutefois un peu moins critique que le reste de la classe politique.
Interrogé par nos confrères de Watson, le vingtenaire préférait tirer sur le messager: «Peut-être que ce spectacle n’aurait pas fait polémique si un journal d’extrême droite (ndlr: allusion au «Peuple»), qui discrédite ici tout un mouvement artistique, n’en avait pas parlé. Il n’y avait pas lieu d’entrer dans une polémique, même si la cathédrale de Lausanne n’était peut-être pas le lieu optimal pour délivrer un tel message.»
Pilloud ne bouge pas d’un iota
Maintenant que son camarade au Grand Conseil, par ailleurs ancien vice-président du PS Vaud, écrit pour «Le Peuple», considère-t-il toujours qu’il s’agit d’un média d’extrême droite? En tant que président du parti, cautionne-t-il la démarche du cosyndic de la capitale du Nord vaudois? Joint par téléphone, Romain Pilloud demande quelques minutes de réflexion avant de se prononcer. Faveur accordée.
Il rappelle, comme promis. Et déclare: «Pierre Dessemontet a un rôle très clair de contradicteur, c’est tout à son honneur de s’adresser à des gens qui ne partagent pas nos idées. Cette chronique est peut-être un caillou dans la chaussure militante du 'Peuple', mais en tout cas pas dans celle du Parti socialiste.»
Sur le fond, Romain Pilloud concède qu’il n’a pas changé d’opinion «sur l’orientation politique» du mensuel et de son lectorat. De plus, le député indique que la démarche de l’Yverdonnois est «un choix qui n’implique que lui» et certifie qu’il ne partagera pas les chroniques de son collègue sur les réseaux sociaux. Tout comme les canaux officiels du PS.
Il enchaîne: «Avec le rédacteur en chef du 'Peuple' Raphaël Pomey, on peut discuter, glisse-t-il. Sans parler du journal en tant que tel, ce sont surtout les personnes qui le lisent ou les groupes qui gravitent autour sur les réseaux sociaux qui posent parfois problème. Je vais d’ailleurs déposer dans les prochaines semaines une plainte pour homophobie contre l’une d’entre elles à la suite d’un commentaire très violent en réaction à un article sur l’histoire de la cathédrale.»
L’importance de la contradiction
Qu’en pense Pierre Dessemontet? Estime-t-il, lui aussi, que «Le Peuple» est un média d’extrême droite? Les deux hommes devront visiblement accorder leurs violons: «Monsieur Pilloud dit ce que bon lui semble et, si je ne m’abuse, il parlait du lectorat et non pas du média en tant que tel.» Et pourtant: son chef de file a réaffirmé très clairement sa position qui ne concerne pas uniquement le lectorat du média.
Passons. Le géographe de formation justifie sa chronique sans aucune hésitation. «J’ai décidé de dire oui à quelqu’un de confiance (ndlr: Raphaël Pomey), avec qui je débats à titre privé depuis plusieurs années, explique-t-il. Cette décision m’appartient.»
Quel est l’objectif là-derrière? «Il m’apparaît comme étant important de pouvoir m’adresser à mes adversaires. La démocratie a besoin de la contradiction. Yitzhak Rabin (ndlr: ancien premier ministre israélien qui fut assassiné en 1995) disait qu’on ne fait la paix qu’avec ses ennemis. Eh bien moi, j’affirme qu’on ne débat qu’avec ses adversaires. C’est ce que je suis venu faire!»
En outre, le chef des Finances de la deuxième ville du canton souffle, «qu’à part une certaine idée du débat», il ne partage quasiment aucune des positions du rédacteur en chef du 'Peuple'. «Ma vision du débat — qui s’est malheureusement un peu perdue — est d’être dur avec les idées, mais respectueux avec les personnes», détaille-t-il encore.
«Le Peuple» cherche plumes de gauche
Raphaël Pomey confirme, lui aussi au bout du fil, cette intention et nie toute tentative d’instrumentalisation de Pierre Dessemontet. «Je lui ai fait cette proposition pour la simple et bonne raison que nous sommes un journal de débat. Je ne l’ai pas fait pour le piéger ou pour l’exhiber comme une prise, mais parce que nous partageons le goût de la controverse argumentée et courtoise. Notre relation de confiance ainsi que notre estime réciproque dépassent nos divergences idéologiques.»
Son média n'est pas d'extrême droite, martèle le journaliste face à l'accusation de Romain Pilloud. Il profite de l’occasion pour lancer un appel aux potentielles plumes opposées à la sienne. «Nous avons ouvert un espace blogs et je suis à la recherche d’autres personnalités de gauche. Pour l’instant, à part Pierre Dessemontet, aucune n’a osé, ce que je regrette. Notre porte reste ouverte.»