La «détransition». Ce mot, utilisé pour désigner les personnes changeant d’avis après avoir entamé un processus de changement de genre (d’homme à femme, ou l’inverse), est la marotte des milieux conservateurs et réactionnaires. Donald Trump, en tête, brandit le spectre de ces très rares exemples (entre 0,6 et 2% de «détranstions») dans sa campagne pour les élections 2024 pour tirer à boulets rouges sur l’accompagnement supposément problématique des personnes trans et mineures vers une vie meilleure. Sans sourciller, l’ex-président républicain des États-Unis parle même de «mutilation sexuelle».
En Europe aussi, en Suisse comme en France, des parents inquiets s’unissent à des psychanalystes non spécialisées (à l’image de Caroline Eliacheff et Céline Masson) pour dénoncer — entre autres — la prescription «hâtive» de bloqueurs de puberté ou de traitements hormonaux chez les jeunes. Avec à l’appui, des exemples épars d’hôpitaux qui revoient leur manière de les prendre en charge. La panique morale est là: tremblez, nos bambins deviennent trans en un claquement de doigts!
Sensationnaliste, le sujet devient médiatique. Dernier exemple en date: un documentaire de 48 minutes de la RTS, ce jeudi 2 mars, dans le cadre de son émission phare «Temps Présent». Son titre? «Détransition, ils ont changé de sexe et ils regrettent». Depuis la diffusion, les milieux arc-en-ciel crient au loup. La Fédération genevoise des associations LGBT et le Transgender network Switzerland se sont fendus d’une lettre ouverte. L’instagrammeur trans Léon Salin a réagi en vidéo. Marius Diserens, militant queer vaudois et candidat des Vert-e-s au Conseil national, a taclé l’émission, tweet après tweet. La parlementaire écologiste et féministe Léonore Porchet a relayé son message. Comme d’autres, l’association TransParents Genève a contacté Blick.
Alignée hallucinante de propos transphobes
Normal, me direz-vous? Pas tout à fait. Comme d’autres institutions spécialisées dans l’accompagnement des personnes trans, TransParents avait d'abord accepté de participer et de s'exprimer — avant de rétropédaler et de se retirer avant la diffusion du documentaire. Motif: «La posture des journalistes […] n’a pas été neutre».
D’autres, comme les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), ont refusé de participer au tournage. Au grand regret, exprimé à l’antenne, du producteur Jean-Philippe Ceppi.
Sans véritables spécialistes à l'écran et avec si peu de témoignages, on courait à la catastrophe. Elle a eu lieu: le reportage propose une alignée hallucinante de propos transphobes, alarmistes et infondés, comparant la transidentité à une idéologie, une mode, voire une secte! Un peu comme si le micro n’avait été tendu qu’à des antivax parce que le monde médical et scientifique avait décidé de snober l’émission.
Oui, les médias ont une responsabilité envers toutes les minorités: celle de ne pas créer plus de mal-être encore (les personnes trans ont jusqu’à dix fois plus de risque de faire une tentative de suicide). Celle de ne pas cautionner un discours a priori anodin, mais qui peut engendrer, in fine, de la violence (327 personnes trans ont été tuées en 2022, selon un rapport).
Oui, les journalistes du service public n'ont pas assez contrebalancé les prises de position des protagonistes. Pas assez souligné, non plus, que les droits des personnes trans sont inaliénables. Que leur identité ne doit en aucun cas être attaquée. Oui, «Temps Présent» aurait sans doute dû empoigner ce sujet d’une autre manière et adopter une position bien plus critique.
Les assoc' ont aussi failli à leurs devoirs
Mais non, chères associations LGBT, chers HUG, vous n'êtes pas exempts de tout reproche. Vous avez, vous aussi, failli à votre devoir. Celui de défendre une cause primordiale, à grand renfort de faits, chiffres, pratiques et études. Celui de démontrer que l’immense majorité des personnes ayant effectué une transition de genre sont heureuses de l’avoir fait. De souligner que les «détransitions» sont avant tout dues à des pressions familiales, scolaires ou sociétales. De dire que la plupart de ces «retours en arrière» ne sont pas impossibles puisqu’ils ont lieu avant l’entame d’un processus médical. De marteler qu’en moyenne, en Suisse romande, pour avoir accès à un traitement hormonal, les ados de 14 à 17 ans doivent attendre près de deux ans, et qu’il ne suffit pas que d’une «poignée de séances» chez un psy.
Comme la presse, vous devez, grâce à votre expertise, aider la population à se forger une opinion éclairée. Boycotter un média (étatique, qui plus est) est profondément antidémocratique. Demander à des journalistes d’abandonner un sujet — aussi biaisé soit-il — est une bien mauvaise tactique. Vous venez d’en avoir la preuve.