Chronique de Benjamin Décosterd
Si même Genève n’intéresse plus les Genevois...

Les votantes et votants sont bien partis pour être les grands absents du premier tour des élections genevoises, dimanche 2 avril. L'auteur et chroniqueur Benjamin Décosterd pose son regard décalé et «vaudois» sur les enjeux et les forces en présence au bout du Léman.
Publié: 01.04.2023 à 13:45 heures
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Dernière mise à jour: 01.04.2023 à 18:19 heures
L'auteur et chroniqueur Benjamin Décosterd pose son regard satirique sur les élections genevoises du 2 avril 2023. (Image d'illustration)
Photo: keystone-sda.ch
Benjamin Décosterd

Cette semaine, l’évènement incontournable dont tout le monde parle à Genève, c’est le salon Watches and Wonders. À l’heure cruciale des élections, où trois postes sont ouverts au Conseil d’État: c’est vous dire à quel point la politique du bout du lac se porte bien.

Même s’il faut reconnaître que Julia Roberts (Chopard) et David Beckham (Tudor), c’est un casting un peu plus alléchant que Fabienne Fischer (Les Vert-e-s) et Luc Barthassat (CIVIS).

Tout le monde s'en fiche

Mais tout de même: à six jours du scrutin, la participation était de 10,3%, contre 16,2% il y a cinq ans. Déjà que Genève n’intéressait que les Genevois, ce n’est bientôt même plus le cas.

Il ne faut pas non plus tirer sur l’ambulance (trop facile, à Genève, avec les bouchons), aucune élection en Suisse n’est réellement passionnante pour celles et ceux qui n’y participent pas. Avant de se battre parmi pour représenter les gens, les candidats devraient plutôt essayer de se battre pour les intéresser à la politique tout court.

Quoiqu’à deux jours du vote, le taux de participation a semblé remonter (30,1%). Comme pour les sorties culturelles depuis le Covid: tout le monde s’organise à la dernière minute. À l’image de Blick, qui se réveille sur les élections genevoises ce mardi à 17h en contactant quelqu’un qui n'a pas le droit de vote à Genève...

Tour d'horizon du casting

Et justement, en tant qu'observateur Vaudois, il est plutôt agréable de constater que je ne me sens pas trop dépaysé. Les forces en présence pour le Conseil d’État sont sensiblement les mêmes que dans le canton de Vaud:

Grosse différence: la droite part désunie.

Un chacun pour soi qui pourrait empêcher le MCG d’atteindre les 7% de voix nécessaires pour être au Grand Conseil. Après «assez des frontaliers», assez du MCG? À voir. Disons qu’avec le Mouvement citoyens genevois, il y aurait une certaine logique à ce que cela se termine par une expulsion, même parlementaire.

Toujours au Grand Conseil, Genève pourrait même élire un mort. Contrairement au Conseil d’État, d'où Serge Dal Busco (Le Centre) et Anne Emery-Torracinta (PS) se retirent définitivement, justement parce qu’ils avaient déjà l’air d’être morts à l’intérieur.

Et bien sûr, il y a Celui-Dont-L’élection-Foutrait-Un-Bordel-Sans-Nom...

Le cas Pierre Maudet

Pierre Maudet et son mouvement Libertés et Justice sociale (parce que Justice tout court ça sonnait mal). Malheureusement, je suis obligé d’en parler.

Et même de faire preuve d’un peu de courage en pronostiquant quelque chose, ce qu’aucun média n’ose véritablement faire depuis Donald Trump. Surtout quand il s’agit d’un type au discours populiste «ni de droite, ni de gauche» qui alterne entre gouvernement et tribunal.

Donc, je me lance: Pierre Maudet ne sera pas élu.

Commençons par dire pourquoi Maudet pourrait être élu, et cela tient en une phrase: il ne faut jamais sous-estimer l’option cauchemardesque au milieu de celles qui ne font pas rêver.

D’accord, il y a cette campagne dans des bowlings, en mode mi-témoin de Jéhovah, mi-Yannick Buttet qui force, et c’est un peu triste. Mais on sent quand même un certain professionnalisme (envoi de courriers ciblés, présence dans des quartiers où l’on ne vote pas).

Alors qu’en face, sur les comptes Instagram d’Antonio Hodgers (les Vert-e-s) et Nathalie Fontanet (PLR), on se prend pour Jeff Buckley et Brigitte Bardot.

Enfin, on est plus sur du Bastian Baker et Lolita Morena...

Mais il y a deux gros contre-arguments à la possible élection de Pierre Maudet:

  • Il n’a déjà «pas été élu» la dernière fois qu’il s’est présenté. Et, généralement, quand on pose deux fois la même question, les électrices et électeurs le prennent mal: souvenez-vous de l’initiative de limitation refusée en 2020 à 61%, alors que l’initiative contre l’immigration de masse était passée à 50,03%.
  • Le slogan de sa campagne c’est «Pierre Maudet au Conseil d’État», et généralement quand Pierre Maudet dit quelque chose, c’est l’inverse qui est vrai. Donc il ne sera pas élu.

Tout va mal?

Bien, maintenant, parlons du fond. Les plus gros enjeux de ces élections seraient la mobilité, le logement et le pouvoir d’achat.

Et, sur le papier, tout va mal: ça bouchonne dans une ville chère où il n’y a pas d’appartements disponibles. Mais, soyons mathématiques: si tout allait si mal que cela, il n’y aurait pas de pénurie de logement à Genève.

Niveau thunes, dans l'absolu, ça va même plutôt bien, c’est la répartition qui pose un problème.

Pour la mobilité, le CEVA est au moins une bonne chose de faite, bien qu’il ait permis aux grèves de la SNCF de nous faire chier un peu plus concrètement. Quant aux nouvelles pistes cyclables, c’est un peu compliqué. Je crois qu’elles sont à moitié illégales, mais comme elles sont deux fois trop larges, ça s’annule.

Malgré tout, à écouter les candidates et candidats lors du Grand Débat «Léman Bleu X Le Temps» (comme disent les jeunes), Genève serait une cause perdue.

C’en est à se demander pourquoi elles et ils se présentent, à part pour peindre le diable sur la muraille et devenir providentiels. Mais ce serait oublier que le système suisse ne compte pas tant sur les gens que sur leur capacité à trouver des compromis.

Alors, peut-être qu’au milieu de tous ses egos, Genève se lasse. Sans parler d’institutions en roue libre (affaire Maudet, affaire des écoutes, affaire Brandt, foyer de Mancy...), qui sont plus amusantes à regarder depuis un autre bout de lac qu’à devoir assumer.

Finalement...

Genevoises et Genevois, je ne peux donc que vous souhaiter bien du courage, et surtout d’aller voter: vous serez d’autant plus légitimes pour râler ensuite.

Un truc que vous savez si bien faire, et qui ne risque pas de changer, contrairement à vos politiciennes et politiciens.

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